Il n’est jamais aisé de parfaire la spontanéité, de progresser dans l’imperfection ou de peaufiner le fragile. Représentant notable de cette culture indie-pop qui nous tient précisément à cœur pour cette capacité à ériger l’approximation en étendard de l’œuvre, Tim Cohen est parvenu à accumuler sous diverses appellations – The Fresh & Onlys, Magic Trick – une bien jolie collection de petits bibelots d’inconstance sonore, attachants du fait même de leur incapacité à procurer la plénitude, vacillant souvent d’un style à un autre – tantôt folk, tantôt garage ou psychédélique. Toujours enraciné dans les cultures musicales de son San Francisco d’attache, Cohen se risque, à l’occasion de ce sixième album solo, à canaliser davantage son inspiration foisonnante en conférant à ses créations une forme plus ambitieuse et plus aboutie.
Enregistré pour la toute première fois dans le cadre plus professionnellement contraignant d’un « vrai » studio et avec l’aide précieuse du fidèle James Barone (Beach House), You Are Still Here ose laisse affleurer les sons d’une certaine discipline, sans pour autant étouffer le souffle salutaire de l’amateurisme inspiré. Au cours des trois semaines d’enregistrement – soit l’équivalent d’un lustre pour cet ancien partisan de l’instantané et de la première prise – les compositions ont indéniablement acquis une ampleur inédite, servies par des arrangements diversifiés et pertinents qui servent aussi bien les psalmodies teintées de gospel de Rage On, que la cavalcade façon western de Almost Enemies où l’on entend tout à coup s’esquisser une parenté musicale lointaine et surprenante au sein de la famille Cohen, entre Tim et Leonard. Ici et là, les cuivres pointent même parfois l’extrémité de leurs embouchures, sans dénoter pour autant. Heureusement, il ne s’agit pas, en l’occurrence, de lisser d’éventuelles aspérités ou de prétendre se rapprocher de l’horizon d’une perfection formelle illusoire. Plutôt d’accompagner au plus près et au plus justes les divagations poétiques de Cohen, toujours étonnantes, en leur conférant les accents qui les servent, qu’il s’agisse des considérations mystico-métaphysiques réconfortantes de Homeless, du haiku inquiétant de A Violent Man, ou des adieux en forme de communion naturaliste, sur fond de rencontre improvisée entre Grateful Dead et Stereolab, du magnifique Dadaist Friend. Mis en forme – mais pas trop, parfait juste ce qu’il faut, You Are Still Here marque donc une progression notable dans l’œuvre d’un petit maître contemporain de l’impulsion libre, tout en préservant les respirations essentielles.