They’re locking them up today
They’re throwing away the key
I wonder who it’ll be tomorrow, you or me ?
We’re all normal and we want our freedom
Freedom, freedom, freedom, freedom, freedom
I Want my freedom
(Love, The Red Telephone)
A l’été 1984, je suis à un tout petit point d’échouer au bac. Sommé de justifier cette piètre performance, je me garde bien de pointer les coupables et de les offrir à la vindicte parentale : dans la cellule familiale, Arthur Lee et les frères Head sont encore, plus pour très longtemps, des secrets bien gardés.
La mèche avait été allumée quelques semaines plus tôt, à l’heure des révisions, par un article d’Actuel signé Christophe Nick et affublé d’un vilain titre – Rock anglais : ils sortent du vide et du bidon. Nos favoris s’y bousculaient, les Smiths, Eyeless In Gaza, Felt (avec la fameuse photo de Lawrence se prenant la tête entre les mains, légendée : « On est les nouveaux Beatles. Dans un an on balaye tout. ») et les petits nouveaux, que je découvre alors avec l’album Pacific Street, The Pale Fountains. Derrière la pochette iconique, où un jeune homme qui a rejoint les insurgés de Budapest en 1956 fixe l’œil de la caméra, je tombe immédiatement sous le charme et la mitraille d’une pop à la fois champêtre et délicieusement ouvragée, organisant, drapée dans une fragilité radieuse, le jumelage de Liverpool et de Salvador de Bahia. En remontant – à bord de leur péniche de mariniers ou sur les canots photographiés par Christina Birrer – le courant des 45 tours jusqu’à l’inaugural Just A Girl, quelques cousinages transparaissent (Dislocation Dance avec qui ils partagent la trompette d’Andy Diagram, Everything But The Girl et la production de Robin Millar, Edwyn Collins et un goût commun pour les culottes courtes), comme sortent du bois les références (Tom Jobim, John Barry ou Burt Bacharach). Mais il serait malhonnête, même si Mick Head se fera le champion de la cause Lee, de clamer qu’on a été initié à Love par les Pale Fountains. Comme si souvent dans cette première moitié des années 80, c’est François Gorin, inestimable vigie, qui fait le lien et pave la voie royale. A plusieurs reprises dans ses textes pour R&F apparaissent ces mots, Forever Changes, qui sonnent comme le sésame à des merveilles inconnues de nous, jeunes gens englués dans la terre grasse de la Brie. Peu avant la rentrée, au détour d’une échappée parisienne, je réussis à mettre la main sur une réédition européenne du Graal. La pochette m’effraie un peu – je n’ai pas encore été confronté à Disraeli Gears de Cream, et n’oublions pas qu’ayant passé ma première année de lycée à graver The Cure sur le bois des tables, j’ai toujours une certaine affection vestimentaire pour le noir – mais le disque ravive magnifiquement les derniers feux de cet été caniculaire. Je reçois tout d’une seule traite. Le physique hendrixien mâtiné mauvais garçon d’Arthur Lee. La présence d’un second maître d’œuvre, Bryan McLean, dont les vocaux et les arrangements illuminent le morceau d’ouverture, le fabuleux Alone Again Or qui longtemps tiendra le rang de fils préféré. Le solo de guitare soudainement amputé de A House Is Not A Motel. Le psychédélisme feutré, et quelques gouttes de baroque sur le buvard. Les titres à rallonge et incompréhensibles, tels Maybe The People Would Be The Times Or Between Clark And Hilldale – je n’ai pas encore mis les pieds à Los Angeles, à peine entendu parler du Sunset Strip ou du Whisky A Go Go. Le rythme déroutant de ces voix qui louvoient à haute altitude, ralentissent puis s’insinuent dans d’étranges labyrinthes pour mieux bousculer la syntaxe. Ces cordes et ces cuivres divinement orchestrés par un certain David Angel (avant l’ère internet, on lit attentivement les notes de pochettes) et cette trompette qui effectivement établit d’incessants allers-retours avec l’album des Pale Fountains, qu’on a sur l’étagère rangé juste à côté, comme si les deux disques pouvaient infuser l’un dans l’autre, se contaminer pour donner lieu à une révélation plus merveilleuse encore.
A la fin du printemps 84, je n’ai pas vu Mick, John, Chris, Thomas et Andy jouer en bermuda au bord de la piscine Deligny, de même que le 19 mars 85, pour une raison stupide (qui avait pour nom Jean-Luc Godard) je raterai leur concert à l’Eldorado. Arthur Lee, n’en parlons même pas. Au mitan des années 80 beaucoup d’eau avait coulé sous les ponts et notre homme était porté disparu – peut-être rattrapé par de vieux démons opiacés – après un dispensable album solo où il reprenait le Many Rivers To Cross de Jimmy Cliff.
Pourtant, en avril 1992, c’est ensemble qu’on retrouve Arthur, Mick et John sur la scène de l’Européen. Le Paracelse providentiel se nomme Stéphane Bismuth. Jamais à court de paris risqués (c’est à lui qu’on devra la redécouverte de Karen Dalton, et rien que pour cela il mérite notre inconditionnel respect) Stéphane a décidé de prendre Arthur Lee sous son aile. Dans un premier temps, il sollicite Shack, le groupe que les frères Head ont formé en 1987 sur les cendres des Pale Fountains, pour qu’ils enregistrent une reprise de A House Is Not A Motel destinée à une compilation tribute à Love. Stéphane n’est pas sans savoir qu’à l’époque Mick est ingérable, et que certains concerts peuvent virer au pugilat dès le second titre (on assistera sous peu au dantesque appendice – ou prolongation acoustique comme il était mentionné sur le flyer – du festival des Inrocks 1992, sur cette même scène de l’Européen). Ca ne l’empêche guère, quelques mois plus tard, de recontacter le groupe pour qu’il accompagne Arthur sur scène, lors de concerts prévus à Londres puis Liverpool. En guise de filage, il monte une première date parisienne. Le lundi 27 avril au matin, Arthur et les quatre Shack se rencontrent pour la première fois. Quelques heures plus tard, après que Moose a majestueusement ouvert, ils sont sur scène et l’hallucination est collective. Je ne crois pas trop m’avancer en affirmant que toutes les personnes présentes ce soir là au 5, rue Biot en gardent un souvenir ému, ineffable et indélébile – Arthur le premier, qui n’en revient pas de voir ces petits gars de la Mersey maîtriser si bien ses chansons. Les Shack aussi sont aux anges, au point d’en oublier de se mettre sur la gueule. La communion se prolongera tard dans la nuit, à la terrasse du Sancerre, rue des Abbesses, où Arthur Lee, sur un nuage, se révèle être un homme à la fois simple et délicieux – surtout avec les jolies filles.
Bon, j’en entends qui piaffent au fond. Do you like Gospel music ? Je vous vends un 45 tours des Make-Up et après 6666 signes il n’a toujours pas été fait mention de la bande à Ian F. Svenonius – comme si ses stratégies occultes pour monter un groupe de rock pouvaient être recyclées afin d’enfumer les lecteurs.
Désolé, mais le temps vient à me manquer pour évoquer en longueur ce single paru en 1997 sur K, le label de Calvin Johnson, 86ème référence de la série International Pop Underground.
Quelques mois auparavant, les Make-Up avaient déjà payé leur tribut à Love en singeant, pour la pochette de leur album Sound Verite, la peinture de Bob Pepper qui ornait Forever Changes. Fin 1996, Arthur Lee a été condamné à douze ans de réclusion pour port et usage d’arme à feu. Il aurait, selon l’accusation, tiré à travers le plafond en direction de ses irascibles voisins du dessus. Le single milite pour sa libération, nous invitant à inonder de courrier le Gouverneur de Californie, mais prêche malheureusement dans le désert, Lee n’étant libéré que le 12 décembre 2001, après avoir purgé plus de cinq ans de sa peine initiale. Durant son incarcération, deux membres de Love, Bryan McLean et le bassiste Ken Forssi décèdent, chacun à une extrémité de l’année 1998, mettant un terme à toute spéculation de reformation du groupe d’origine. Arthur Lee continuera à monter sur scène, égratignant sans trop y croire les pépites gravés en 1967. Atteint d’une leucémie, il disparait le 3 août 2006 à Memphis, là même où il était né 61 ans plus tôt.
Aux dernières nouvelles, Michael Head se portait bien, tentant de tenir à distance les addictions qui avaient précipité la fin des Pale Fountains. Pour autant, j’ai beaucoup de mal et de peine à imaginer, où qu’il soit, cet homme confiné.
Free Mick Head.
When we talk about LOVE, we always refer mostly to Arthur Lee, but we often forget that 50 percent of Love’s songs are composed by Bryan MacLean. https://perseverancevinylique.wordpress.com/2018/04/25/vinyl-record-of-my-life-76-bryan-maclean-%e2%80%8e-ifyoubelievein-sundazed-music-1997/
Sur Forever Changes, c’est deux chansons sur onze. Ce qui je pense – avec ou sans bac – fait + ou – 18 percent. Avec tout le respect que je dois au demi-frère de Maria McKee.
certes deux chansons mais 2 chansons de haut vol ,par contre pour moi love c’est les 2 albums da capo et forever changes ,je n’aime pas la suite (Four Sail et consorts) car guitaristiquement sa sonne trop hendrixien
Cher Bertrand,
Les trois derniers concerts de Michael Head à Liverpool ont été fantastiques, notamment celui de décembre 2018 au Grand Central Hall, en présence de sa fille, en larmes de bout en bout.
L’hiver dernier, Michael semblait plus hésitant, sinon chancelant… Mais, si des anciens des Pale Fountains sont présents, son frère est définitivement forclos.
Et t’ai je jamais remercié pour le concert de Arthur Lee et Shack à l’Academy de Liverpool que tu m’as naguère offerts ?!