Cette histoire de gouttière toujours pas réparée (cf. #2) va finir par m’en coûter, je le crains. Ma femme télétravaille, les enfants ont des télécours et des télédevoirs, et moi, histoire de recoller au peloton, je clame que je suis au téléchômage. Dès lors m’incombe une large part des tâches ménagères, les courses, le bricolage, le jardinage, et que sais-je encore. Sauf qu’évidemment, fidèle à ma mauvaise réputation, j’en fiche pas une rame. Cumul des manquements plutôt que des mandats, et lourds cumulus nimbus qui s’agrègent au-dessus de ma tête. « Là, papa, ça commence à devenir tendu », ironisent les kids. Alors hier, quand ma femme m’a lancé, l’œil noir et des éclairs dans la voix, que je me comportais comme un touriste dans ma propre maison, ma réaction ne s’est pas fait attendre : je n’ai pu m’empêcher de lui sourire en retour et de la gratifier d’un tendre baiser. Pour mieux me précipiter ensuite dans ma grotte (car on est d’accord, Leroy Merlin et Bricomarché, c’est bien fermé ?), déterminé à retrouver ce single (leur deuxième, si je ne m’abuse) de Gang of Four qui se rappelait ainsi à mon bon souvenir.
Gang of Four – qui reprenait à son compte le nom (« La Bande des Quatre ») attribué au groupe mené par la veuve de Mao, et arrêté puis emprisonné en 1976 – fut considéré comme le premier groupe situationniste de la scène post-punk, n’en déplaise à Malcolm McLaren. On ne se prononcera pas sur ce point, sachant combien il est touchy encore aujourd’hui de jouer avec le terme ainsi qu’avec la susceptibilité des néo-post-avant-situs. Mais force est de reconnaitre que la pochette de Entertainment !, leur premier et meilleur album, rebondissait sur cet art du détournement cher à Debord et consorts (on y voit en trois cases, entre un indien et un visage pâle, un simulacre de potlach tournant à l’avantage de l’envahisseur).
Et tant qu’on y est, pourquoi ne pas faire appel à un bon copain lacanien pour qu’il nous convainc que, l’inconscient étant structuré comme un langage, le groupe mené par (Andy) Gill et Jon (King) annonçait avec près de 40 ans d’avance le mouvement des Gilets Jaunes (c’est chouette finalement d’écrire sur la musique, on peut vraiment raconter n’importe quoi) ?
En revanche aucun politburo ne viendra nous menacer de purges ni même nous chercher des poux si, tous en chœur, nous affirmons que Gang of Four fut parmi les premiers (je précise « parmi » parce qu’au même moment à New York des formations telle les Bush Tetras fomentaient un semblable alliage contre-nature) à fusionner guitares tranchantes comme des sabres Wilkinson, raideur blanche, sueur funk et groove concerné. Et on ne compte plus le nombre de groupes se réclamant de Go4, influenceur notoire, une des rares entités musicales nous autorisant à faire ami-ami (mais pas trop quand même) avec un fan à tattoos tribaux et barbichette des Red Hot Chili Peppers.
Se glissant discrètement dans mon dos pour jeter un œil à ce que vous êtes en train de lire, elle me souffla que décidément tout cela restait bien convenu et que ce n’est pas en égrenant un chapelet de lieux communs qu’on fera honneur à la mémoire d’Andy Gill, disparu le 1er février dernier (d’une insuffisance respiratoire, tiens donc). Plutôt que de creuser inlassablement les sillons de la critique sociale et de la lutte des classes, va donc faire un tour sur le terrain de la guerre des sexes, dit-elle. « At home she’s looking for interest / She said she was ambitious / So she accepts the process ». Et si ces gars, depuis leur école d’art de Leeds, avaient probablement parfaitement intégré la pensée de Walter Benjamin ou de Gramsci, ils se défendaient de tout manichéisme ou prosélytisme, préférant garder une attention affûtée sur le « disco floor » de la chanson. Enfin, médite bien ces lignes, au cœur du titre : « He fills his head with culture / He gives himself an ulcer ».
Un tantinet penaud, je quittais mon siège et, pour tenter d’essuyer l’affront, allais m’en servir un autre. Un ulcère ? Et puis quoi encore ! Pourquoi pas une cirrhose tant qu’on y est ?!