Je ne sais pas pourquoi – ou peut-être que je sais très bien pourquoi mais que les raisons sont bien trop nombreuses (et heureuses ?) pour les décliner ici – mais ce matin je me suis réveillé avec en tête cette chanson de Prefab Sprout, Life Of Surprises, sans doute pas la plus connue signée par le génial Paddy McAloon même si elle a fini par donner (enfin à peu près) son titre à la compilation du groupe parue en 1992.
Une vie (faite) de surprises, c’est ainsi beaucoup de petits plaisirs – qui pour d’aucuns peuvent paraitre complètement anodins –, comme celui de recevoir un beau matin un lien vers un nouveau disque, un disque bicéphale avec deux groupes à l’honneur dont un qu’on pensait définitivement disparu, après avoir bercé par deux fois les jours et les nuits de la rédaction de la revue pop moderne – canal historique, bien sûr.

La lecture du nom, les premiers accords de la nouvelle chanson et en quelques secondes, c’est un aller simple dans une machine à remonter le temps vers le printemps 2009, des bureaux qui surplombent presque la Place de la Bourse et les mélodies de Common Use, le premier album d’Original Folks, sacré disque du mois et écouté en boucle sans doute plus que de raison – mais je crois qu’on ne peut pas se lasser de la mélancolie radieuse d’une chanson comme Modern Drive et de quelques autres aussi (Riding Shotgun, Passer-By, Golden Age, énoncé ainsi dans un désordre amoureux). Mais on savait aussi que ce premier album ne surgissait pas de nulle part et on connaissait depuis belle lurette le talent de Jacques Speyser, l’orchestrateur en chef de ce clan à géométrie variable – je me suis déjà épanché sur le sujet lorsque j’ai voulu rappeler la splendeur (de la peur) de ce titre en français, Phare Ouest, enregistré en 2002 sous le nom de Grand Hôtel et si cela vous intéresse, c’est exactement par ici.
Grâce à la diaspora strasbourgeoise qui sévissait au sein de la revue (et surtout lors des apéros qui se transformaient souvent en conférences de rédaction – mais on me dit que c’était en fait l’inverse), nous avions tous mis sous surveillance le grand (au propre et au figuré) Jacques, agitateur pop depuis les années en culottes courtes – ou peu s’en faut –, et je me souviens même que nous avions convié Original Folks en première partie de Go-Kart Mozart un soir de mars 2006 à La Flèche d’Or – sur la foi de quelques morceaux offerts l’année précédente. Le gars et ses acolytes – et j’ai envie de rappeler ici la présence de Franck Marxer, car j’envie toutes celles et ceux qui peuvent encore découvrir pour la première fois la beauté dévastatrice de Summer Lies – étaient sont tellement doués qu’en 2014, Original Folks réussissait la passe de deux, en décrochant un deuxième titre d’album du mois le temps d’une œuvre plus douce (reprise de The Alessi Brothers à la clé) et comme apaisée, baptisée We’re All Set – qui pour résumer, présentait Felt à Midlake. Depuis ce coup d’éclat, le nom avait (presque) complètement disparu des radars – des miens en tout cas, mais c’est aussi ce qui arrive quand on décide un jour de rejoindre l’Éducation nationale. Jusqu’à ce matin de presque printemps 2025 donc, où plus d’une décennie après ce dernier disque, je retrouvais le nom d’Orignal Folks. Et surtout la nonchalance mélodique chère à Jacques Speyser, aussi habile dans les suites d’accords et d’arpèges qui fendent le cœur que le Garrincha de 1958 dans les dribbles qui faisaient tourner les têtes.
Accueillies par la structure pluriculturelle alsacienne Médiapop – éditeur, label et plus généralement, maison armée d’un appétit insatiable à l’heure de faire (re)découvrir auteurs et artistes dont le seul but est a priori de transmettre des émotions –, les nouvelles chansons d’Original Folks sont au diapason de celles qui les ont précédées. “It’s something beautiful…” confesse du bout des lèvres Speyser sur Games Of Love, le premier morceau de la face dédiée à son groupe, et on acquiesce, les yeux mi-clos et un sourire déjà accroché aux lèvres. Aussi à l’aise sur un tempo enjoué – le très accrocheur Elementary, présent dans la playlist Section26 du mois d’avril – que sur ces mélodies qui invitent aux rêves – le très joliment orchestré World Of You, en guise conclusion idéalement spleenétique –, sans oublier la chouette reprise du Dream Lover de Bobby Darin (paru en 1959), Original Folks décline une musique qui ressemble à s’y méprendre aux tableaux de Joaquín Sorolla : sereine et lumineuse. Comme un baume au cœur.
Mais avant tout cela, et faute avouée est à moitié pardonnée, je découvrais l’univers de Solaris Great Confusion, projet imaginé par Stephan Nieser, alter-ego du susnommé Speyser – ils jouent ou ont joué au sein de leur projet respectif et au-delà de la rime offert par leur nom de famille respectif et du lien de parenté entre leurs deux voix (il suffit de se laisser emporter par The Wild Kindness pour mieux comprendre où l’on veut en venir), ces deux-là partagent, je crois, une passion pour la mélancolie solaire, les arrangements en clair-obscur et les mélodies qui trottent dans un coin de la tête. J’étais passé à côté des précédents disques du “groupe” – mais ces six chansons – dont deux reprises, nous y reviendrons – ont un chouette goût de “il n’est jamais trop tard pour bien faire”. Car il suffit d’une écoute de Pat Answer pour savoir que Stephan Nieser est un artisan du vagabondage mélodique – que l’on se refuse à réduire au seul nom de folk –, qui invite à siffloter sur la route les mains dans les poches. Ce que confirment les sourires enjoués de Come That Way, tout en insouciance apparente. Et pour mieux comprendre les aspirations de Stephan Nieser, les deux reprises offertes sur un plateau ont leur importance. S’il n’est pas si surprenant de trouver ici une parfaite relecture de The Wild Kindness, un morceau du groupe culte de David Berman, Silver Jews – célébré pour les tristes raisons que l’on sait en ces pages lors de la fin de l’été 2019 –, on n’aurait pas forcément parié sur une version du fameux Believe de Cher, en mode mise à nue option… chair de poule qui force à reconnaitre la beauté d’une chanson abîmée dans sa conception originelle par trop de tout… Et finalement, c’est bien ça que réussissent avec un talent dingue ces deux auteurs, compositeurs, arrangeurs et rêveurs depuis leur Grand Est : écrire (ou reprendre) des chansons aux arrangements toujours justes et qui vont à chaque fois à l’essentiel, des chansons où seul compte le partage de la passion. Le partage des émotions.
Vol. 1 par Solaris Great Confusion & Original Folks est disponible sur Médiapop Records et Broken Obstacles.
NDLR : Signalons ici deux entreprises (qui nous sont chères pour plusieurs raisons) en difficulté : La Flèche d'Or, mythique salle de concert à Paris et Chicmédias, éditeur des publications Zut et Novo, dont fait également partie Mediapop Records. Vous pouvez les aider en cliquant sur les liens présents dans le texte ci-dessus.