The Lost Days, In The Store (Speakeasy Studios)

the lost daysLes trois minutes réglementaires du format canonique de la chanson pop ont toujours constitué un carcan formel à partir duquel les grands auteurs s’efforcent de proposer leurs déclinaisons personnelles. Une référence contraignante et féconde à la fois. Trois minutes donc, ou un peu plus : il y a ceux pour lesquels ce n’est pas assez ; d’autres – plus rares – pour lesquels c’est déjà trop. Depuis quelques années déjà, on sait que Tony Molina est l’un des plus brillants représentants de la seconde option : celle de l’implosion des cadres plutôt que du dépassement progressif. Un as de la distillation, un maître de la condensation. Ici associé à Sarah Rose Janko (Dawn Riding), il prolonge le travail de sape déjà brillamment initié avec son premier groupe, Ovens, ou en solo.

The Lost Days
The Lost Days

Toujours les mêmes interrogations : pourquoi un second couplet quand le premier suffit à pointer l’essentiel ? pourquoi répéter le refrain quand il est mémorable dès la première écoute ? Quant aux réponses, elles coulent de cette même source, apparemment intarissable. 10 chansons, 15 minutes : ici, cela suffit amplement. On trouve en effet, dans ces morceaux décochés sans trace perceptible d’hésitation, cette puissance brutale qui rappelle le geste – leste et assuré – de l’expressionniste abstrait projetant la matière sur sa toile. Never Mind The Pollock, en quelque sorte : cela pourrait être le titre de cet album-sprint dont l’intensité dramatique réside dans le caractère à la fois spontané et inéluctable de ces tentatives, sans retour réflexif ni corrections, pour saisir au plus près et au plus vif ce qu’il y a d’essentiel dans la première intension, la première prise, les premiers mots, les premières notes.

Les débuts ont donc beaucoup compté, c’est une évidence. Davantage sans doute qu’à l’accoutumée. Molina et Janko se sont rencontrés à l’occasion d’une cérémonie funèbre en hommage à un ami commun. L’écriture nocturne à quatre mains a constitué un aspect important de ce travail de deuil, étayé par les références partagées qui transparaissent au fil de ces mélodies, plus limpides et saisissantes encore que sur leurs albums respectifs : les Byrds en général et Gene Clark en particulier, Guided By Voices évidemment – ici en version folk-rock – et surtout les albums solo de Bill Fox (The Mice), ces trésors méconnus de spontanéisme pop dont il faudra reparler très prochainement – c’est noté. Dans ces enregistrements qui semblent arborer leurs imperfections lo-fi comme des cicatrices de guerre, on retrouve condensée de manière saisissante tout un nuancier d’échanges intimes et tristes, cette gamme d’émotions contrastées à laquelle les deux amis ont dû se confronter au cours de leurs sessions de résilience créative. En harmonie, ils élaborent à deux voix leurs questionnements existentiels – What’s On Your Mind – ou s’entendent sur le constat, implacable mais pas désespéré, du désastre – Another Day, In The Store. Bref – un autre titre alternatif possible, trop évident peut-être – il y a dans ces quelques fulgurances juxtaposées davantage de musique et d’humanité que dans bien des œuvres plus massives.


In The Store par The Lost Days est disponible sur le label Speakeasy Studios.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *