Quelques mois après la parution de 6 Lenins, les Proper Ornaments sont de retour avec Missions Bells. Plus aéré et synthétique que son prédécesseur, ce cinquième album a été conçu dans la foulée de la dernière tournée du groupe. Sans jamais se répéter, James Hoare et Max Oscarnold y perpétuent la tradition d’une pop psyché mélancolique et intemporelle. Ils nous ont accordé un entretien où ils reviennent sur les dix ans du groupe, la vie dans les squats et la précarité, mais surtout leur attachement au Do It Yourself. Derrière l’apparente mélancolie et la douceur de leur musique, les Proper Ornaments ne seraient-ils pas l’ultime groupe punk ?
Votre premier single, Recalling est sorti il y a dix ans. Quel regard portez-vous sur les premières années du groupe ?
Max : C’était une période fantastique de notre vie. Tout me paraissait plus facile à l’époque. Je ressentais une sensation de liberté. Nous vivions dans un squat à Brixton. Musicalement nous étions prolifiques car nous passions beaucoup de temps ensemble. Ce ne serait plus possible aujourd’hui.
James : Le groupe existait depuis des années avant la sortie de ce single. Max et moi nous sommes rencontrés il y a 15 ans. Londres n’était pas la même ville qu’aujourd’hui. Nous vivions à 100 à l’heure, sans même prendre le temps d’enregistrer nos chansons. Au bout d’un moment, il a fallu trouver un job alimentaire pour essayer de gagner un peu d’argent. Ça a tout changé.
Max : Nous avons accumulé un grand nombre de chansons. Il nous arrive parfois de replonger dans nos archives quand nous pensons qu’un titre conviendrait pour un album. Retrouver ces vieux titres me rend nostalgique de cette période. Cela ne veut pas dire que je n’aime pas ma vie actuelle. Nous avons tellement travaillé et tourné que, contrairement à nos débuts, nous arrivons à vivre de notre musique. Je n’ai plus à aller voler des légumes au marché pour survivre.
James : Tout n’était pas rose. Nous avons traversé des périodes de troubles intenses. C’était inévitable. Nous avions choisi de vivre en marge de la société. Notre refus d’avoir un véritable travail nous a forcés à gagner de l’argent par d’autres moyens. C’était un peu pareil pour notre musique. Nous faisons tout nous-même, selon nos propres termes.
Max : Le choix de se consacrer uniquement à la musique nous a obligé à lutter. Les débuts étaient vraiment difficiles. Je comparerai les années qui ont suivi à des montagnes russes. Ça fait partie du jeu. Notre choix de vie ne nous a pas facilité la tâche. A certains moments, nous étions désespérés, à d’autres il a fallu survivre. Aujourd’hui, nous ne vivons plus les périodes difficiles aussi intensément. Nous y sommes habitués.
Etes-vous toujours fier de Recalling ?
Max : C’est probablement notre disque que j’aime le plus. Notre musique n’était pas punk, mais notre attitude oui. Laidback. Nous ne connaissions rien aux méthodes d’enregistrement, mais nous voulions absolument le faire nous-même. C’était du bricolage total. Nous profitions de tout ce qui nous tombait sous la main, matériel, instruments. On faisait avec. Notre seule règle était que tout devait rester simple.
James : Nous avons enregistré nos premiers singles et ep très rapidement. C’est de là que vient leur charme particulier. Aujourd’hui nous possédons pas mal de matériel. Différentes possibilités s’offrent à nous en termes de palette sonore. Nous sommes techniquement meilleurs. Ce n’était pas le cas. Le seul point commun avec nos débuts est notre volonté d’enregistrer vite, même si ce n’est plus une nécessité.
Max : Nous travaillons dur pour essayer de faire fi de notre expérience lors du processus créatif. C’est une méthode que je trouve intéressante et qui fonctionne plutôt bien. La musique doit rester un terrain de jeu t’ouvrant de nouvelles portes.
James : Nous sommes adeptes du minimalisme. Nous pourrions ajouter plus de guitares ou une jolie partie de piano. Mais nous préférons la simplicité.
Max : Je nous considère comme des outsiders qui vivent dans le moment. On se moque des courants musicaux à la mode.
James : C’est un atout. En ne cherchant pas à coller au son du moment, tes disques ont plus de chance de sonner moderne plusieurs années après leur sortie. Nos albums sont représentatifs de qui nous sommes. Nous sommes passés à côté du revivalisme du shoegaze ou des groupes influencés par Kraftwerk. Notre musique était psychédélique avant que ça ne redevienne à la mode. Nous avons usé plusieurs managers à cause de ça. Ils nous incitaient à flirter avec ce mouvement psyché juste avant que Tame Impala ne devienne énorme. Ils étaient persuadés que nous avions un potentiel énorme pour percer. Une manageuse a même voulu nous précipiter dans l’enregistrement d’un album psychédélique.
Max : Elle faisait juste son job, mais nous ne voulions rien entendre de tout ça.
Mission Bells va sortir moins d’un an après votre dernier album 6 Lenins. Les chansons de ce nouvel album vous sont-elles arrivées plus facilement ?
Max : Beaucoup de titres ont été composés pendant les soundchecks de la dernière tournée. Nous avons travaillé ces ébauches rapidement puis enregistré l’album en deux semaines. Il nous manquait deux titres. James s’est mis au travail et nous les avons enregistrés immédiatement. J’aime à penser que les groupes que nous aimons procèdent de la même façon. La musique se résume à ta sensibilité et ton état d’esprit quand tu composes et quand tu enregistres. Des amis jouant dans des groupes peuvent travailler sur une idée pendant des mois. Ils répètent sans cesse. Nous ne faisons jamais de répétitions. La dernière fois que c’est arrivé, c’était dans un pub il y a sept ans. Ce n’est pas par fainéantise, juste parce que c’est bénéfique à notre musique.
James : Nous ne nous envoyons jamais nos idées de chansons. Max parlait des deux derniers titres de l’album. Je les ai composés en une soirée et enregistrés le lendemain. J’ai enregistré la partie de piano sur mon iphone. Ça sonnait bien, nous l’avons gardé pour l’album. Nos disques ne comportent que des premières prises. On peut parfois entendre le côté âpre que ça dégage. A chaque fois que nous avons tenté de faire plusieurs prises, nous avons fini par abandonner les chansons. Nous enregistrons sur des bandes magnétiques. Chacune d’entre elle nous coûte 220£. Autant dire une fortune. Ça ne nous incite pas à multiplier les prises (rire).
James, on t’imagine plus axé sur le studio que sur le live. Comment décrirais-tu un enregistrement typique d’album de The Proper Ornaments ?
James : Je pense que nous préférons tous les deux êtres en studio.
Max : James est celui qui sait comment enregistrer un album. Il s’y connait vraiment en équipement. Il sait quoi utiliser pour apporter un plus à une chanson. Je n’aurais pas pu sortir Mission Bells moi-même.
James : C’est parce que tout gamin j’avais déjà un enregistreur 4 pistes. Proper Ornaments n’est pas mon premier groupe. J’avais eu l’occasion d’enregistrer des disques en studio avant. Je trouvais les frais d’enregistrement énormes pour un résultat sonore généralement mauvais. J’étais persuadé que je pourrais faire mieux en solo à la maison. C’est pour cette unique raison que j’ai commencé à vouloir tout faire seul. Max s’investit beaucoup. Toutes les décisions concernant le groupe sont prises d’un commun accord. C’est important pour nous. Pour cette raison, les enregistrements d’albums sont toujours détendus. On se complète. Max sait par exemple mieux optimiser le placement d’un micro. Il est à la console pendant que j’enregistre ma partie de guitare. Nous ne sommes pas comme des scientifiques dans un laboratoire. La perfection nous ennuie.
Max : Quand un titre ne fonctionne pas, j’ai tendance à m’inquiéter et à trop réfléchir. J’ai l’impression d’être de retour à l’école et de travailler sur mes leçons. C’est souvent mauvais signe. Je nous qualifierais d’intolérants par rapport aux méthodes traditionnelles. Mais à côté de ça je suis lent pour composer des titres. Une chanson peut facilement me prendre trois mois.
James : Nous réfléchissons beaucoup à notre musique, mais nous la réalisons rapidement. En période d’enregistrement, je passe des nuits blanches à réfléchir. Le lendemain je propose mes nouvelles idées à Max. Nous n’aurions jamais pu faire partie de Fleetwood Mac. Sur Tusk (1979), ils ont fait jusqu’à cinquante overdubs de piano ! Je doute beaucoup. Heureusement que Max insiste pour me dire qu’il aime mes idées et qu’il insiste pour les garder. Il suffit qu’il y ajoute quelques touches personnelles pour que je réalise qu’il avait raison.
Max : Nous avons tendance à être instables émotionnellement. Mieux vaut évacuer les problèmes rapidement. Ça n’a pas été le cas sur Foxhole qui a été enregistré sur une longue période. J’adore ce disque mais je ne garde pas un bon souvenir de son enregistrement. J’en suis ressorti vidé. Nous étions rongés par les incertitudes.
Idéalement, vous sentiriez-vous capable de sortir des singles et des albums à un rythme effréné, comme ont pu le faire les Beatles ou les Smiths ?
Max : J’adorerais. Mais tous les groupes n’ont pas leur talent.
James : Nous pourrions dans un monde idéal. Mais la vie de tous les jours apporte son lot de contraintes. Pour chaque album, nous partons de deux ou trois titres et composons les autres au jour le jour. Nous avons en nous la possibilité de réaliser ce genre de challenge.
Max : Plus tu enchaînes les disques et les tournées rapidement, moins tu perds la dynamique que tu as créée.
6 Lenins était plus axé sur les guitares que Foxhole, disque principalement basé autour du piano. On retrouve un peu plus de synthé ou de piano sur Mission Bells. Ils ne prennent à aucun moment le dessus sur les guitares. Comment décririez-vous l’apport des synthés sur ce disque ?
James : Nous ne sommes pas du genre à mettre nos nouvelles marottes musicales trop en avant.
Max : James a un style simple, calme et plutôt 60’s. Son utilisation des claviers me rappelle les disques du BBC Workshop. Les synthés évoluent avec la technologie. Tu peux facilement deviner la période à laquelle un disque a été enregistré en écoutant les synthétiseurs. Ce sont souvent eux qui donnent un aspect vieillot aux disques. La guitare est une priorité pour nous. Si nous n’arrivons pas à notre but avec une guitare, nous essayons autre chose au synthé. Mais toujours de façon subtile. Nous ne deviendrons jamais un groupe synthétique.
James : Nous commençons à posséder pas mal de synthés. Certains ont des sons de dingue. Pourtant nous leur préférons leurs sonorités plus discrètes. On remarque à peine l’utilisation du Mini Moog sur Mission Bells. En fait, c’est un vieux Casio qui ne nous a presque rien coûté que nous avons utilisé en plus. On l’a bien trafiqué pour arriver à créer une atmosphère.
Max : Foxhole avait été composé principalement au piano. Nous nous sommes aperçus en concert que les chansons étaient presque impossibles à jouer. Le monde des synthés est dangereux. Je ne veux pas trop m’y aventurer. On peut vite sombrer dans le cheesy. Je sais de quoi je parle. Je joue du synthé dans un autre groupe. Une guitare ne sonnera jamais datée.
James : Nous n’utilisons presque aucun effet sur nos guitares. Nous voulons juste qu’elles sonnent intemporelles.
Max : J’aime beaucoup les disques de Johnny Thunders ou ce qu’a pu enregistrer Peter Perrett avec England’s Glory. Les guitares sont enregistrées sans reverb et sonnent fantastiques, même en 2020.
On connaît votre passion pour la musique des années 60 et 70. Votre approche de l’utilisation du Moog et du synthé est-elle inspirée par des artistes de cette époque ? Elle me rappelle surtout les productions du groupe Air.
Max : Nous sommes les plus gros fans de Air au monde. Talkie Walkie (2003) est mon album préféré. Ce groupe est une influence majeure depuis que Proper Ornaments s’est formé.
James : Moon Safari (1997) est un album énorme. C’est pour moi la référence ultime en termes de production d’album. Une source d’inspiration intarissable Nous essayons de rester discrets avec nos influences. Nous ne voulons pas qu’elles ressortent de manière évidente dans nos disques. Pourtant notre amour de Air s’entend sur le piano de Just A Dream, un titre de notre album Foxhole.
Max : Et sur 1969 ! Nous partageons avec Air une admiration commune pour certains groupes. Le piano des Beatles ou la basse de Melody Nelson de Gainsbourg par exemple.
Vous n’êtes jamais restés bien longtemps sur le même label pour sortir vos disques. On dirait que vous avez trouvé une certaine stabilité avec Tapete. Cela est-il important pour vous ?
James : C’est le label qu’il nous fallait. Ils nous laissent faire ce dont on a envie. Ils ne nous ont même pas réclamé de démo pour Mission Bells. Les gérants du label ont un groupe. Ils sortent des disques et partent en tournées. Ce sont de véritables fans de musique. Tu vois tout de suite que ces gens savent ce qu’ils font.
Max : Ils ont également un fond de catalogue incroyable de Krautrock des années 70. Ils les sortent sur leur sous label, Bureau B. Ça nous a permis de rencontrer les membres de Faust récemment. Nous avons l’impression de faire partie d’une famille. Et puis ça permet d’avoir des disques gratuits (rire).