En 2014, dix-huit ans après le précédent volume, sortaient les compilations Back From The Grave 9 et 10 : un événement tant cette série a marqué profondément la scène garage. L’histoire démarre au début des années quatre-vingt. À cette époque, la compilation Nuggets fait de nombreux émules. Parmi eux, la série Back From The Grave s’impose comme une des références absolues pour le garage-rock cru et brut. Le premier volume paraît en 1983. Il fait suite à des disques tels que les Pebbles de Greg Shaw (1978), Off The Wall (1982) ou la série Mindrocker (1981). Si l’objectif de l’anthologie créée par Lenny Kaye et Jac Holzman était de mettre ensemble des bons morceaux à moitié oubliés, souvent des petits tubes, celui de Tim Warren est un peu différent. L’Américain est en mission. Il cherche dans les tréfonds de la production états-unienne, des morceaux pas du tout professionnels, portés par un esprit sauvage et débraillé.
L’amateurisme est une marque de fabrique des Back From The Grave. Il situe le propos quelque part entre les Shaggs et l’Art brut. Le garage-rock défendu par Tim Warren est une musique de marginaux. Ces outsiders ne feintent pas, il ne sont pas là pour la posture, ni être appréciés de leurs camarades. Ils sont déjà des perdants aux milieux des jocks de leurs bahuts. Ces gamins jettent alors leurs forces dans la musique et copient maladroitement leurs idoles britanniques (Kinks, Yardbirds, Rolling Stones…) avec panache et sans honte. Cinquante-cinq ans plus tard, cette musique garde une force vitale singulière. Elle agit comme une décharge électrique dans l’échine. Dès le premier volume, Back from the Grave s’impose comme une référence, développant une personnalité atypique au milieu des autres séries. Elle attire les plus punks des passionnés de sixties. Chaque disque révèle ainsi son lot de classiques repris par tous les groupes aspirants à retrouver cette verve débridée (Black Lips, Thee Vicars etc.). Au delà de la musique, l’esthétique Back from the Grave contribue à rendre ces compilations si spéciales. Les notes de pochettes ont un humour corrosif, n’hésitant pas à brocarder la musique post-1967. Les pochettes, signées du dessinateur de comic underground Mort Todd, contribuent aussi à définir le style Back from The Grave. Les visuels se foutent ainsi de la gueule de la disco, des hippies, du heavy metal, de l’aérobic etc. Des zombies rigolards de série Z s’attaquent à l’establishment sans faire de détail. Tout le monde en prend pour son grade, sans distinction. En 2021, l’esprit Back From The Grave ne serait pas si bienveillant, tant les contenus seraient policés, évitant la négativité. Pourtant cette affaire est surtout potache, elle exorcise une époque (les années 80) ne faisant que peu de place au rock n roll dans son plus simple appareil, le sacerdoce de Tim Warren. Il y a déjà tout dans le premier volume de la série : de la rage, de la frustration, du jeu approximatif et une surtout cette énergie irradiante qui vous explose à la figure. That’s the Bag I’m In des Fabs de Fullerton est un des temps forts du disque. Ce morceau a tout ce que les punks aiment dans cette musique : le chanteur est comme possédé, il y a un orgue criard et une fuzz qui vous scie en deux. Comme le veut la coutume, le groupe se contenta d’un simple single en 1966 avant de disparaître dans les limbes de l’anonymat. Les Malibus ne font pas tellement mieux, avec une modeste contribution de deux 45 Tours. Leur chanson Cry a cependant tout du classique sale et sauvage. Les Rats d’Akron dans l’Ohio ouvrent le bal de la face B avec un single dément, Rats Revenge, en deux parties. L’absence de succès commercial de ce 7 pouces n’étonne guère tant cette musique semble dérangée et bancale. Sur Catamaran, les Allah-Las ont pompé sans vergogne la fantastique Night of the Phantom/Sadist de Larry and the Blue Notes de Fort Worth dans le Texas. Les reprises ont aussi leur place sur les Back from the Grave. Les Swamp Rats (Pittsburg) se déchaînent sur Psycho des Sonics tandis que les One Way Streets (Zanesville, Ohio) saccagent Jack the Ripper de Clarence Stacy. À n’en pas douter, cette cover a inspiré (avec les Gruesomes) la version des Horrors de 2006. Les Back From the Grave sont devenus, par conséquent, un fil rouge, d’une certaine scène underground, passant du garage-punk des années 90 (The Gories, Oblivians, The Mummies, The Dirtbombs) jusqu’à la récente scène californienne, autour de Ty Segall et Oh Sees. Elles sont un phare aveuglant pour celles et ceux qui cherchent autre chose dans la musique : de la vitalité, moins de politesse et de conformisme, plus de lâcher pris
Très bon article.
A noter sur le volume 3 de la série au format LP, la présence des Raunch Hands (Mariconda, Chandler, Edison…) groupe pas du tout 60’s mais membre de l’écurie Crypt de Tim Warren avec entre autres Oblivians, JSBX, Devil Dogs, New Bomb Turks, Gories…
Hello Fred,
Effectivement il y a un morceau des Raunch Hands sur le troisième volume ! J’ajouterai que sur le premier pressage du premier volume, il y a une reprise réalisée par Jeff Conolly des Lyres/DMZ. Elle a été enlevée des versions suivantes.
Salut Alexandre
Et bien…. je ne savais pas ! Thanx!