Oublie tous tes petits chagrins,
ils reviendront dès demain.
Il y a parfois de longs moments de solitude musicale dans une vie. Plus grand chose à écouter, plus trop d’envie aussi. Il y a bien ces disques qu’on a portés aux nues à divers moments de notre vie (Sittin’ Pretty des Pastels ou Mon cerveau dans ma bouche de Programme). On en a écrit à leur sujet : des textes et des textes. On en a épuisé des dictionnaires de synonymes, on a même écrit des livres pour en parler, enfin un. Et ils restent des puits sans fonds pour lesquels, si on en avait le courage et l’abnégation, on commencerait la rédaction d’une encyclopédie. Mais parfois, ils ne suffisent pas, parce que la vie, ce n’est pas simple comme une playlist, la vie c’est des enfants qui grandissent trop vite, des parents qui vieillissent et disparaissent, un travail, des trucs à payer. Et la musique finalement, c’est pas grave, c’est pas super important. On peut se mentir, mais ce qu’il reste parfois, c’est juste un fil ténu qui nous relie à l’enfance. Plus qu’à l’adolescence d’ailleurs. Un truc qui produit de la chimie dans le cerveau et un coup d’électricité dans la moelle épinière. Des images qui nous reviennent d’un appartement à Belfort, d’un poste radio sur la table de la cuisine, d’une télévision sans télécommande, en noir et blanc, d’un tourne-disque dans la chambre du grand frère.
D’ailleurs le temps a fait son tri et il n’y a plus grand chose qui tilte aussi fort qu’une poignée de chansons : Amoureux solitaires de Lio (1981) ou bien Ashes To Ashes de David Bowie (1980). Je dirais que ces deux chansons sont celles qui me viennent en tête spontanément, sans trop réfléchir. Elles témoignent de ce temps sans filtre ou les chansons se gravaient directement dans la tête sans passer par les goûts qui se construisent et se déconstruisent au fur et à mesure de nos rencontres et du contexte. Leurs intros me sont inoubliables, leurs paroles et leurs mélodies sont quasiment inscrites dans mes gênes. Mais d’ailleurs si j’ai retenu ces deux-là, ça a quand même à voir avec ce que j’ai envie d’avoir préservé, même si elles sont fermement en moi. Quand même. J’en suis conscient, elles présentent bien. Mais c’est la vérité, dès que quelque chose me rappellent à elles, je les tiens, textes, sonorités, elles sont là. Je dirais même qu’elles m’accompagnent et que je les réécoute sans faim ni soif. Elles sont mon essence.
Pour remonter dans ce sentiment essentiel, il reste quand même LA chanson ultime. Elle est là, depuis plus longtemps que toutes les autres : j’ai 7 ans en 1978, je suis devant ma télé et je découvre Candy Candy. C’est un dessin-animé japonais qui raconte la vie d’une femme, Candy Neige André, de son enfance à l’orphelinat jusqu’à sa vie d’adulte comme infirmière. Certes, il y a des choses plus « garçon » à l’époque, j’aime aussi Goldorak, mais Candy me procure une sensation de bien être et de plénitude. Son générique, Au pays de Candy, répété tout au long de la centaine d’épisodes qui suivront s’inscrit en moi au fur et à mesure, comme un programme de vie : Au pays de Candy, comme dans tous les pays, on s’amuse, on pleure, on rit, il y a des méchants et des gentils, et pour sortir des moments difficiles, avoir des amis c’est très utile, un peu d’astuce, d’espièglerie, c’est la vie de Candy. Mon Internationale. Dans cette minute et ces quelques secondes se concentrent une intro au clavecin ponctuée par une virgule de flutiau, un couplet, un pont, – il n’y pas le temps pour un refrain – et le thème clavecin en conclusion. Tout est dit à travers ce chant fluide portée par une voix maternelle, celle de Dominique Poulain (photo) et cette musique originale du japonais Takeo Watanabe, compositeur des musiques du dessin-animé original. Il y a de la grâce dans cette symphonie miniature pour les enfants. Clandestinement, cette chanson va traverser mon temps et me rappeler positivement à la vie à chaque fois que des doutes (ou plus) vont m’étreindre. Il y a ces supports précieusement et ridiculement conservés, cette VHS qui a traversé le temps, ce 45t retrouvé en brocante ou cette réédition impeccable de Loga-Rythme, label spécialisé dans les génériques télé et notamment les anime japonais, en 2003. Au détour d’une blague, j’ai dû essayer de partager ce secret, mais peu importait en fait, elle est toujours là. Vous pouvez en rire, tant pis. Elle est au-delà de ça. Comme le générique de fin d’ailleurs, Candy s’endort aussi interprété magistralement par Dominique Poulain, une fin un peu plus mélo mais tout aussi belle, avec lequel j’entretiens presque ce même rapport de proximité totale. Je me disais en pensant à cette commande, et ça n’a pas tardé : c’est bien ce dyptique qui a sur moi des pouvoirs de guérison. Pour la résurrection, il faudra essayer, c’est clair, je veux bien.