Un monde nouveau

Une des têtes pensantes du groupe krautrock Neu! revient sur son parcours à l’occasion de son passage au festival BBMix

Michael Rother / Photo : Vittoria Maccabruni
Michael Rother / Photo : Vittoria Maccabruni

Il y a cinquante ans, le guitariste Michael Rother et le batteur Klaus Dinger, fraichement échappés de Kraftwerk, enregistraient sous le nom de Neu! l’un des albums les plus importants de toute l’histoire du rock, un disque dont les inventions saisissantes et la radicalité formelle permirent notamment d’imposer, avec force et autorité, l’idée d’un krautrock visionnaire, hypnotique et très physique qui n’a jamais cessé d’apparaître comme l’une des principales sources d’inspiration de certains des plus fameux acteurs du rock de ces cinq dernières décennies. Pour célébrer cet anniversaire, le label Grönland ressort l’intégrale du duo (les trois albums, tous indispensables, plus les désormais inévitables sessions de 1986) augmentée d’un album de remixes inédits impliquant Mogwai, The National, Idles ou Yann Tiersen, entre autres, le tout présenté dans un somptueux coffret orange.

En 1972, dans une année qui, pourtant, ne manquait ni de classiques en devenir (Harvest, Ziggy Stardust, Transformer, Exile on Main Street, Pink Moon, Clear Spot, I’m Still in Love with You, etc), ni de grands disques visionnaires (Can’t Buy a Thrill de Steely Dan et #1 Record de Big Star, notamment), le premier album de Neu! était d’abord apparu comme un OVNI complet, imposant une musique sidérante et totalement nouvelle (« Neu ! », pouvait-on s’exclamer) qui, à la différence de celle de Kraftwerk (pour rappel, on était également deux ans avant Autobahn, le premier grand succès du groupe), par exemple, s’avérait au moins aussi cérébrale que terriblement physique, voire viscérale.

C’est, en tout cas, ce que l’on peut retenir du toujours époustouflant Hallogallo, titre-fleuve sur lequel s’ouvre ce premier opus : dix minutes de trip pur combinant avec génie une section rythmique formidablement entraînante, obsédante et presque “motorisée” à de prodigieuses divagations guitaristiques (dont beaucoup étaient jouées à l’envers sur la table de mixage) conférant à l’ensemble une dimension singulièrement vaporeuse et hallucinée. En pleine ère post-psychédélique, Hallogallo apparait non seulement comme un morceau farouchement ancré dans son époque (Michael Rother raconte que le titre était même joué, dès 1972, dans certaines discothèques allemandes !), mais aussi comme un incroyable saut dans le temps, propulsant l’auditeur dans un futur aussi mystérieux et lointain qu’irrépressiblement attrayant.

Autre coup de génie de ce premier opus qui semble avoir ouvert une nouvelle voie vers l’avenir avec chacun de ses six titres, le saisissant Negativland plonge l’auditeur dans une agressivité proto-punk et des sonorités pré-industrielles qui, cinquante ans après, semblent toujours aussi modernes et déroutantes. Plus abstraits, les autres morceaux n’en demeurent pas moins visionnaire, puisqu’avec Sonderangebot, Im Glück ou Lieber Honig, par exemple, le disque chemine habilement entre rock expérimental, ambient et field recording, brouillant les codes de l’époque pour mieux les reformuler et en inventer de nouveaux. Au final, ce redoutable Neu! est probablement l’album qui, en marge de la révolution électronique amorcée par Kraftwerk et l’immense Harmonia (l’autre groupe de Michael Rother), a le mieux incarné l’idée d’un krautrock radical dans la forme et très en avance sur son époque.

Vendu à 30 000 exemplaires l’année de sa sortie, Neu! fait partie des grands albums qui auront touché un public d’amateurs éclairés avant de commencer à atteindre une audience plus large. À l’instar du premier opus du Velvet Underground, sorti cinq ans plus tôt, le coup de génie originel de Rother et Dinger se sera donc d’abord imposé au pays des musiciens avant d’être reconnu plus globalement grâce aux nombreux groupes qui, au fil des années, auront eu l’intelligence de s’en inspirer et l’honnêteté de revendiquer son influence.

Dinger / Rother
Dinger / Rother

Parmi ceux-ci, comment ne pas citer David Bowie, éternel fureteur, toujours désireux de se rapprocher des grands innovateurs de son temps, qui avait invité Michael Rother à participer à l’enregistrement de Heroes en 1977 ? Aujourd’hui, après des années de rumeurs plus ou moins contradictoires, le guitariste raconte volontiers que si cette collaboration ne s’est jamais concrétisée c’est en raison d’une incompréhension sur le contrat qui devait encadrer sa participation à cet enregistrement.

Il reste que Bowie est loin d’avoir été le seul à s’inspirer de l’œuvre du duo Dinger-Rother. De Chrome à Radiohead, en passant par Primal Scream, Tortoise, Cave, Death In Vegas, le Wilco de A Ghost Is Born, mais aussi Jim O’Rourke, Pink Mountaintops, les Japonais de Minami Deutsch ou les Kurt Vile et War On Drugs de Childish Prodigy et Wagonwheel Blues, les héritiers de Neu! sont légion et ont, eux-mêmes, réalisé certains des disques les plus passionnants et inspirants de ces cinq dernières décennies.

Installé dans l’un des salons de l’hôtel Pigalle (Paris 9e), Michael Rother, 72 ans depuis début septembre commence par se souvenir de la fin des années soixante, époque où la scène krautrock était encore très embryonnaire. En ce temps-là, certains groupes comme Can, Tangerine Dream, Amon Düül II et Popol Vuh étaient déjà actifs, tandis que d’autres comme Ash Ra Tempel, Faust ou Kraftwerk s’apprêtaient à émerger. La jeunesse allemande était en plein éveil, décidée à faire table rase du passé nazi et prête à faire émerger des œuvres discographiques ou cinématographiques (Fassbinder, Herzog, etc) aussi politiques dans le fond que radicales dans la forme.

Spirits Of Sound
Spirits Of Sound

Assurément, il se passait des choses dans tous les coins de cette ex-Allemagne de l’Ouest. À Berlin, Munich, Cologne ou Düsseldorf, de nouveaux groupes commençaient à se faire connaître, mais aucune de ces scènes locales ne parvenait à enclencher un mouvement plus global permettant d’asseoir enfin l’émergence de cette mouvance complexe, très diversifiée et radicalement novatrice que l’on désigne, toujours un peu sommairement, par le seul terme de krautrock. De son côté, Michael Rother était à Düsseldorf, avec Spirits Of Sounds, son premier groupe. « Je crois qu’il est difficile d’imaginer aujourd’hui à quel point nous étions tous très isolés durant cette période. Dans les années soixante, je ne connaissais pas les groupes qui émergeaient ailleurs. Nous n’avions pas vraiment de journaux ou de magazines pour nous informer de l’actualité musicale et les radios étaient toutes très conservatrices dans leur programmation. Notre horizon se limitait vraiment à ce que nous pouvions observer autour de nous, chacun dans notre propre ville. Moi, je parlais de musique avec mes amis et les musiciens avec lesquels je jouais. Je connaissais aussi quelques groupes de Düsseldorf, mais cela n’allait pas beaucoup plus loin. Ce n’est que plus tard, en rejoignant Kraftwerk, que j’ai vraiment commencé à découvrir ce qui faisait à Munich, Berlin ou Brême, notamment. » Michael Rother se souvient, par exemple, d’avoir partagé une affiche avec Can en 1971. « Avec Kraftwerk, nous avions assuré leur première partie. Pour être tout à fait honnête, leur concert ne m’avait pas spécialement bouleversé, seul Jaki Liebezeit m’avait impressionné. C’était vraiment un magicien de la batterie ! Je me souviens aussi que nous avions pu assister à un concert de Tangerine Dream dans le studio d’une radio qui nous avait invités pour une interview… Pour moi, Popol Vuh était venu un peu plus tard, vers 1972. »

En quittant Kraftwerk, Michael Rother a dans l’idée de développer son propre projet et, surtout, d’imposer une musique à la fois très personnelle et totalement nouvelle. « Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que je n’étais pas spécialement désireux de connaître les nouveaux groupes de l’époque. Au contraire, je voulais créer une musique qui soit réellement originale et, pour y parvenir, j’avais surtout besoin de réduire mon champ d’attention. À mes yeux, il était essentiel que je puisse me concentrer sur ce que j’avais en moi et ce que je voulais vraiment. Tout ce qui m’importait était de voir ce que je pouvais faire avec les musiciens que je côtoyais, ceux avec lesquels je pouvais collaborer, c’est-à-dire des gens comme Klaus Dinger, Florian Schneider, Hans-Joachim Roedelius et Dieter Moebius, Conny Plank, Jaki Liebezeit, etc. C’était avec eux que j’échangeais au sujet de la musique que j’avais en tête. »

Né à Hambourg, Rother a beaucoup bougé durant son enfance, avant que sa famille se stabilise plus durablement à Düsseldorf. « Au départ, nous étions à Hambourg, puis nous avons déménagé à Munich quand j’avais 4 ans. Ensuite, quand j’ai eu 9 ans, nous avons vécu onze mois à Manchester, en Angleterre, puis nous sommes partis au Pakistan, où nous sommes restés trois ans. Après cela, ma famille est rentrée en Allemagne, à Düsseldorf. Nous aurions sans doute encore bougé, aux États-Unis ou ailleurs, mais mon père est mort et nous sommes finalement restés où nous étions. Cela dit, il est clair que ces déménagements fréquents, cette expérience de la vie à l’étranger et la découverte de cultures parfois très différentes comme celle du Pakistan, bien sûr, m’ont permis d’ouvrir les yeux et l’esprit à un âge où l’on pense généralement à autre chose. »

Fondé sur la combinaison de l’impressionnante vitalité du jeu du batteur Klaus Dinger et de la redoutable intelligence des concepts imposés par Michael Rother, le son si particulier de Neu! ressemble à l’union du feu et de la glace. « Pour moi, ce qui a fait la spécificité du son de Neu! c’était d’abord ce jeu de batterie qui peut sembler très simple, presque primitif, et qui file tout droit vers l’horizon sans jamais s’arrêter, en libérant peu à peu son énergie, mais aussi des éléments de drone probablement hérités de mes souvenirs du Pakistan, où j’ai vécu plus jeune. Cela dit, attention, je ne suis pas en train de dire que la musique de Neu! venait du drone pakistanais, mais plutôt que j’y retrouve cette même idée d’infinité dans la musique qui, à mes yeux, est aussi associée, par exemple, aux souvenirs des routes interminables que je voyais là-bas. En tout cas, je crois que j’ai toujours été sensible à cette idée d’infinité. Par exemple, j’ai une affection particulière pour les récits qui semblent tourner en rond, sans début ni fin… Selon moi, la musique de Neu! est une combinaison de ces idées personnelles et du jeu très physique et énergique de Klaus Dinger. » Selon lui, ce jeu est également l’une des rares influences possibles qu’il parvient à identifier chez l’un des grands prédécesseurs de Neu!, le Velvet Underground. « Le jeu de Moe Tucker était très inspirant. Il avait quelque chose de très direct. Je me souviens que cela m’avait frappé lorsque j’avais vu le Velvet Underground jouer I’m Waiting for the Man en live dans un film allemand de la fin des années soixante. J’aimais la dynamique de son jeu, cette approche à la fois très simple, directe… Le jeu de Klaus Dinger jouait aussi un peu comme ça dans ses différents groupes des années soixante. »

Pour Michael Rother, Klaus Dinger et beaucoup d’autres musiciens allemands du tournant des années 70, l’invention de nouvelles musiques est non seulement une façon de tirer un trait sur le passé et les horreurs de la guerre, mais aussi, inévitablement, un moyen de s’affirmer face à l’hégémonie de la culture américaine, très présente en Allemagne, et, plus spécialement, du rock anglais et américain. « À cette époque, le monde de la musique était entièrement dominé par les artistes anglais et américains. La presse allemande ne parlait quasiment que d’eux. À cela, il fallait ajouter le contexte politique et notamment la guerre du Vietnam à laquelle j’étais fermement opposé. Les images de cette guerre et celles des enfants brûlés par le Napalm américain nous avaient semblé insupportables. Mais au-delà de ce contexte politique il y avait surtout la recherche de mes propres racines musicales. Et ça, c’était une démarche très personnelle et essentiellement artistique. Par exemple, je savais que même si je pouvais m’inspirer de tel ou tel aspect de la musique pakistanaise, mes racines musicales restaient en Europe centrale et qu’elles n’avaient pas grand-chose à voir avec celles de la musique anglaise ou américaine. »

Autre élément fondamental du nouveau son imposé par Neu!, le producteur Conny Plank est souvent considéré comme une sorte de troisième membre officieux du groupe. « La contribution de Conny Plank dans l’invention de notre musique est considérable. La façon dont il a mixé, construit et réinventé des titres comme Hallogallo ou Negativland nous a vraiment permis d’étoffer et de renforcer l’idée de mouvement perpétuel que nous tenions à exprimer avec notre musique. Son approche du phasing sur un titre comme Negativland, par exemple, était très artistique et a énormément apporté à note musique. »

Conny Plank
Conny Plank

À cette époque, Plank n’a pas encore de studio, mais il travaille beaucoup à Hambourg. En 1972, il a déjà signé les premiers albums de Kraftwerk, Cluster et Ash Ra Tempel, mais aussi le fameux Just a Poke, classique enfumé, et un peu daté, de Sweet Smoke qui a surtout marqué pour son éloge fièrement assumé de la consommation de cannabis. « Conny Plank n’a lancé son propre studio qu’en 1974. Avant cela, nous allions à Hambourg et nous louions un studio sur place pour quelques jours. Pour l’enregistrement de notre premier album, nous n’avions même pas de contrat avec une maison de disques. Nous avions très peu d’argent, donc nous ne pouvions pas louer le studio pour une trop longue durée. Lorsque nous allions en studio, nous posions l’argent sur la table et nous demandions : “À combien de temps avons-nous droit pour cette somme ?” Pour le premier album, nous y étions restés quatre nuits. Mais c’était aussi le prix de notre liberté. Comme les maisons de disques ne payaient rien, elles ne pouvaient rien nous imposer ; nous leur amenions un produit fini et, ensuite, elles l’achetaient ou pas. Elles ne pouvaient rien dire d’autre ! »

Deux ans plus tard, Neu! revient avec un deuxième album également révolutionnaire, le très sobrement nommé Neu!2. « Pour ce disque, nous avions eu plus de temps, sept jours au lieu de quatre, mais nous avions aussi pu utiliser seize pistes au lieu de huit sur le premier. Ce changement nous avait donc poussé à ajouter d’autres instruments et nous étions devenus un peu fous en travaillant sur les détails du disque. Finalement, au soir du sixième jour, nous avions constaté que nous n’avions finalisé que la première face de l’album. Nous avions donc dû chercher une solution pour la deuxième… »

La solution trouvée par les deux musiciens sera de remplir les vides de la deuxième face avec des versions accélérées et ralenties de certains titres comme Super et Neuschnee. « Notre maison de disques n’aurait sûrement jamais accepté cela si elle avait eu son mot à dire. Or ce n’était pas le cas. Nous avions gagné un peu d’argent avec le premier disque, donc nous avions pu réinvestir l’argent dans un studio mieux équipé avec l’idée d’y rester plus longtemps. De leur côté, les gens du label ne comprenaient rien à ce que nous et d’autres groupes comme Cluster ou Guru Guru faisions, mais ils sentaient qu’il se passait quelque chose. Ils voyaient qu’il y avait des gens pour acheter ces disques un peu dingues et comme ils étaient bénéficiaires, ils ne pouvaient rien nous dire. Donc ils nous laissaient faire ! » Intitulés Super 16, Super 78 ou Neuschnee 78, en référence aux vitesses de diffusion de chacun des morceaux, ces morceaux trafiqués feront beaucoup réagir à l’époque. « J’étais certain que nous allions nous faire massacrer pour cette deuxième face. Et, d’ailleurs, cela n’avait pas loupé : la presse nous avait descendus en flèche ! Les gens disaient que nous nous étions moqué d’eux ! Moi, ça m’allait, je l’assumais, mais il faut bien reconnaître que la plupart des gens ont attendu vingt ou trente ans avant d’admettre que cette seconde face avait des côtés intéressants et qu’elle n’était peut-être pas aussi insupportable qu’ils avaient pu l’imaginer initialement. D’ailleurs, Tarantino a utilisé Super 16 dans la B.O. de Kill Bill. Bon, il a surtout eu l’idée après avoir vu un film chinois des années 70 qui avait aussi utilisé ce titre, mais lui, au moins, il nous a payés ! »

En 1973, Michael Rother entame une collaboration avec Dieter Moebius et Hans-Joachim Roedelius, les deux membres de Cluster. Nommé Harmonia, ce trio révolutionnera la musique électronique de l’époque, représentée par des groupes comme Tangerine Dream, Kraftwerk ou le plus confidentiel Seesselberg, notamment, en imposant une musicalité et des mélodies dont l’influence se fera sentir jusqu’à la pop synthétique anglaise du début des années quatre-vingt. « Nous n’avions eu aucun succès avec Harmonia », résume aujourd’hui, laconiquement, Michael Rother.

Sorti en janvier 1974, Musik von Harmonia, le premier opus du groupe, aura néanmoins une influence capitale sur deux des disques majeurs de cette même année, le Zuckerzeit de Cluster, que Roedelius et Moebius enregistreront juste après Musik von Harmonia avec Michael Rother à la production, et l’immense Autobahn de Kraftwerk, sorti en novembre.

Enregistré au tournant de l’année 1975, Neu!75, le troisième album du duo Rother-Dinger se présentera différemment. « À ce stade, Conny Plank avait son propre studio, donc nous avions eu la possibilité d’y rester deux semaines au lieu d’une seule. Nous avions également reçu une avance plus confortable, ce qui nous avait un peu facilité les choses. » Désormais, le groupe a aussi évolué. Michael Rother a connu Harmonia et Klaus Dinger a d’autres aspirations (qui se concrétiseront, d’ailleurs, dès l’année suivante avec le premier opus de son groupe La Düsseldorf). « Klaus voulait se retrouver davantage au centre de la scène. Pour notre troisième album, nous avions décidé de séparer le disque en deux avec une première face en duo, comme auparavant, et une seconde en quartet, avec Klaus à la guitare et au chant. » Logiquement, la première face du disque portera les traces des rêveries électroniques de Musik von Harmonia.

Symbole de la prise de pouvoir de Klaus Dinger sur la deuxième face du disque, l’excellent Hero s’imposera non seulement comme l’un des titres les plus influents du proto-punk des années 70, mais aussi, étrangement, comme une anticipation lumineuse d’un certain rock des années 80, marqué par le punk. « Hero reste un de mes morceaux préférés sur nos trois albums, car je crois que Klaus Dinger est parvenu à parfaitement y utiliser et canaliser toute la frustration et la colère qu’il avait en lui à ce moment-là. Cela n’avait rien de politique ; en fait, c’était surtout un mélange de ce qu’il ressentait dans son rapport au pouvoir, avec son label, mais aussi avec la presse, ainsi qu’avec son ex-copine qui venait de repartir en Norvège. »

Décédé en 2008, Klaus Dinger aura révolutionné le rock de son temps grâce à la force de son jeu à la fois puissant, presque brutal et parfaitement régulier, “motorisé” comme beucoup l’ont décrit, même si Michael Rother n’aime pas particulièrement ce qualificatif. « Je sais qu’on a souvent comparé son jeu à une sorte de “moteur” parfaitement huilé, mais Klaus repoussait toujours ce genre de comparaison. Et moi aussi, d’ailleurs… Surtout, il me semble que cette approche traduit aussi une incompréhension de ce qui faisait la dynamique de notre musique, cette marche en avant qui semblait ne jamais devoir s’arrêter. En gros, si vous réfléchissez à la nature de cette dynamique, vous comprendrez vite qu’elle n’est pas seulement liée au jeu de batterie de Klaus, mais aussi, beaucoup, à tous les éléments qui viennent s’y ajouter : la guitare, le piano, etc. En gros, tous les instruments qui interviennent dans le flux du morceau. »

Apparu à un moment où le rock psychédélique était encore très présent et commençait à se transformer dans le rock occidental, le nouveau son de Neu! n’a, en revanche, rien à voir avec l’univers des drogues. En effet, s’il est évident que cette façon de saisir l’auditeur, de l’embarquer presque physiquement dans un long voyage musical avait largement de quoi capter l’attention des derniers égarés du rock psychédélique (et elle l’a, probablement, aussi fait, d’une certaine manière), les drogues ont toujours été proscrites dans les créations de Neu!. Michael Rother est même très clair à ce sujet : « J’ai toujours considéré que ma musique devait pouvoir toucher les gens et les convaincre sans que j’aie à passer par l’usage des drogues. Dans mon esprit, j’étais compositeur, musicien et j’avais pour ambition d’enregistrer ma musique, ce qui signifiait que je croyais aux mélodies, au rythme, aux structures musicales et aux expérimentations ; pour moi, les drogues n’avaient pas de place dans ce projet. (…) Avec Klaus Dinger, nous avions l’ambition d’enregistrer une musique qui soit complètement neuve et, surtout, très différente de ce qui se faisait à notre époque, y compris du côté des groupes de rock psychédéliques qui expérimentaient la création musicale sous drogues. Cela peut sembler arrogant mais, pour nous, cette idée d’être véritablement “nouveaux” était bien plus importante que tout le reste, à commencer par la question du recours aux drogues. »

Au cours des années 70, Michael Rother aura enclenché deux des plus importantes révolutions musicales de son temps, d’abord avec Neu!, puis avec Harmonia. Son héritage reste immense, même s’il se résume aussi à un total de cinq albums. « Pour moi, les quatre ou cinq premières années auront surtout été des années d’apprentissage. De 1971 à 1976, en gros jusqu’à l’enregistrement de Flammende Herzen (son premier album solo en 1977, ndA), j’ai vraiment vécu une période très intense, largement consacrée au développement de mes propres idées et à la découverte de ce que je pouvais réaliser. Sur des morceaux comme Hallogallo ou Weissensee, par exemple, je ne m’appuyais que sur une seule note, alors que sur Deluxe (1975) de Harmonia, je parvenais à m’appuyer sur des cycles d’harmonies qui, selon moi, se justifiaient et avaient un sens, une utilité. Je pense que cette période durant laquelle j’ai beaucoup appris et expérimenté est aussi ce qui a rendu possible un disque comme Neu! 75. »

Alors que l’entretien se termine, Michael Rother glisse un bien étrange aveu : « Au total, Neu! n’aura donné que sept concerts, tous en 1972. » Avant d’ajouter : « Nous avions essayé, mais nous n’étions pas à l’aise, cela ne marchait pas, donc nous avions laissé tomber. »


Michael Rother & Friends célèbreront 50 ans de Neu! au festival BBMIX le 26 et 27 Novembre au Carré Belle-Feuille de Boulogne-Billancourt.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *