The War On Drugs, I Don’t Live Here Anymore (Atlantic)

The War On Drugs, I Don’t Live Here Anymore

Bribes de conversation avec un ami disquaire :

— Mais bordel, pourquoi tu t’infliges ce genre de merde ?!

— Conscience professionnelle, dude. Si des clients viennent m’en parler je suis un peu obligé de savoir de quoi il en retourne. Même si c’est totalement à chier.

J’ai parfois moi aussi, des crises de conscience professionnelle, un peu moins désagréable qu’une colite, mais tout juste. Aussi, après le formidable album virtuel de Daft Punk d’Abba, j’ai écouté pour vous le nouvel album de The War On Drugs. Je l’ai écouté en entier, vraiment, de bout en bout et au moins deux fois. Je pourrais donc affirmer à la va-vite, mais en toute bonne foi, que c’est une merde de plus mais ce n’est pas si simple. Car, un jour, vers 2011, j’ai eu foi en ce groupe. Voir notre Sunday Archive de la veille, histoire de fournir des preuves tangibles, mais oui, j’y ai cru. Pas bien longtemps et merci bien. Pour paraphraser brièvement un Mark Kozelek qui n’est plus en odeur de sainteté pour cause de metoo : « I Hate This Lead Guitar Beer Commercial Shit ».

Adam Granduciel (j’adore ce mec) et ses sbires n’ont eu de cesse que de décevoir mes espoirs illégitimes au point de devenir un sujet de moquerie facile, sinon un cas d’école. Et je conçois tout à fait que dans une époque qui érige la haine de l’autre en buzz permanent, on a peut-être mieux à faire que de dégommer des disques prévisiblement préoccupants. On pourrait tout aussi bien s’en foutre éperdument. Eh bien oui mais non, il me paraît absolument essentiel de maintenir un niveau de détestation critique, et bien au contraire, de formuler l’horreur et l’épouvante au niveau d’un simple album. Et de nous amuser au passage parce que ça risque de ne pas durer très longtemps cette affaire aussi, en fait.

Les eighties j’y étais et c’était globalement nul. Pour Adam Granofsky (Grand/gland du ciel, vous l’avez ?) vu qu’il est né en 1979, ça a dû être une sorte de paradis enfantin, un enchantement permanent, et maintenant qu’il a pris ses galons dans la succession d’un classic rock yankee incontestable, quoique (Dylan, Springsteen, Tom Petty) ce gitan de kermesse est bien décidé à prendre son public de garenne à partie* en lui infligeant un agrégat minable de tout ce qui a fait la laideur absolue de cette période. Quand j’enquiquine ma compagne en retour de soirée en lui faisant écouter Kayleigh de Marillion, c’est pour lui narrer un épisode dramatiquement nul, navrant et ou/détestable de ma vie de pré-adolescent. Il ne me viendrait jamais à l’idée d’en faire, ni un revival, ni un disque. Alors que Granduciel n’a aucun problème avec ça, prenant, qui plus est, un public relativement inculte en traitre pour lui infliger le meilleur de la variété pop rock luxembourgeoise de l’époque. Pompeux, ridicule et aussi bandant qu’un rack de chaussures de randonnées humides après une soirée raclette au refuge, I Don’t Live Anymore consacre définitivement The War On Drugs comme un groupe détestable, parfait pour cette époque si veule.

Quelques détails. Aucune chanson digne de ce nom, nonobstant.

Living Proof, belle ouverture, sobre. Notre héros dans cette belle intensité de la forêt (en fait il habite à Los Angeles, c’est plus pratique pour les affaires) donne l’image du mec qui est en communion avec dame nature (oui c’est un scopitone plus qu’une chanson, vous l’aurez compris) mais c’est vraiment pour faire le point et se recentrer, ses démons intérieurs lui ayant peut être joué un tour pendable. Il ne se passe strictement rien, c’est probablement le morceau le moins pénible du disque, quiconque ayant lu Jim Harrison ou James Crumley a immédiatement des accès de violence, voire des envies de meurtres.

Harmonia’s Dream. À ce niveau de malhonnêteté on ne peut qu’applaudir. Le truc a plus à voir avec Cock Robin (sans la brune jolie qui danse) qu’avec Michael Rother. Une manière de justifier l’absence totale de chanson sous l’excuse d’un référent Krautrock absurde qui ne manquera pas d’éblouir, n’en doutons pas, quelques ravis de la crèche. T’as rien, tu dilues, tu mets un rythme répétitif, deux trois sons de synthés faussement aventureux (pouééét) et le tour est joué. Rusé renard.

Change. Il n’est pas impossible que dans la vie d’un adolescent des années 1980 (et même après, c’est un sujet qu’on prend trop souvent à la légère) il y ait une cristallisation très temporaire, très fugace et totalement sincère avec l’œuvre de Nikola Sirkis. Je vais vous faire un aveu, j’ai moi-même acheté l’album 7000 Danses du groupe Indochine le jour de sa sortie, un sombre jour de 1987. Adam Granduciel avait alors huit ans et à moins d’une proximité inconnue avec des cousins francophones je ne vois pas trop comment il peut nous pondre aujourd’hui, en 2021, en pleine crise sanitaire, ce mash up improbable et assez révoltant entre La Chevauchée Des Champs De Blés et Les Citadelles.

I Don’t Wanna Wait. Imaginez un instant Peter Gabriel en frontman du groupe toulousain Gold (later Émile et Images) dans un magasin de pédales d’effet « boutique ». Solo pourri, effets choisis, on ira jusqu’à évoquer l’Eurovision victorieuse pour le groupe Century.

Excusez-moi, à ce stade, je vais vomir, je prends une douche, mes sels et je reviens.

Victim. Entre Toto et Rose Laurens. À force de faire les zouaves avec le mainstream dans l’Indie Rock US (merci Low et votre reprise sublime d’Africa) il fallait bien que ça arrive. Quelqu’un allait bien finir par prendre ça au premier degré, et ce couillon c’est Adam. Super morceau pour faire ton jogging avec ton AppleWatch, non seulement tu vois la sueur de Tom Cruise dans un mauvais film d’espionnage industriel (disons La Firme mais réalisé par Tony Scott plutôt que par Sydney Pollack) mais en sus, il a oublié son déo. Et ça fouette velu.

I Don’t Live Here Anymore, le morceau titre. J’avais évoqué naguère Simple Minds (groupe plutôt estimable de son vivant**) et ce crétin, décidément, c’est une manie, à de nouveau tout pris au premier degré. Nous sommes là en revanche dans le pire du pire, Once Upon A Time (1985). Mais entre un groupe écossais qui veut conquérir l’Amérique pour ne pas laisser toutes les parts de marché à encore plus ploucs que lui (U2, avais-je besoin de l’écrire ?) et un groupe américain qui cherche à fournir clé en main un humanisme de pacotille pour rester poli, la différence est de taille.

Old Skin. L’horreur. Dort en chiant total. Musique de stade avec les cons bien contents qui allument leurs briquets. À faire passer le double album live de Dire Straits (Alchemy, 1984) pour un pirate kosovar de Royal Trux enregistré du fond des chiottes.

Wasted. Autre chanson de type yogging. Placement produit possible pour une pub de bagnole électrique de type BMW (« Plus que le pouvoir des mots… ») ou la nouvelle Toyota hybride. Bruce, jusque là taiseux et magnanime, part chercher la carabine, les plumes et le goudron.

Rings Around My father’s Eyes. Oh, la belle émotion. ZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZ

Occasional Rain. Conclusion un peu moins douloureuse (du Wilco de stade, au mieux) mais tout aussi chloroformante. Une piste pour l’avenir, et l’occasion de s’en sortir peut être. Juste, une idée. Passer directement à la case The Police sans faire fructifier ces très pénibles élongations, accepter le glamour et ces 80’s qui te tiennent tant à cœur, mon cher Adam. Je vais arrêter d’être salaud, j’ai un plan pour toi. Ne me remercie pas. Vu que tu es absolument incapable d’écrire la moindre chanson, il te faut désormais placer toute ta confiance en une suite de producteurs plus ou moins véreux qui sauront mettre en valeur le vide absolu que tu représentes tout en jouant sur la nostalgie des eighties. Les journalistes adorent se faire avoir avec ce genre de foutaises. Allez, pronto, la liste :

Bref, pour paraphraser un littéraire facétieux***, The War On Drugs viennent de sortir un nouvel album et j’espère qu’ils n’oublieront pas de le rentrer quand il aura fait ses besoins.

* Et pour de braves con(ne)s, preuve en est cette k7 à 20 boules SANS download code, misère.
** Disons à l’extrême limite, jusqu’à New Gold Dream (1982), pour la suite vous pouvez contacter mon excellent camarade Renaud Sachet, dont la passion sans aucunes limite pourra me contredire avec des arguments relativement valables, mais que je ne validerais en aucun cas, nous nous sommes déjà largement expliqués à ce sujet. Cela n’a que peu entaché notre amitié. 
*** L’ineffable Claro à propos de Bégaudeau et ça tombe bien puisque j’adore ce mec aussi.

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