C’est Enrique Vila-Matas, je crois, qui avait l’habitude d’écrire un court récit portant sur une ville qu’il ne connaissait pas. Il écrivait avant d’aller se rendre sur place et ensuite comparait les deux visions. C’est une belle et vieille coutume que je partage avec l’auteur barcelonais. L’intuition vient se greffer aux stéréotypes. La réalité déçoit parfois ou subjugue rarement. C’est un équilibre fragile, assez poétique, entre pensée magique et rationalité.
J’avais ainsi mes impressions de Porto grâce à un court récit, écrit, peu avant mon voyage. Et en me rendant près des rives du Douro, en regardant la brume matinale s’effilocher entre les tuiles, c’est comme si mes pensées écrites m’attendaient là, depuis toujours. Bien sûr, il y a les rendez-vous ratés. Je voyais Nantes plus grande et moins étriquée, imaginant de beaux parcs longeant la Loire. Je désirais, dans mon imaginaire, une nature douce et omniprésente. La folie immobilière m’aura offert surtout une belle panoplie de ciments bruts. Ailleurs, Lisbonne et Barcelone allaient me livrer de superbes coïncidences, entre écrit et vécu. J’ai ce même sentiment d’étrangeté lorsque je lis la vie d’une autre personne. J’ai rêvé longuement la vie de Maria Casarès, tombant sous son charme après avoir vu Les Dames du Bois de Boulogne de Robert Bresson. Drapée de noire, terrible et vénéneuse, j’avais ma petite rengaine concernant la vie de Maria Casarès avant de lire L’Unique, d’Anne Plantagenet. L’enfance – qui restera ancrée en elle sous la forme d’une brume, celle de Galice et que Casarès ira récolter en Bretagne – occupe de merveilleuses pages. Cette femme tragique et secrète – que l’on découvre dans ce beau livre – fut telle que je l’avais imaginée. Unique. Et puis, dans l’art d’une reprise musicale, on retrouve parfois une version qu’on avait pu imaginer pour soi. Cette belle altérité vient à nous dans le réel, très rarement. Hand Habits m’offre, ces derniers jours, la réalité d’un I Believe In You de Neil Young que j’ai lentement fantasmé. Quelques notes de piano, des accords frappés façon Red House Painters et la voix de Meg Duffy. Une autre rive se dessine pour cette sublime chanson, une terre que je reconnais immédiatement. La musique est un cadeau lorsque l’on ne s’offre plus au monde. C’est ce qui arrive au personnage principal d’Un Cœur en hiver de Claude Sautet. Une jeune femme offre la vie – sous la forme musicale d’un Trio et Sonates de Ravel – à un jeune homme qui s’emmure dans un refus du geste, de la candeur et de l’amour. Ravel traverse le film. La musique est belle, tellement, à en oublier toutes les fins, les silences et les morts qui traversent nos vies.