Le club du samedi soir #15 : Who Says Girls Can’t Drum ? (partie 1)

Viola Smith et ses 17 percussions en 1941.

Une idée persistante voudrait que la batterie soit un instrument de mec.
Il faut dire que pendant longtemps, les nanas jouant de la batterie se sont faites aussi rares que l’eau dans le désert. Si dans l’histoire des musiques populaires les chanteuses n’ont jamais manqué, les filles ont en revanche mis du temps à se faire une place comme musiciennes professionnelles, quel que soit l’instrument pratiqué. Quant à elles, les batteuses ont longtemps été totalement sous-représentées. La pionnière d’entre elles, Viola Smith, aujourd’hui âgée de 108 ans (!), a dû se sentir bien seule lorsqu’elle se produisait dans les années 1930-1940 dans un milieu de musiciens de jazz archi-macho, trusté par les mâles.

Dans les années 1960 ont commencé à émerger quelques groupes de rock and roll et de pop avec une fille à la batterie, comme The Belles, The She’s, The Pussycats, The Livebirds etc. – formations qu’on peut écouter dans les 11 volumes des compilations « Girls in The Garage » – mais cette présence est restée confidentielle et marginale. Seule Honey Lantree, batteuse de The Honeycombs, est parvenue en son temps à une véritable notoriété, grâce à la chanson Have I the Right, produite en 1964 par Joe Meek, qui s’était hissée à la 1ère place des charts anglais et à la 5ème des charts américains. Leur clip est un des seuls des sixties où apparaît une femme derrière les fûts. Dans la deuxième moitié de cette décennie, Moe Tucker fera encore figure d’ovni dans le monde de la pop, sans parler de Helen Wiggin, qui officiait au sein des très loufoques Shaggs. Il faudra attendre les années 1970 et notamment l’avènement du punk pour que les filles se mettent vraiment à la batterie et montrent à ces messieurs qu’elles pouvaient faire aussi bien qu’eux.


Honey Lantree mène les Honeycombs à la baguette.


Dès 1976, sous la houlette du Pygmalion Kim Fowley, les Runaways vont ouvrir la voie, dans un genre hard-rock-glam gras à souhait, qui sera couronné par un succès massif. La batteuse Sandy West montrera – à rebours des préjugés sexistes – qu’une fille peut sans problème rivaliser avec les mecs en termes de puissance de frappe et de technicité. C’était l’époque où les producteurs considéraient que les filles devaient s’aligner sur les standards quelque peu caricaturaux du rock « burné », quitte à en faire des tonnes niveau rock and roll attitude. Dans les années 1990, aux heures de gloire du grunge, Demetra Plakas de L7 ou Patty Schemel de Hole, avec leur jeu musclé, s’inscriront dans le sillage de leur glorieuse ancêtre Sandy West des Runaways. À sa suite apparaîtront, fin 1970 et début 1980, quelques batteuses très rock comme Gina Schock des Go-Go’s ou Marcy Saddy des B-Girls.

Sandy West vole la vedette à Cherie Currie.


A peu près à la même période en Angleterre, en pleine vague punk, Paloma Romero alias « Palmolive » devenait une figure mythique de la batterie avec les Slits et les Raincoats, groupes séminaux qui seront d’ailleurs revendiqués comme modèles par toute la scène estampillée « Riot Grrrl » des années 1990. Les filles spirituelles de Palmolive s’appelleront Tobi Vail (Bikini Kill), Molly Neuman (Bratmobile, Frumpies), Wendy Yao (Emily’s Sassy Lime).

Tobi Vail, plus punk que jamais, administre de magnifiques uppercuts à sa cymbale crash.


Dès la fin des années 1970 et tout au long des années 1980, au sein des groupes de pop, les filles n’hésitent plus du tout à prendre les baguettes. C’est le cas de la mythique Lindy Morrison des Go-Betweens, d’Esther Smith de Dolly Mixture, d’Ann Donald et de Laura McPhail des Shop Assistants, de Valerie Scroggins de ESG, de Debbi. À la charnière 1980-1990 on peut aussi citer Peggy O’Neil et son jeu primitif au sein de la formation garage The Gories. N’oublions pas non plus que Kate Schellenbach de Luscious Jackson battait déjà en 1982, à l’âge de 16 ans (!!!) au sein des Beastie Boys dans leur période hardcore-punk.

Laura McPhail, plus régulière et endurante que le lapin Duracell.


Mais c’est dans les années 1990 que les batteuses vont connaître un âge d’or. En plus des formations Riot Grrrls et grunge pré-citées, on retrouvera un nombre impressionnant de filles derrière les fûts, comme Heather Lewis au sein de Beat Happening, l’impressionnante Sara Lund chez Unwound, la papesse Janet Weiss de Sleater Kinney ou encore Quasi, la surdouée Amy Linton (Go Sailor, Ailsers Set), la délicate Georgia Hubley chez Yo La Tengo, Claudia Gonson des Magnetic Fields, sans oublier « Bongo » Debbie Green des Headcoatees, ni Françoise Cactus de Stereo Total, ni non plus Marianna Ritchey de Dear Nora, Amanda « Jade Green » Doorbar de Lung Leg, Yoshimi de Free Kitten et des Boredoms, ou encore Atsuko Yamano de Shonen Knife.

Sara Lund de Unwound et Janet Weiss de Sleater Kinney/Quasi en mode « choc des titans ».


La première décennie des années 2000 sera également très riche en batteuses. Mentionnons l’incontournable Meg White des White Stripes, Ali Koehler des Vivian Girls et de Best Coast, Nicky « Styxx » Veltman des Gore Gore Girls, Sandra Vu des Dum Dum Girls, Elin Engström de Lichtenstein ou encore Frankie Rose (Crystal Stilts, Vivian Girls).

Sandra Vu ne monte pas sur une scène pour acheter du terrain.


Au vu du nombre tout à fait conséquent de groupes avec une fille à la batterie au cours de la décennie 2010, on se dit que les choses semblent aller de mieux en mieux pour les nanas côté baguettes, toms et cymbales. On peut par exemple tirer notre chapeau à Jen Twynn Payne des Courtneys, Swanny Elzingre de Juniore, Amber Grimbergen des Hinds, Riley Jones de Goon Sax, Carolyn Hawkins de Parsnip, Virginia Weatherby des Mantles, Marian Li-Pino de La Luz, Ruby McGregor des Go Violets, Emma Rayner des Choo Choo Trains, ou encore Tina Bang Olesen des Sock Puppets. Et ce n’est qu’un petit aperçu.

La leçon de groove et d’élégance de Swanny Elzingre.


Bien sûr, pléthore de batteuses de talent manquent dans mon rapide inventaire et apparaîtront pas dans la modeste compilation qui suit. Je n’ai par exemple pas mentionné Karen Carpenter des Carpenters, ni la très remarquable Katherina Bornefeld de The Ex, ni Leah Shapiro de Black Rebel Motorcycle Club, ni Hanna Blilie de The Gossip, ni Lori Barbero de Babes In Toyland, ni Sheila E qui a travaillé avec Prince. Mais cette compilation ne pouvait aspirer à l’exhaustivité et il a fallu trancher en fonction de critères esthétiques inévitablement subjectifs.

TRACKLIST

1 Bikini Kill – Carnival (Tobi Vail)

2 Vivian Girls – I Can’t Get Over You (Ali Koehler)

3 Stereo Total – Plastic (Françoise Cactus)

4 Hinds – Somebody New (Amber Grimbergen)

5 Go Sailor – My Heart is Bigger than an Ocean (Amy Linton)

6 The Mantles – Brown Balloon (Virginia Weatherby)

7 Unwound – Equally Stupid (Sara Lund)

8 The Pastels – Yoga (Katrina Mitchell)

9 The Gories – Nitroglycerine (Peggy O’Neil)

10 The B-Girls – Big Girl (Marcy Saddy)

11 Beastie Boys – Egg Raid on Mojo ( Kate Schellenbach)

12 Gore Gore Girls – Evil Grows in Me (Nicky « Styxx » Veltman)

13 Lung Leg – Small Screen Queen Live on Peel Session (Amanda « Jade Green » Doorbar)

14 Juniore – Magnifique (Swanny Elzingre)

15 The Headcoatees – Meet Jacqueline (« Bongo Debbie Green)

16 Sock Puppets – Because I Told You So (Tina Bang Olesen)

17 Shonen Knife – Explosion (Japanese version) (Atsuko Yamano)

18 Skinned Teen – Pillowcase Kisser (batteuse non-identifiée)

19 Go-Violets – Teenager (Ruby McGregor)

20 The Belles – Come Back (Pam Kent)

21 The Choo Choo Trains – The Most Beautiful Boy in the World (Emma Rayner)

22 The White Stripes – Girl, You Have no Faith in Medecine (Meg White)

23 Liminanas – Je suis pas très drogue (Marie Liminana)

24 Beat Happening – You Turn Me On (Heather Lewis)

25 The Shaggs – Why Do I Feel (Helen Wiggin)

26 The Velvet Underground – Ride Into The Sun (Moe Tucker)



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