#40 : Heavens To Betsy / Bratmobile, My Secret / Cool Schmool (K, 1992)

Heavens to Betsy + Bratmobile, belly stars.
Heavens to Betsy + Bratmobile, belly stars.

Telle La Lettre volée d’Edgar Allan Poe, invisible puisqu’en évidence sur le fatras du bureau, elles trônaient là, surplombant toute la pièce depuis des mois, des années. Postées sur un des rayonnages les plus élevés de la bibliothèque, elles me toisaient, me faisaient de l’œil, parfois me sifflaient sans que je ne les voie ni les entende. Hey, petit mec, tu crois quoi ? Qu’on n’est pas assez bien pour toi et tes platitudes nombrilistes ?
So cute. Un amour de 45 tours. Une merveille de pochette, parangon de DIY estival, mais en noir et blanc quand même, l’air de dire méfiance, on n’est pas là pour (trop) rigoler. Un split single qui donne la banane, encore aujourd’hui. Publié sur K Records, label d’Olympia, État du Washington, drivé par Calvin Johnson. Papier plié, protection plastique, avec, faisant la nique à FAC 23 ou SARAH 18, la ref. parfaite, ultime, l’Everest du cool : PUNK 1.

For Christ’s Sake, Heavens To Betsy vs. Bratmobile, qu’est que j’ai pu aimer ça au début des nineties ! C’était tellement plus tonique (enfin, surtout Cool Schmool, My Secret s’appuyant sur un trauma enfantin) que le SCUM Manifesto de Valerie Solonas, que je lisais d’une main (de l’autre je planquais mes attributs) parce qu’il fallait bien s’instruire et faire preuve d’un tant soit peu de cohérence genrée. Évidemment, rien n’était vraiment en place musicalement, Bratmobile c’est pas loin d’être du Shaggs uptempo et punk (les Shaggs étaient déjà punk !!, te rappellerait en te soufflant dans les bronches Frank Zappa, lui qui les plaçait plus haut que les Beatles) mais personne n’a jamais prétendu qu’il fallait savoir jouer pour être synchrone avec cette urgence qui t’étreint, pour trouver ta place dans le peu d’espace qu’on t’octroie, ou pour expulser la rage qui te ronge.
Combien de R à Riot grrrl ? Je me souviens l’avoir joué au Scrabble et qu’on me l’avait refusé. Probablement ce type qui ne jurait que par Nirvana et Smells Like Teen Spirit sans savoir que le titre avait été soufflé à Kurt Cobain par Kathleen Hanna.
Reconnaissons que, comme souvent, j’avais moi-même un peu de retard à l’allumage et raté le wagon Bikini Kill. J’en viens même à me demander si le tout premier disque estampillé Riot grrrl que j’ai eu entre les mains ne provenait pas du versant british du mouvement, Kiss Curl for the Kid’s Lib Guerrillas par Huggy Bear – ce qui me parait quand même improbable, ça nous renverrait fin 92. Anyway. Si j’écoutais avec une constance certaine le split du jour, ainsi que le Kiss and Ride de Bratmobile, je ne savais rien ou presque de ces deux groupes, et guère plus sur le mouvement girlie enervé. Je ne savais pas que Bratmobile était né sur un mensonge, une forfanterie de fanzineuses, qu’Allison Wolfe et Molly Neuman ne maitrisaient aucunement leurs instruments quand Calvin Johnson les a conviées à jouer avec Bikini Kill et Some Velvet Sidewalk pour le Valentine’s Day 91. Qu’il en était peu ou prou de même pour Heavens To Betsy. Car sois certain que si on avait invité Corin Tucker et Tracy Sawyer à écouter les Ramones, elles se seraient, à l’instar de Bratmobile, probablement assises sur ce conseil de mec vantant un groupe de mecs. De là où je me tenais, je ne savais pas non plus que les deux formations avaient joué à la fameuse girl night, la nuit Love Rock Revolution Girl Style Now à l’International Pop Underground Convention organisée par Calvin à Olympia en août 1991. De tout cela et de bien d’autres choses encore, je le répète, je ne savais rien mais pourtant ça ne me privait pas de me ruer ventre à terre vers la platine pour retourner la face de ce disque, encore et encore.

Aujourd’hui, j’en sais un peu plus, à peine. J’ai négligemment tiré sur le fil, engrangé (via les catalogues de mail order de l’époque) quelques disques, appris à ne plus confondre Jen Smith et Jean Smith (de Mecca Normal), lu quelques livres, prêté quelque attention aux gender studies. Fréquenté des filles qui avait la coupe de cheveux Allison Wolfe circa 92, et probablement me suis comporté avec elles comme un goujat, parce qu’on ne se refait pas. Je n’ai jamais vu le trident Bikini Betsy Bratmobile sur scène – mais j’ai assisté (à l’Européen, en première partie de Pulp, si jeune Mabuse) à un concert de Huggy Bear dont je me souviendrai éternellement, notamment Chris tapant comme un dératé avec une clé à molette sur le tréteau métallique de son synthé. J’ai évidemment suivi la suite des aventures de Corin Tucker au sein de Sleater-Kinney. Je ne suis pas devenu féministe pour autant. Ca ne m’empêche pas d’écouter Her Jazz à fort volume en gueulant comme un kangourou Boy/girl revolution tease, ou de revenir vers cet historique et exemplaire PUNK 1 avec le même élan.
Parce que le temps désormais passe tellement étrangement qu’il n’est pas si improbable ou compliqué, en se retournant, d’avoir à nouveau 25 ans.

3 réflexions sur « #40 : Heavens To Betsy / Bratmobile, My Secret / Cool Schmool (K, 1992) »

  1. Merde j’étais loin du mouvement Riot Grrrl en 1992 ! Je crois bien que j’étais à l’armée entouré uniquement de mecs et qu’en ai fait une overdose ce qui m’a sûrement poussé à faire les femmes s’en mêlent en 1997.

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