Des groupes américains ou anglais ont parfois trouvé davantage de résonance en France que dans leur pays d’origine. Des Real Kids en passant par les Inmates, nombreux furent ceux à trouver un public enthousiaste dans l’Hexagone. Les Flamin’ Groovies font indéniablement partie de cette formidable confrérie informelle d’esthètes et de dandies. Groupe poissard par excellence, les Californiens ne pouvaient que fasciner les Français. En effet, il y a chez ces groupes un truc qui colle parfaitement à l’éthos franchouillard : cette passion pour les perdants magnifiques. Nous avons d’ailleurs les nôtres avec les géniaux Dogs. Les amateurs de rugby ne nous contrediront pas, le french flair, l’esprit de combativité et tous ces honneurs sans médaille sont intrinsèques à un certain esprit français. Le parcours des Flamin’ Groovies présente ainsi quelques similitudes avec le XV de France : premier dans les cœurs, jamais sur le podium.

Le groupe nord-américain avait pourtant tout pour lui, à commencer par sa localisation prestigieuse. Originaires d’un San Francisco au sommet de sa popularité, les Flamin’ Groovies publient Sneakers (1968) un premier mini-album à la fin des glorieuses sixties. Le groupe signe dans la foulée avec Epic puis Kama Sutra. En 1971, le groupe se fend d’un Teenage Head, sommet du rock des seventies à en faire pâlir les Stones eux-mêmes. Ce succès critique ne s’accompagne pas de retombées sonnantes et trébuchantes. Les Flamin’ Groovies doutent. Entre Roy Loney et Cyril Jordan le torchon brûle. Finalement, le second reste. Le bassiste George Alexander le suit, ainsi que le batteur Danny Mihm, dans un premier temps. Le jeune (dix huit ans) Chris Wilson rejoint les Flamin’ Groovies. Ces derniers, plus en phase avec la scène pub rock anglaise, traversent la manche en quête d’un contrat. Entre 1972 et 1976, les Flamin’ Groovies sont au purgatoire, proches d’abandonner de nombreuses fois. Au Royaume-Uni, le groupe a ses soutiens, à commencer par le musicien/producteur Dave Edmunds. À travers lui ou d’autres contacts, le groupe enregistre plusieurs fois. Deux 45 tours atterrissent chez UA (Angleterre) mais ne font rien pour arranger la situation du groupe. Mihm finit par quitter le navire, il est remplacé par David Wright. De son coté James Ferrell vient ajouter une troisième guitare à l’arsenal déjà bien costaud en place. Finalement, la situation se débloque grâce à Greg Shaw. Le patron du fanzine et label Bomp! prend le management du groupe et arrive à placer les Flamin’ Groovies chez Sire Records. Seymour Stein est alors en pointe de l’underground nord-américain, en l’espace de quelques saisons, il constitue une écurie de rêve : Ramones, Talking Heads, Richard Hell ou les Dead Boys. Les Flamin’ Groovies ont naturellement leur place dans cette famille mais restent un peu à la marge. Vieux sages parmi les jeunes loups, ils reviennent de loin ! En 1976 sort ainsi Shake Some Action, leur cinquième album, quatre ans après le précédent.
Il a été enregistré au Pays de Galle, aux Rockfield Studios, en plusieurs sessions ! L’album s’ouvre sur la fabuleuse Shake Some Action, rejettée par UA, quelques années plus tôt. Quelle erreur de jugement ! Ce morceau est un hymne powerpop stellaire, digne des plus grands (Big Star, Nerves, Badfinger etc.). Cela pose le décor ! La suite est à la hauteur des espérances même si forcément les Groovies ne peuvent pas faire 14 morceaux de cette trempe. D’ailleurs, les Californiens s’autorisent à piocher dans le répertoire rock & roll et british invasion. Souvent qualifié de période Beatles des Groovies, ces derniers reprennent pourtant un She Said Yeah popularisé par les rivaux londoniens. Les Fab Four ont aussi le droit à leur hommage avec Misery. À ce généreux banquet, le groupe a aussi convié Lovin’ Spoonful (Let The Boy Rock n’ Roll), Chuck Berry (Don’t You Lie to Me) ou Gene Clark des Byrds (Sometimes). Ces reprises se mêlent parfaitement aux originaux des Flamin’ Groovies. La formation californienne déroule ainsi un album aux références classiques et déjà (relativement) anciennes pour l’époque. Ce goût pour l’héritage et cette conscience d’être un maillon, tranche avec un discours punk, poussé par le moto de tabula rasa. Au fond, c’est tout le paradoxe de la powerpop : vendue comme une nouveauté à la fin des seventies (The Knack), elle se revendique pourtant d’une filiation au long cours. Les Flamin’ Groovies ne se posent certainement pas ces questions en enregistrant Shake Some Action. Les outcast ont à cœur de briser la malédiction et ils donnent tout dans la bataille. Les Flamin’ Groovies écrivent de grandes chansons et cet album n’en manque certainement pas. En plus du tube Shake Some Action, Jordan et Wilson balancent des chefs d’œuvre comme Yes It’s True, You Tore Me Down, I can’t Hide ou I’ll cry alone. Les Rickenbacker jaillissent et accompagnent ces magnifiques mélodies, un plaisir pour les esthètes ! Evidemment, Shake Some Action obtient un succès commercial modeste, mais pourquoi changer une équipe qui perd ? Le destin est plié, les Flamin’ Groovies seront désormais une formation culte. Ils enregistrent quelques disques supplémentaires chez Sire avant de continuer leur vie chez des labels plus spécialisés mais tout aussi enthousiastes. Cinquante plus tard, Shake some Action est en tout cas un chef d’œuvre de la powerpop. L’album est une véritable déclaration d’amour à une certaine idée du rock, à la fois mélodique et énergique. Il n’est jamais trop tard pour rejoindre les admirateurs de ce fantastique 33 tours.