The Vapors, New Clear Days (1980, United Artists)

L’articulation entre les années 70 et 80 reste un moment particulier de la musique rock occidentale. Délimitée entre l’explosion du punk (1976) et l’assimilation des synthétiseurs par la pop mainstream (vers 1982-1983), cette demie douzaine d’années a, rétrospectivement, une saveur particulière. Qu’ils soient branchés machines ou sur les plus traditionnelles guitares électriques, nombreux furent les groupes en quête de nouveauté, contestant souvent l’héritage de leurs grands frères et, particulièrement, les déclinaisons progressives du rock. En parallèle du futur inventé par Kraftwerk et sa cohorte de disciples (Human League, OMD) ou la New Wave menée par SIRE depuis le CBGB (Talking Heads, Blondie), d’autres formations n’hésitèrent pas à se réapproprier le passé, notamment les années cinquante (Stray Cats, The Meteors) et soixante. Deux revivals secouent l’Angleterre à la fin de la décennie : le 2-Tone et le mouvement Mod.

The Vapors
The Vapors / Photo : Chris Walter

Porté par The Jam, le retour du modernisme coïncide avec l’épure du punk. Le trio mené par Paul Weller, bien que versé dans les Swinging Sixties, porte en lui l’énergie et la hargne d’une époque au prise avec le chômage et le désœuvrement de la jeunesse. Dans la foulée de The Jam et du film Quadrophenia (1979), nombreuses furent formations à s’abreuver dans la tradition britannique des Who, Small Faces et autres Kinks. Souvent considérées avec un certain dédain, ces formations n’en furent pas moins douées, en tout cas pour certaines (The Chords, The Purple Hearts, Squire), pour trousser des petites fulgurances pop énergiques. The Vapors s’inscrivent parfaitement dans cette logique. Sous le patronage de Bruce Foxton (bassiste des Jam) et John Weller (le père de Paul), le groupe de Guildford publie deux albums en 1980 et 1981. Le premier, New Clear Days (1980), condense les contradictions d’une époque marquée par la Guerre Froide. Le titre suggère ainsi tout autant la bombe nucléaire que la météo (New Clear pouvant se lire Nuclear), une impression renforcée par certaines chansons (Cold War, Bunkers). Le groupe ne pratique cependant pas la Cold Wave obsédée par Berlin et les villes industrielles délabrées mais une pop tonique, mélodique et sautillante.

Leur tube Turning Japanese en est une excellente illustration. Le single se faufile jusqu’à la troisième place des charts britanniques en février 1980 et la trente-sixième du Billboard Hot 100 (mieux que tous les singles des Jam !). Si le groupe a toujours démenti l’interprétation (la chanson évoque les ratés amoureux du chanteur David Fenton), le public a certainement plébiscité la chanson pour sa signification imagée et son rythme enjoué. Dans le langage courant Turning Japanese peut en effet faire référence à la tête que l’on fait pendant la masturbation au moment de venir. Au delà de ce hit, New Clear Days est un excellent disque de pop à guitare gentiment nerveuse. Vic Coppersmith-Heaven (The Jam, The Jolt) capture le groupe sans effets superfétatoires. Les guitares sont de sortie. Onze chansons pied au plancher, des mélodies souvent charmantes, The Vapors déroulent, sans temps mort, un album dont la moitié des titres sonnent comme des potentiels singles. Ceux envoyés en 45 tours ne marcheront pas aussi bien que Turning Japanese, mais l’auraient peut-être mérité. News at Ten offre un rush de satisfaction, un peu plus de trois minutes de pop punk bubblegum euphorique. Waiting for the Weekend présente le même genre d’expérience grâce à un refrain super catchy. Les autres morceaux apportent aussi leur contribution à l’effort général. De Spring Collection, en passant Trains ou Somehow, The Vapors surprennent par la constance de leur inspiration. Dans leurs moments les plus punk, ils évoquent The Jam, Buzzcocks ou Undertones. Dans les passages plus pop, Joe Jackson ne rôde pas loin. Letter from Hiro conclut l’album sur un format inhabituel pour l’époque avec une longueur excédant les six minutes. Loin d’être un jam gênant ou une expérimentation ratée, la formation anglaise développe l’un des plus beaux morceaux du disque, des arrangements soignés pour une mélodie raffinée. La chanson met ainsi un élégant point final à un disque qui mérite certainement d’être encore écouté de nos jours. New Clear Days est bel et bien un artefact de son époque, hésitant entre punk, new wave, mod revival, mais indéniablement les Britanniques ne se contentaient pas que de réciter les leçons apprises chez les autres. Ils mettent beaucoup de cœur et de justesse dans leur ouvrage. L’ensemble dégage un charme propre et une certaine profondeur sous une apparente légèreté.

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