Décrié par les puristes, le big beat fut un choc esthétique pour beaucoup d’adolescents à la fin des années 90. Si certains groupes frisent la blague potache, d’autres ont démontré que le genre en avait sous la semelle. Parmi eux les Chemical Brothers, Fatboy Slim et The Prodigy auront toujours une place particulière dans notre chair. The Fat of the Land (1997), de ces derniers, fut un pain dans la gueule de ceux qui l’écoutèrent, à la fin des années quatre-vingt-dix. La sainte trinité qu’il forme avec Dig Your Own Hole (1997) et You’ve Come a Long Way, Baby (1998) fut une machine à convertir les teenagers à la musique électronique. Omniprésents dans les bandes originales de jeux vidéos comme Wipeout 2097 (1996) ou Fifa 99 (1998) et de films comme Spawn (1997) ou Matrix (1999), les morceaux de ces groupes ont amené les machines des clubs jusqu’aux chambres des adolescents.
À une époque où internet restait exceptionnel, la future culture geek fut un vecteur important pour ces groupes (avec les clips de M6 la nuit). Moderne, syncrétique, piochant dans le rock, le hip hop et la musique électronique, The Prodigy est le symbole turbulent des mutations de l’époque. Keith Flint incarne un Sid Vicious qui aurait troqué l’héroine par la MDMA (quoique). Leeroy danse, il est cool. Maxim est un MC dans la tradition anglaise, du genre à poser sur du reggae puis de la jungle à 180 Bpm. Le producteur Liam Howlett met en musique l’ensemble. Véritable surdoué du sampling, il concasse un large spectre de musique dans une formule singulière. Chacun peut se retrouver dans The Prodigy mais cela ne sonne pourtant pas tout à fait comme le rock que Papa passe dans la voiture. Que nous venions du rock, du metal, du punk ou du hip hop, il y a quelque chose pour nous dans The Fat of the Land. L’album est propulsé par une énergie frénétique. Il ne lève presque pas le pied et balance brûlots sur brûlots.
Le clip réalisé par le suédois Jonas Åkerlund banni de MTV en son temps.
Le groupe a eu le temps de créer ce golgoth radioactif grâce à ses deux précédents albums. Experience, sorti en 1992 est un instantané de la scène rave hardcore britannique d’alors. Samples d’émissions pour enfants, breakbeat sous stéroïdes, stabs pitchés dans tous les sens, pianos italiens : The Prodigy embrasse le son de l’époque et en écrit quelques classiques comme Charly ou Out of Space. Le groupe prend définitivement ses distances avec la musique fonctionnelle de club avec Music for The Jilted Generation en 1994. Le groupe y développe déjà l’esthétique à l’œuvre sur The Fat of the Land : un mélange furieux de machines, guitares et samples de hip hop. Porté par des singles comme Poison, Voodoo People ou No Good (Start the Dance), l’album est une rampe de lancement parfaite pour le chef d’œuvre à venir. The Fat of the Land est une mandale, un des disques les plus importants de la fin des années 90. Imaginez être un adolescent dans une ville tranquille en France, aux États-Unis ou en Allemagne et découvrir Smack my Bitch Up. D’un coup, votre monde est différent. Vous avez votre musique, celle qui provoque en vous l’envie de se défouler et de tout briser. Liam Howlett est au sommet de son art. Il utilise les breakbeats ou les synthétiseurs comme nul autre. Sa TB303 ne sonne pas comme sur les disques d’acid house. Elle évoque plutôt des montagnes russes d’adrénaline. Les samples s’imbriquent les uns dans les autres dans un mur du son mouvant. En quelques mots, ça tabasse, parfait pour saturer vos veines de violence et vitalité. Breathe vous plonge dans un bad trip bruyant et perturbé.
Firestarter est une bombe à fragmentation. The Prodigy ne sont pas des bisounours, ils ne sont pas là pour plaire à vos darons. Ils ne sont pas non plus là pour vous faire des sermons. Ils sont là pour remplir votre corps d’essence et balancer l’allumette. The Prodigy pratique en quelque sorte l’émancipation par la politique de la terre brûlée : le groupe vous veut du bien en faisant mal. The Fat of the Land est un disque pour s’affirmer, se trouver et s’affranchir. Si les trois singles sont parfaits, l’album impressionne par sa cohérence. Chacun aura bien sûr ses préférences. Il est cependant difficile de résister aux effluves psychédéliques de Climbatize ou Narayan. Dans un autre registre, Funky Shit ou Diesel Power sont pesantes comme un semi-remorque lesté de plomb, constituant de suprêmes headbangers pour se cramer le cerveau. Vous savez ce qu’il vous reste à faire : réécouter The Fat of the Land et envoyer chier les cons qui vous pourrissent la vie.