Avec Happiness, The Beloved a marqué une génération de clubbers et d’indie kids au fer blanc. Si certains albums de la même époque, Screamadelica (1991) de Primal Scream en tête, ont aujourd’hui acquis le statut de classiques incontournables, on a tendance à oublier à quel point The Beloved étaient des précurseurs. Contrairement à certains devant en partie leur renommée aux talents de DJ et/ou producteurs, Jon Marsh et Steve Waddington ont incorporé des éléments de house dans leur musique dès 1987. Inlassables têtes chercheuses, ils arriveront à la formule parfaite avec Happiness dont l’enregistrement a été finalisé mi-1989. Le groupe devra encore patienter quelques mois avant de rencontrer un succès mérité. Rares sont les albums ayant réussi à représenter différentes humeurs musicales de l’époque. Du crossover rock-dance d’Hello au chill-out The Sun Rising, on a l’impression de suivre en musique la journée et les humeurs d’un kid anglais de l’époque. Il suffit de se rendre sur la page facebook du groupe animée par Jon Marsh lui-même pour se rendre compte de l’impact de ce disque qui mérite amplement de revenir sur le devant de la scène à l’occasion des 30 ans de sa sortie. Une superbe réédition supervisée par le groupe remonte jusqu’à la genèse d’Happiness en proposant inédits et versions de travail de haute volée. Nous avons longuement échangé avec Jon Marsh à cette occasion. Loin d’être avare en détails et anecdotes, il décrit avec passion et un brin de nostalgie les événements allant de la création de Happiness jusqu’au départ de Steve Waddington une fois le succès rencontré. Une chose est certaine, à écouter Jon Marsh nous parler de cette période de sa vie, Happiness porte vraiment bien son nom.
Beaucoup pensent que The Beloved a emprunté un virage dance au moment de la sortie de Happiness. Cette influence était déjà présente en 1987 avec Forever Dancing. A quel moment avez-vous commencé à vous intéresser à ces nouvelles sonorités ?
Avant même de créer The Beloved, j’avais un synthé et une boîte à rythmes. J’ai toujours composé dessus. Nous adaptions ensuite mes maquettes en version guitare, basse et batterie. C’était plus facile pour les tournées. Ce n’est qu’à partir de 1985 que des groupes de New York ont commencé à incorporer de l’électronique dans leur musique. C’était une période excitante. Forever Dancing est une réaction à ce changement. Un ami à moi gérait un petit studio d’enregistrement à Brixton. Il avait une boîte à rythme, un sampler, un ordinateur. Nous étions comme des gamins en découvrant son matériel. Nous lui avons donné des références de morceaux que l’on aimait bien pour définir une base de travail. Il ne pouvait pas reproduire certains sons à l’identique mais nous a proposé des alternatives. C’était suffisant pour nous. A force d’expérimentation nous avons eu l’impression de produire quelque chose de nouveau.
C’est à partir de ce moment qu’il vous est apparu impossible d’évoluer à nouveau dans une structure classique de groupe indie ?
A la minute où nous avons réalisé qu’il était plus intéressant d’utiliser le studio en tant qu’instrument, nous avons fait un grand pas en avant. Par contre le batteur et le bassiste se sont sentis lésés. Nous n’avions plus vraiment besoin d’eux. Leur demander de quitter The Beloved a été une décision délicate car nous étions de bons amis. Ce fut pourtant une libération. Steve et moi nous sommes retrouvés sans contraintes. Nous avons trouvé notre style en essayant de copier d’autres artistes sans avoir leur compétence.
As-tu un exemple de titre qui t’as particulièrement marqué à l’époque ?
Je me souviens encore du jour où j’ai entendu I’m Bad de LL Cool J pour la première fois. Le son de batterie était énorme. Je voulais comprendre comment arriver à créer un truc identique. Idem pour les premiers titres de House. Nous avons travaillé dur sans jamais cesser d’évoluer. Notre environnement était constamment en changement. La culture, les clubs que nous fréquentions. Nous faisions partie d’un nouveau mouvement sans même nous en rendre compte. La technologie évoluait si vite que les possibilités se multipliaient. Quand je repense à quel point nous avons galéré pour sampler la batterie de Forever Dancing. Quelques années après cela aurait été un jeu d’enfant. Quand Happiness est sorti, nous savions comment marier l’écriture et la technologie. Pourtant nous n’avons pris aucune décision consciemment sur le son de l’album. Le son de Happiness est celui de deux individus qui explorent des possibilités.
Les inédits Jackie, Sally et My Heart’s Desire montrent un groupe en transition. Ces morceaux auraient complètement changé Happiness si vous les aviez publiés. Vous cherchiez vous encore au moment de l’enregistrement de ces maquettes ?
Je vais bientôt partager sur la page facebook de The Beloved l’enregistrement d’un concert parisien datant de février 1988. Ces titres font partie de la setlist ainsi que la première version de I Love You More. Nous les avions composés le mois précédent. L’idée était de les tester sur scène pour voir s’ils fonctionnaient. Avec du recul je trouve que oui, mais ils n’auraient pas eu leur place sur Happiness. De toute façon, trois mois plus tard nous avions déjà un nouveau son et de nouvelles compositions. Nous n’arrêtions pas de travailler, mais sans chercher de formule magique. De ces premières sessions, seul I Love You More se retrouve sur Happiness à cause de sa rythmique house. Les maquettes reflètent notre audace. Certaines sont parfois meilleures que les titres de sessions pour l’album. Sur certaines démos on sent à quel point Steve et mois passions du bon temps en studio. Nous n’avons pas toujours réussi à retrouver cette vibe pendant les sessions d’enregistrement. Warner nous avait demandé de réenregistrer My Heart’s Desire avec un autre producteur. Le résultat était horrible. Il l’a massacrée en la rendant moins bonne que notre maquette. Ce n’était pas bien grave car nous avions tellement composé que l’on pouvait se permettre de mettre de côté ce qui ne fonctionnait pas.
T’identifies-tu encore à cet album aujourd’hui ?
Je n’avais pas écouté ces titres depuis trente ans. J’ai l’impression qu’ils ont été composés par quelqu’un d’autre. Je n’arrive pas à comprendre comment je pouvais passer mon temps à écouter de l’acid house tout en enregistrant Happiness. Cela n’a aucun sens pour moi aujourd’hui. Alors que ce sont la somme de ces événements et l’absence de règles qui font que Happiness est un disque qui fonctionne. J’ai dû le réécouter un bon nombre de fois pour préparer sa réédition. En toute honnêteté je suis complètement dingue de chaque titre. Je n’en ai pas de préféré. Ce n’est pas le cas sur Conscience. Sur Happiness je sens à quel point nous étions jeunes et heureux. On s’est tellement amusé avec Martyn Phillips qui a produit l’album.
L’exemple parfait d’un titre évoluant en studio est l’inédit Sally, devenu par la suite le hit single Hello. Les deux morceaux n’ayant absolument rien à voir, te souviens-tu de ce qui s’est passé ?
J’avais oublié cette histoire jusqu’à ce que je retrouve le multi track de Hello. Sur le boîtier de la cassette, Sally est écrit juste en dessous de Hello, mais avec des ratures. Sally était un bon titre mais il n’avait pas sa place sur l’album. Nous avons gardé la trame de la 808 (boîte à rythme) et cherché une piste différente. Ce n’est certainement pas un cas isolé. C’est ce qui fait le charme de ce disque.
Hello, au-delà du nom du morceau, semble être un titre d’ouverture bien choisi. Les guitares sont bien présentes en plus d’une touche annonçant la nouvelle direction. On y trouve aussi ce solo plutôt inattendu.
Avec The Sun Rising, c’est le morceau qui a donné sa direction à l’album. Nous savions que c’étaient les meilleurs titres que nous avions composés depuis nos débuts. Ça nous a mis en confiance. Il le fallait car notre maison de disque avait commencé à baisser les bras. Ils nous ont imposé des producteurs pour des sessions qui n’ont rien donné. Nous avons dû nous battre pour garder notre contrat. On leur a promis de ne presque pas dépenser d’argent et de trouver nous même un producteur pour pouvoir travailler sur Happiness en toute indépendance. A ce stade peu avancé nous savions que Hello allait ouvrir l’album. Son intro est un hommage voulu à Sgt Pepper des Beatles. Tu vois à quel point nous étions ambitieux (rire). J’avais oublié combien les guitares étaient présentes sur l’album. Le titre de clôture, Found, en comporte beaucoup également. Steve est un excellent guitariste. Il a juste un énorme problème : il est fainéant. Il ne se considérera jamais comme un guitariste. Pourtant écoute son jeu sur Wake Up Soon ou Time After Time. C’est bluffant. Même le solo de guitare fonctionne. Steve l’a enregistré en une prise. On imagine que seul un véritable dieu du rock est capable de pondre un truc pareil. Mais non, Steve l’a fait à la cool, assis sur une chaise. Nous avons pris beaucoup de plaisir à travailler ensemble sur le remaster. C’est une chance d’être resté amis.
Tu voulais que Beloved soit un groupe avec du succès. Avais-tu de grandes attentes au moment de la sortie de Happiness ?
Quand The Sun Rising est sorti, nous étions signés depuis plus d’un an. Nous avions sorti deux singles qui n’ont pas fait de miracles malgré leurs vidéos clips. C’était démoralisant. Mais quand The Sun Rising a commencé à passer en club, on s’est dit que quelque chose que nous ne contrôlions pas était en train de se passer. Nous avions fait tourner quelques cassettes du titre autour de nous. Les retours étaient positifs. J’ai toujours eu du mal à évaluer le succès. Aux débuts du groupe, il y avait toujours un peu de monde à nos concerts mais la salle était principalement remplie par nos amis. De toute façon ils ne quittaient pas le bar (rire). Le temps passant, ils ont commencé à devenir plus attentif, à se rapprocher de la scène. Pour moi c’était le plus important. Si nos amis changeaient de comportement, cela voulait dire que d’autres personnes seraient susceptibles apprécier notre musique. Il a fallu attendre un peu, mais c’est arrivé. Un jour nous nous sommes retrouvés dans l’émission Top Of The Pops à jouer Hello. Après ce passage télé nous avons été pris dans un tourbillon de promo. Nous n’avions plus le temps d’être créatifs. Dix interviews par jour, trois fois par semaine. C’était donc ça le succès ? J’y ai pris du plaisir, mais Steve a détesté cette période. C’est pour ça qu’il a tout plaqué. Il voulait garder l’anonymat. C’est contradictoire car nous avions travaillé vraiment dur pour avoir du succès. Mais je comprends sa réaction.
Comment ce changement soudain de son et de popularité a-t-il été vécu par les fans ?
Ça n’a pas été un problème d’entendre quelques personnes se plaindre car nous nous sommes retrouvés du jour au lendemain avec beaucoup plus de fans. Passer de 2 000 ventes à 100 000 te fait relativiser. Je ne dis pas ça méchamment. Je ne suis pas obsédé par les chiffres de ventes. Je ne renie pas non plus ce que nous avons sorti avant Happiness. Notre style était différent, mais j’en suis toujours fier. Nous sommes passés à autre chose sans calcul. Certains fans ont suivi, d’autres pas. Je suis toujours ami avec des fans du début. A une époque si nous arrivions à jouer devant 50 personnes dans un pub, nous nous considérions chanceux. Certains venaient régulièrement et nous avons sympathisé. Je vais toujours boire des verres avec certains d’entre eux. Ils aimaient notre musique mais ce n’était pas le plus important. Ils étaient avant tout des gens sympathiques. On ne peut pas demander aux fans d’être fidèles pendant une longue période. J’ai été obsédé par certains groupes pendant des années avant de perdre intérêt dans leurs productions. Leurs nouvelles sorties me laissaient de marbre. C’est le cas de Bjork, que j’ai adoré jusqu’à Vespertine. Ce disque est dans mon top 5 de tous les temps. Elle a ensuite emprunté une direction artistique que je respecte et admire, mais ça ne me touche plus. Si un des albums de The Beloved a joué une part importante dans la vie de quelqu’un ça me suffit. Je n’ai pas besoin qu’ils aient suivi toute notre carrière. Pour beaucoup de gens The Beloved sont connus uniquement pour Sweet Harmony. Et suis heureux que cette chanson ait retenu leur intérêt. C’est mieux que d’être ignoré.
Tu étais un fan de la première heure de New Order. Qu’as-tu pensé de leur virage acid house avec l’album Technique qui est sorti un an presque jour pour jour avant Happiness ?
A 16-17 ans je traversais le pays pour les voir en tournée. J’ai dû assister à 40 de leurs concerts entre 1981 et 1982. Ils jouaient dans des salles minuscules. Je dormais dans des gares après leurs prestations car il n’y avait plus de trains pour rentrer à Londres. J’ai une collection de concerts pirates que j’enregistrais sur mon walkman. Le jour de mes 17 ans j’étais à leur concert de Derby. C’est le meilleur concert de toute ma vie. J’étais présent également lorsqu’ils ont joué Temptation pour la première fois. Ils étaient tout pour moi. En 1985 The Beloved a ouvert pour eux à deux occasions. Leur manager Rob Gretton nous a beaucoup soutenu à nos débuts. Il n’a pas été avare en conseils et il nous a donné quelques coups de pouce. Je suis passé de fan à membre d’un groupe invité par New Order pour partager l’affiche. Tout le monde était adorable sauf Peter Hook. Il a été horrible avec moi. Je ne sais pas ce qui se passait dans sa vie à ce moment-là. Peu de temps après j’ai commencé à perdre intérêt dans leur musique. Ils ont pourtant réussi à me surprendre avec Music Complete, leur dernier album. On sent vraiment qu’ils ont pris du plaisir. J’adore ce disque.
Blissed Out, l’album de remix de Happiness est un must pour les fans du groupe. Cette sortie était-elle votre décision ?
Oui. Nous faisions presque tous les remixes nous-même. C’était le seul moyen de passer du temps en studio. Happiness a été enregistré en 1989. Nous avons dû attendre huit mois pour qu’il sorte. Blissed Out est un témoignage de notre son de 1990. Je trouve que certains remixes de Blissed Out sont ce que Steve et moi avons fait de mieux. Ce fut malheureusement notre dernière collaboration. Je le considère comme un album à part entière. Ok ce sont des remixes, mais ils sont tellement différents des originaux.
A quel point le travail de Martyn Phillips a-t-il été important sur Happiness. Était-ce une étape nécessaire avant de pouvoir tout gérer pour la suite de la carrière de Beloved ?
C’est plutôt simple. Il suffit de comparer les démos aux versions finales pour comprendre l’étendue de son travail. Steve a cinq ans de plus que moi, Martyn probablement deux ans. Nous étions trois gamins de moins de vingt-cinq ans. De nous trois, seul Martyn possédait un réel équipement. Steve et moi apportions les idées, Martyn les concrétisait. Son rôle a été crucial. J’irais jusqu’à dire qu’il était comme le troisième membre du groupe même s’il n’a pas composé une seule note. Sans lui l’album n’aurait pas sonné pareil. A tel point que lorsque nous avons eu un peu d’argent, Steve et moi avons acheté quasiment le même matériel que Martyn. Nous avons appris à nous en servir en l’observant. A l’époque c’était le top de ce que tu pouvais trouver. Comparé à ce que tu trouves de nos jours tu t’aperçois à quel point les possibilités étaient limitées (rire). Ces limites nous poussaient à explorer toutes les possibilités du matériel pour trouver des sons intéressants.
Bob Linney a créé la pochette de l’album et d’une bonne partie des singles. Il a réussi à donner une identité au groupe. Comment est née cette collaboration ?
Je suis tombé sur un panneau publicitaire géant à Londres. Je croyais que c’était une affiche mais il s’agissait d’une peinture. Le design était épatant. Je passais tout le temps à côté en rentrant à la maison à Camberwell. Je me suis renseigné pour savoir qui était cet artiste et j’ai réussi à récupérer son numéro de téléphone. Il a aimé notre musique et a accepté de travailler pour nous. Je ne savais pas que Bob avait déjà réalisé des pochettes de disques, notamment pour UB40. Nous lui avons laissé carte blanche. Pour chaque pochette il commençait par plusieurs propositions en noir et blanc. Il n’y avait qu’à choisir, puis il ajoutait les couleurs. Nous n’avons jamais rejeté ses propositions. Elles étaient toutes excellentes. Je l’ai recontacté cette année pour travailler sur la réédition. Il a réalisé l’artwork pour le cd de bonus. J’ai adoré travailler à nouveau avec Bob. Plus de 35 ans après, nous sommes toujours aussi complices. C’est marrant, dès que nous avons arrêté de collaborer, nos ventes de disques ont chuté (rire). Notre son avait changé au moment de la sortie de X en 1996, il fallait donner une nouvelle image au groupe. Lui annoncer qu’il ne travaillerait pas sur X a été une torture pour moi. Heureusement, il l’a bien pris.
Vous avez donné peu de concerts pour la tournée de Happiness. Quelle en est la raison ?
Nous n’avons pas donné beaucoup de concerts une fois passés à l’électronique. A l’époque, jouer Happiness en live était difficile. La technologie n’était pas aussi avancée que maintenant. Aujourd’hui, tu peux donner un concert avec un ordinateur. Mais il n’y a rien de plus ennuyeux que de regarder quelqu’un bidouiller des machines. Kraftwerk étaient des génies. Ils ont su anticiper ça il y a plus de quarante ans. Je les ai vus sur la tournée Computer World. C’était génial. Ils créaient le design de leur matériel, jouaient sur des calculatrices.
Comment Happiness a marché aux États-Unis ?
Nous n’avons rencontré aucun succès là-bas. Hello est passé un tout petit peu sur les radios spécialisées. Avec toutes ces guitares ils nous ont pris pour un groupe de rock. Après ça ils nous ont réclamé plus de morceaux dans la même veine (rire). Sweet Harmony a rencontré un certain succès sur les college radio, mais ça ne s’est pas traduit en ventes de disques. Nous avons pourtant tenté de faire de la promo là-bas. Mais si tu ne vends pas ton âme au diable, tu n’as aucune chance de percer. Le fait que nous ne donnions quasiment pas de concert ne nous a laissé aucune chance. Nous avons uniquement joué dans des grandes villes, Boston, New York, Los Angeles et quelques autres. Étonnamment, l’endroit dont je garde le meilleur souvenir est Dallas au Texas. La scène locale était vraiment bonne à l’époque. En plus de la house, on y entendait beaucoup de musique électro ou industrielle sombre et étrange. On a donné un super concert là-bas. C’est étrange, car le lendemain tu te retrouves à jouer dans une ville si différente culturellement que tu as l’impression de te retrouver dans un autre pays. C’est vraiment perturbant. J’ai pris plus de plaisir quelques années plus tard quand j’y suis retourné en tant que DJ. Je n’avais plus à me vendre en permanence pour essayer de rentrer dans les charts.
Si le contexte culturel était porteur d’optimisme, ce n’était pas forcément le cas au niveau social et politique. Ne trouves-tu pas que l’on a tendance à l’oublier ?
Les gens ont l’impression que c’était une période pendant laquelle tout était merveilleux. On garde seulement l’image du deuxième Summer Of Love. Les socialistes ne sont arrivés au pouvoir que dix ans plus tard, en 1997. Et pourtant, regarde où nous en sommes aujourd’hui…
Manchester était le centre du monde à l’époque. Comment perceviez-vous cette scène et étiez-vous parfois snobés car vous étiez un groupe londonien ?
J’étais complètement coupé de tout ça. Nous n’avions pas beaucoup d’occasions de nous amuser à cause du succès de Happiness. J’ai pourtant passé beaucoup de temps à Manchester car ma sœur y habite depuis quarante ans. Ma petite amie de l’époque étudiait là-bas. J’allais souvent la voir. Dave Haslam nous a fait jouer en concert au Boardwalk en 1986 avant que la house explose. Nous y sommes retournés fin 1987 début 1988 quand nous commencions à incorporer quelques passages house dans notre setlist. Les fans de longue date se sont mis à nous huer. Ils n’ont pas supporté notre nouveau son (rire). Je suis certains que si nous avions donné le même concert un an plus tard, tout le monde aurait adorés. Ce n’était pas à la mode dans le milieu de l’indie. Je suis souvent allé à l’Haçienda, mais à l’époque où la salle était quasiment vide. Jamais au moment de l’explosion du clubbing. Notre agenda était trop rempli. Nous ne sortions même plus à Londres. J’ai gardé des amis Mancuniens de cette époque. Nous partagions les mêmes plateaux télé. Je me souviens particulièrement d’un retour d’Ibiza avec Shaun Ryder. Steve et moi avons dû l’aider à descendre de l’avion. Il ne tenait pas debout (rire). Il a essayé de fumer de l’herbe dans les toilettes de l’avion pendant tout le vol. Qu’est-ce qu’on s’est amusé. C’était la bonne période, avant que les drogues dures viennent tout gâcher.