“I’m your greatest fan / Cos’ you don’t give a damn”
Space Blues, Felt, 1988
Space Blues, Felt, 1988
Alors que la Cigale se vide après le concert de The Stone Roses, il y a le souvenir de l’automne 1989 et de ce jeune homme titubant, sourire aux lèvres et yeux hilares, une bouteille de whisky dans la poche arrière du jeans. Je m’étais dit alors que ce n’était peut-être pas le meilleur moment pour lui dire à quel point je trouvais Ballad Of The Band jubilatoire, All The People I Like Are Those That Are Dead génial et Space Blues essentiel. Deux heures avant, à sa place favorite, dans l’ombre d’un leader agacé, il avait décoré les chansons de ce dernier de son orgue de poche…
Martin Duffy avait rejoint Felt cinq ans plus tôt, même pas majeur mais déjà surdoué, pour pallier un énième départ du guitariste Maurice Deebank, un habitué des volte-face qui finit par enregistrer un dernier album avec le groupe de Birmingham, Ignite The Seven Cannons And Set Sail For The Sun, le seul où les deux musiciens choisis par le tout-puissant Lawrence pour colorier ses mélodies ciselées ont cohabité… Discret mais ne rechignant jamais aux excès, d’une beauté plutôt folle – j’ai depuis longtemps décidé que la pochette de Forever Breathes The Lonely Word a servi de mètre-étalon aux couves des Inrocks canal historique et je ne veux surtout pas savoir la vérité -, il a signé aussi des instrumentaux qui, avec leurs emprunts à Satie ou au Modern Jazz Quartet, ont contribué à la splendeur de la formation la plus culte des années 1980 – les faces B des albums Train Above The City et The Pictorial Jackson Review, ou les magnifiques Ferdinand Magellan et Autumn en sont de précieux témoignages.
Collaborateur de Primal Scream depuis les presque débuts, Duffy a fini par en devenir un membre officiel et déterminant – et ça faisait plus de… 30 ans – de la troupe de Bobby Gillespie, sans jamais oublier ses racines – Space Blues #2 sur Evil Heat en 2002. En fin d’année 1993, alors que le groupe était à Paris pour la promotion du très attendu successeur de Screamadelica – et finalement controversé puis réhabilité Give Out But Don’t Give Up –, je me souviens de la stupéfaction de l’attachée de presse de Virgin quand j’avais insisté pour ne parler qu’à Martin Duffy – et l’interview avait duré plus d’une heure je crois et je dois avoir quelque part la cassette de ce moment, que je n’ai jamais retranscrit intégralement. Il serait peut-être temps.
C’est connu : musicien passionné, insatiable et empathique, l’homme a aussi rendu service aux Charlatans de Tim Burgess, enregistré avec The Chemical Brothers, Beth Orton ou Paul Weller, joué sur le très bizarre album de Church Of Raism – avec entre autres Rose McDowall et le regretté Robert Young -, filé un coup de main à ses copains d’Airstream – dont on a acheté les disques pour sa seule présence -, enregistré avec deux autres ex-Felt Gary Ainge et Marco Thomas le premier maxi de Fly et imaginé en 2014 un album solo élégiaque, Assorted Promenade, paru sur le label de Burgess, O Genesis.
Après avoir frôlé la mort dans une ruelle interlope de New York en 1993, il est décédé seul chez lui le lundi 19 décembre 2022 à l’âge de 55 ans. Un peu trop tôt pour ce garçon au sujet duquel son compatriote Philip King – un gars dont le CV ne plaisante pas (The Servants, Biff Bang Pow!, Felt, Lush, Jesus And Mary Chain…) – a écrit sur son compte IG : « De loin le musicien le plus talentueux avec qui j’ai eu la chance de jouer ». Et on le croit sur parole.
L’un des disques qui rend le plus justice aux talents de Martin Duffy est sans doute la compilation posthume Bubblegum Perfume de Felt, parue en 1990 sur Creation Records.
Elle fait chier, la mort.
Merci