Anita Lane* n’avait pas le référencement naturel et ancré. Fondatrice des Bad Seeds aux côtés de Nick Cave, on ne sait que peu de choses d’elle, si ce n’est sa traversée du milieu post-punk australien, via Londres et Berlin. Et quelques hommes. Plus qu’inspirés en la regardant et, pourquoi pas, en l’écoutant. Ils brillent dans le chemin d’Anita, comme on sème des petits cailloux blancs pour ne pas trop se perdre en route. « La plus talentueuse d’entre nous », dira Nick Cave. Peut-être s’est-elle finalement perdue à donner aux Bad Seeds ses plus grands morceaux, entre autres From Her to Eternity et Stranger Than Kindness, ainsi que plusieurs chansons pour le groupe The Birthday Party.
En 1993, elle sort son premier album, Dirty Pearl, produit par Mick Harvey qui y joue presque tous les instruments. L’album contient cette reprise avant-gardiste de Sexual Healing ainsi que des morceaux qu’elle a écrits et enregistrés au cours de la décennie précédente avec Blixa Bargeld, Nick Cave et Mick Harvey. A mi-chemin entre une Lydia Lunch déglinguée et une Kylie Minogue collée à l’ampoule 100 000 watt du succès et des paillettes, Anita Lane semble porter la fragilité et la tristesse comme d’autres portent succès et pouvoir. N’ayez crainte et écoutez, ce que susurre Anita d’une voix enfantine à la reprise de Sexual Healing, ce morceau phare et chaloupé d’un Marvin Gaye au destin tragique marqué par la malédiction du père, tient à la fois d’un talent particulier ensorcelant et de l’affirmation d’une infinie générosité. Pas d’agressivité ici, ni de revendication ostentatoire. Anita est sympa, mignonne, n’a pas de nez crochu et ne se grime pas en over bombe sexuelle. Il lui est bien arrivé de danser sur et sous la table mais sa vie n’est pas si éloignée de celle de la voisine de palier ; Anita boit du vin, Anita tombe amoureuse, Anita porte des robes bleu marine et du rouge à lèvre rouge, Anita fait des enfants et veille sur ses précieuses amitiés masculines. Le titre How Long (Have We Known Each Other Now) chanté avec Blixa Bargeld, qui figure sur l’album Head On (1992) du groupe expérimental post punk à choix multiples Die Haut, en est un des plus vibrants et touchants aveux.
Les mots de Marvin Gaye se retournent sur son passage. Son Sexual Healing est porté par un chœur masculin, des reverb, quelques notes midi et cristallines, le monde qu’elle crée avec cette voix malicieuse, naïve, murmurée, presque scandée comme une poésie apprise par cœur, est un monde familier de bienvenue et de douceur à la tranquille assurance. L’évidente sexualité débridée de Marvin Gaye n’a pas grand-chose à voir avec l’érotisme suave et mélancolique contenu dans la voix d’Anita Lane ; une voix qui chante et dit une émotion première liée à notre corps pensant, espérant, éperdu et libre aussi.