Teenage Fanclub, Songs From Northern Britain (Creation Records)

La coterie pop est en émoi depuis quelques semaines. Pas moins de cinq albums de Teenage Fanclub réédités dans les règles de l’art (mastering supervisé par le groupe, artwork des disques originaux, etc…) Surtout, il ne s’agit pas de n’importe quels albums. Cette assertion a certes peu de sens quand il s’agit des Fannies (ont-ils fait un mauvais disque ?) mais là, Sony a sorti les grosses cartouches : les albums majeurs de la formation écossaise publiés entre 1991 et 2000, soit leur zénith artistique. Il y aura toujours un débat âpre et vif sur le meilleur album de Teenage Fanclub. Trois œuvres semblent cependant remporter le plus de suffrage: Bandwagonesque (1991), Grand Prix (1995) et Songs From Northern Britain (1997). Trois disques pour trois moments clefs du groupe.  Après A Catholic Education (1990), les Écossais signent leur premier chef d’œuvre avec Bandwagonesque, disque qui a l’outrecuidance de dépasser cette année là Nevermind dans le classement de Spin, une assertion osée mais loin d’être hors de propos pour autant sur un plan artistique. Le groupe y développe une powerpop déjà inspirée des plus grands mais plongée dans un fracas sonore puissant à même de rivaliser avec le grunge ou le shoegaze. Grand Prix est une confirmation, il intervient après Thirteen généralement considéré comme (un peu) moins réussi : il démontre que le groupe fait parti des grands, et que Bandwagonesque n’était pas un heureux accident. Songs From Northern Britain termine cette trilogie deux ans plus tard, il constitue peut-être mon disque préféré du groupe, ou en tout cas celui que j’écoute le plus régulièrement. Il émane en effet de ce disque une force tranquille, le groupe a l’assurance de ceux qui maîtrisent parfaitement leur art. Teenage Fanclub assume alors pleinement, sans artifices, la filiation pop avec les aînés : Big Star et The Byrds en tête. Ce patronage, loin de porter préjudice aux Britanniques, révèle d’autant plus les qualités du groupe, notamment l’incroyable vivier de talents d’écriture dont il dispose en son sein. Si nombre de nos formations chéries étaient muées par des couples (Lennon-Macca, Chilton-Bell, etc…), Teenage Fanclub pouvait (au passé désormais) compter sur trois exceptionnels compositeurs : Norman Blake, Raymond McGinley et Gerard Love, lequel venant d’annoncer son départ du groupe. Ils se répartissent équitablement (et séparément) les douze chansons de Songs From Northern Britain. Si les plus connaisseurs arrivent à identifier la patte de chacun, force est de reconnaître que l’album brille aussi par son homogénéité voir une certaine linéarité diront les mauvaises langues incapables de se saisir de la beauté de ces douze chansons. Plus bucolique et pastoral (à l’image de l’introduction du tube I Don’t Want Control of You) que ses prédécesseurs, Songs From Northern Britain épouse des arrangements plus acoustiques (Your Love Is the Place Where I Come From) qu’à l’accoutumée faisant une place de choix aux harmonies célestes de la formation. Teenage Fanclub y excelle, le mot est même faible tant cela constitue une des forces du groupe. En cela il s’inscrit totalement – dans un style différent – dans la tradition des Byrds ou de Crosby Stills & Nash, d’autres supporteurs zélés de la chose. L’harmonie pourrait être à une chanson ce que le sel est à un plat : un exhausteur de mélodies, qui, utilisé à bon escient, sait transcender le matériel d’origine pour en tirer la quintessence. Je ne vois guère beaucoup de groupes à avoir mieux saisi cela que les Fannies. C’est indéniablement une de leurs marques de fabrique, elle contribue à rendre ce disque si particulier et beau en magnifiant une écriture déjà fameuse. Dès les deux premières chansons, les mémorables Start Again et Ain’t that Enough nous succombons ainsi au charme discret des Écossais. La suite est tout aussi réjouissante et constitue un sans faute à la durée tout aussi traditionnelle (43 minutes). Si quelques synthétiseurs se font entendre, notamment sur Planets, la production est aussi élégante que sobre : chaque instrument y trouve facilement sa place, mettant en valeur la beauté et l’évidence des mélodies (souvent accompagnées de jolies guitares jangly). Songs from Northern Britain est indéniablement un disque adulte. Chez beaucoup de groupes, cela sonnerait comme une défaite, ou du moins le signe avant-coureur de la fin. Pour Teenage Fanclub, cette maturité apporte une aisance et une confiance rayonnante. Le groupe est à sa place, aussi bien vis-à-vis de son âge que des références qu’ils affectionnent. Il n’est alors pas si inconcevable de les placer à égalité de leurs modèles, Big Star en tête. Leur classicisme pop en ennuie certains, à n’en pas douter, mais ils passent à coté d’un disque beau, simple, délicat, intemporel qui trouve toujours sa place à coté de la platine, surtout en cas de coup de mou. Teenage Fanclub a créé une certaine émulation à l’époque, en Écosse comme au sein des labels d’Alan McGee (nous pensons aux mésestimés Digger$ et Cosmic Rough Riders), et ne doutons pas qu’un peu d’eux a infiltré certaines formations actuelles à commencer par Real Estate qui explore avec la même bonhomie le patrimoine sans jamais le piller, en le chérissant sans arrière pensée.

10 réflexions sur « Teenage Fanclub, Songs From Northern Britain (Creation Records) »

  1. Excellente chronique.

    Mais non, ces albums ne sont pas réédités dans les règles de l’art…

    Les LPs sont livrés dans des sous pochettes abrasives. J’ai commandé 2 albums, les deux sont marqués, l’un fortement rayé, bon à renvoyer. Quel gâchis.

  2. Et s’il n’y avait aucun rapport entre les Byrds et Teenage Fanclub ? Je veux dire : aucun rapport sur ce qui compte vraiment ? Car les points de croisement sont anecdotiques : quelques ingrédients dans la recette, guitare jangly, harmonie, un petit côté laid-back, OK. Mais l’expression artistique, l’ampleur du propos, la vision offerte, le courage témoigné ? Bon sang, avez-vous pris la mesure des Byrds ? Des gens qui ont poursuivi la beauté ET la vérité, avec un esprit de chevalerie, un engagement de tout l’être… Il y aurait cent pages à écrire sur chaque chanson des Byrds. Ils ont posé des questions abyssales, sur la modernité, sur la contre-culture, sur l’amour, sur la mémoire, sur la conscience, sur… le sens de la vie. Et je ne parle pas seulement de leurs textes, non, je parle bien d’actes. Telle harmonie, tel dialogue de guitares, tel contrepoint, étant toujours mis en perspective d’un point de vue sur l’existence. Alors c’est mignon Teenage Fanclub, c’est sans risque surtout. De la musique pour se prémunir du risque de n’être pas cool. Pour être du bon côté du manche, ne jamais faire d’erreur fondamentale puisqu’on ne joue pas sa vie. Il n’y a pas cette ambiguïté suicidaire qui a fait de chaque album des Byrds un manifeste plus risqué que le précédent – toujours plus beau, toujours plus vrai, et de moins en moins vendeur. Jusqu’à la disparition – réapparition sous une autre forme musicale, avec d’autres musiciens, et tout aussi puissante. Les Byrds ont servi d’alibi à toute l’indie-pop des années 80 puis 90, est-ce une raison pour nous resservir cette même « filiation » encore en 2018 ? Nous avons eu largement le temps de grandir, et même de vieillir. On la voit bien, la différence entre les Byrds et Teenage Fanclub. Il y a des livres de Nazhim Hikmet dans notre bibliothèque « à cause » des Byrds, qu’est-ce qu’ils nous ont offert d’équivalent, les « Fannies » – surnom qui semble emprunté à un club de foot, et dit bien cette petite culture ronronnante, tournant toujours sur les mêmes références, les mêmes exploits d’autrefois ? L’envie d’aller boire une bière là-haut dans leur Nord ? L’illusion d’appartenir encore aux cools du lycée, alors que nos enfants ont l’âge d’y entrer, au lycée ? Les Byrds, c’est de l’Art, cela peut faire mal, laisser des séquelles, et n’a donc rien à voir avec Teenage Fanclub qui n’est que l’expression sympathique d’un certain environnement culturel, rien de plus.

    1. Il y a deux questions distinctes selon moi dans ce que tu dis:
      – Est-ce que TFC est à la « hauteur » des Byrds ?
      – Est-ce que TFC a légitimement le droit d’être considéré comme un héritier des Byrds ?

      Je ne trouve pas la question de la hauteur si pertinente que ça. Disons que si l’on commence à devoir hiérarchiser les groupes, on se retrouve plus qu’à écouter, en caricaturant un peu, les Beatles et Coltrane (deux influences des Byrds d’ailleurs…). Je préfère de mon coté les Byrds à Teenage Fanclub, cela ne m’empêche pas d’adorer également ces derniers et de les apprécier pour ce qu’ils sont, c’est à dire un excellent groupe de pop sans posture inutile et avec une recherche de la mélodie juste et belle, pourquoi vouloir absolument les comparer au delà de la filiation ?

      Bien sûr que l’héritage numéro un des Byrds c’est le « jangly », pourquoi vouloir le nier ? Il y a bien plus que ça chez les Byrds ? évidemment, mais il y a aussi les guitares jangly… Peut être que ces héritiers ne sont pas dignes de l’être selon toi mais il n’empêche que ce son de guitare ils sont allés le chercher chez les Oyseaux. Bref oui ce sont des enfants des Byrds et certains d’entre eux sont loin de faire de la copie, tu peux retrouver du Byrds chez les Smiths comme REM et ce sont des groupes marqueurs de leur époque qui ne font pas du tout du pastiche « folk-rock ». Après perso j’adore les pastiches « folk-rock » de même que j’adore les gens qui copient le style des Beatles (y compris les Rutles par exemple). J’ai arrêté de me prendre la tête sur l’idée de devoir trouver que des groupes majeurs etc. ce qui m’intéresse c’est aussi le plaisir que me procure la musique. Évidemment écouter des pastiches folk-rock (ce que n’est pas d’ailleurs TFC loin de là) comme des pastiches du Fab Four est une zone de confort mais je suis aussi tout à fait capable d’en sortir et apprécier ces morceaux pour ce qu’ils sont.

      Par ailleurs je trouve que l’influence des Byrds chez TFC est plus « intériorisée » que tu ne veux bien le dire. En ce sens, je les rapprocherais justement des Byrds qui ont été capables d’intérioriser les Beatles ou Coltrane et les faire leur. Tu croises certes quelques guitares « jangly » chez TFC mais c’est pas un groupe bêtement folk-rock, car le groupe sonne avant tout comme TFC et non pas un groupe californien fantasmé des sixties. Il y a plutôt chez TFC une reconnaissance de la filiation mais sans chercher à être si déférents que ça aux références. C’est plus une sorte de continuité et de famille. C’est d’ailleurs un des points que je développe dans ce texte il me semble.

      1. Merci pour votre réponse. Je me suis rendu compte dans l’intervalle que ce qui m’avait le plus choqué… ne figurait pas dans votre article, mais dans la newsletter reçue dans ma boîte mail, qui parlait de « Byrds écossais »… Je crains donc d’avoir plutôt répondu ici à cette newsletter (signée Etienne Greib, je crois) qu’à votre article proprement dit, et je vous prie de m’excuser pour cette confusion. Quant à TFC, je les aime plutôt bien – je suis encore allé les voir en concert l’an passé. Mon propos ne vous vise donc pas personnellement (ni les sympathiques groupes écossais), mais plutôt une certaine habitude générale, vieille de près de quarante ans, consistant à fabriquer une étiquette byrdsienne au seul motif de la guitare « carillonnante » – ce qui est un cliché indie qui n’a pas varié depuis les fanzines de l’afterpunk (un cliché, donc fondé sur une part de réalité… posée sur un océan d’oubli de tout le reste, en l’occurrence tout ce qui participe au sens d’une chanson). D’un côté (TFC), il y a un charme, et de l’autre (Byrds) une grandeur. Confondre le charme et la grandeur, n’est-ce pas LE travers indie par excellence ?
        Notez bien que je ne parle même pas de « préférer » l’un à l’autre : il y a des jours où je vais préférer écouter TFC. Il y a même des jours où je vais préférer écouter des groupes qui ne savent pas jouer du tout, pas chanter, rien. Je ne me place pas dans une hiérarchie, ce qui est toujours plus ou moins un truc de curé, pour des gens qui ont besoin d’une transcendance, d’adorer dans le vertical. Non, ce que je conteste dans ce système d’étiquetage par « filiations », où tout sera nivelé dans une formule telle que « des Byrds écossais », et fondé sur des ressemblances superficielles, paresseuses, un peu pavloviennes (une guitare fait ding-dong, le critique sort sa carte Byrds), c’est qu’il ne permet plus de repérer la grandeur lorsque nous avons besoin d’elle.
        Par exemple, je pense que le dernier album de Holy Shit / Matt Fishbeck (celui sorti en vinyle chez un éditeur de livres de philo) est pétri de grandeur. Sauf que les gens qui vont s’y intéresser (donc grosso modo : vous, la Section 26) ne diront jamais en quoi c’est grand, ce qu’il fait, sur cet album. Votre système d’étiquetage par filiations va se mettre en place, aidé par l’intéressé lui-même (qui se place cette fois sous les auspices de Christophe, je crois) et ne pas permettre d’examiner de quoi, de quelle matière inédite, sont réellement faites ces chansons. Là j’élargis vraiment le propos et m’adresse à l’ensemble de votre équipe : tant qu’à ne pas être payé pour écrire, autant être libre, tout réinventer, et laisser tomber les guitares « carillonnantes », les harmonies forcément « célestes », les mélodies toujours « imparables » – tout ce que les lecteurs n’ont plus voulu acheter en kiosque -, et profiter de votre liberté nouvelle pour commencer à parler des chansons, du sens des chansons, de l’acte que représente le fait d’écrire une chanson. Une sorte de politique des auteurs appliquée à la pop, oui. Il faudrait que cela passe un peu plus par la description, un peu moins par le jugement.
        Encore une fois : vous n’êtes pas personnellement en cause, je vous glisse cette suggestion dans l’espoir qu’elle fera son chemin au sein de votre équipe. Bon, je vais aller préparer le déjeuner en écoutant très fort Songs From Northern Britain (ah ah ah), vous m’avez donné l’envie de le réécouter, mine de rien 🙂

        1. Je ne suis pas sûr d’être capable d’analyser aussi profondément une chanson. Même sur des disques que j’ai énormément écouté je ne suis pas sûr de savoir saisir les intentions.

          Personnellement quand j’écris sur la musique j’essaie de:
          – donner envie d’écouter
          – de décrire la musique – et je tiens à citer des influences ou des groupes similaires (c’est souvent « mal vu » pourtant ça permet de faire des passerelles dans les deux sens)
          – de comprendre comment un disque s’inscrit dans la discographie d’un groupe ou une époque

          J’avoue ne pas être en mesure de détecter la dimension psychologique sauf dans de très rares cas précis bien documentés. J’aurais toujours aussi peur de faire du « HS » et prêter des intentions qui n’y étaient pas.

          Sinon je persiste et signe: je trouve ça normal qu’une guitare carillonnante évoque les Byrds même si en effet le groupe a énormément à offrir au delà de cette formule. Bref ce cliché ressassé depuis des décennies est à mon avis tout à fait légitime et je l’utilise moi même régulièrement en assumant complètement. C’est plutôt un honneur pour un groupe d’avoir eu une marque de fabrique aussi forte qui soit ensuite entrée dans le langage de la pop. Bien sûr que cela réduit un peu la beauté de la musique des Byrds mais en soi cela permet aussi aux gens de s’intéresser au groupe non ?

          En tout cas tu peux lire d’autres trucs de moi aux sujets des Byrds ou des groupes qui s’en inspirent si tu veux en savoir plus sur mes positions sur le sujet (le « jangly » entre autre):
          http://www.requiempouruntwister.com/2013/08/playlist-ete-2-byrdsian-nam-nam.html
          http://www.requiempouruntwister.com/2016/05/the-byrds-jingle-jangle.html

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