
A l’heure où à Paris, les lieux de concerts indie se raréfient à vue d’œil (même si Le Chinois à Montreuil a repris de plus belle hier soir, ndlr), les amateurs de pop de l’ombre peuvent toujours compter sur l’équipe infatigable de l’excellent Paris Popfest pour entretenir la flamme. Depuis plusieurs années, Joanny et Emmanuel sont parvenus à faire jouer tout le gratin de l’indie pop canal historique, notamment Amelia Fletcher, White Town, 14 Iced Bears, Miki Berenyi (Lush), Lawrence, Michael Hiscock (ex-The Field Mice, The Gentle Spring), pour ne citer que les premiers me venant à l’esprit. Mais loin de toute passéisme, les deux compères n’ont jamais manqué l’occasion d’inviter les nouvelles pousses du genre, comme Jeanines, Lightheaded, Smashing Times, Roberta Lips ou nos Local Hero Eggs.
Et à voir le programme de l’édition 2025 qui aura lieu au Hasard Ludique les 18, 19, et 20 septembre prochain, on se croirait revenu au temps béni d’Indietracks, le très regretté festival anglais qui a vu passer tous les grands de l’ère C86 et leurs nombreux héritiers. A l’affiche on trouvera les valeurs sûres comme The Loft, Comet Gain, Would-Be-Goods et Essential Logic, mais aussi des formations plus récentes comme les très flyingnunesques Holiday Ghosts, les jeunes The Cords et pléthores d’autres surprises.
On ne dira jamais assez de bien des organisateurs de concerts comme Joanny et Emmanuel, sans lesquels la pop ne trouverait aucun asile et les groupes les plus cools ne pourraient venir répandre la bonne parole. Les deux éternels popkids parisiens viennent aujourd’hui nous parler de leurs chansons préférées.
Emmanuel
01. Affairs Of The Heart, Waterloo Sunset (Dance Mix) (1983)
Je ne sais rien d’Affairs Of The Heart, si ce n’est que cette reprise des Kinks est leur seul disque. Discogs m’apprend que la chanteuse, Joolz, s’appelle en réalité Julia Rumbelow, et qu’elle momentanément pris la place de Becki Bondage dans Vice Squad – un autre groupe dont je ne sais rien*. Ce que je sais, c’est que ce morceau était un classique des premières soirées PMU, avec qui j’ai longtemps passé des disques au Pop In. Difficile de dire aujourd’hui pourquoi il nous plaisait tant… Je me souviens de débats pour décider quelle version passer : Edit, Dance Mix ou Scrub Mix ? Vu que c’est mon Selectorama, je tranche, et c’est ce bien mal nommé Dance Mix, avec son intro à rallonge, qui gagne.
*Si vous avez des infos, écrivez à Section26 qui fera suivre.
02. Lucky 15, Stereo 1-5 (1997)
Un autre groupe qui n’a sorti qu’un seul disque*. Et à ma connaissance, le seul à prédire, comme on l’entend dans ce faux dialogue à quatre voix, un avenir radieux au pantalon cosaque.
*Lucky 15, dont les deux chanteuses ont par ailleurs enregistré un album composé par Katerine sous le nom des Sœurs Winchester, a aussi sorti une reprise du Children’s Games d’Antonio Carlos Jobim, avec Momus au chant, pour une compil sortie sur XIII Bis Records. Là aussi, et plus que pour Vice Squad, toute info supplémentaire est bienvenue.
03. Lora Logic, Brute Fury (1982)
L’instant réclame : Lora Logic est l’une des têtes d’affiche du prochain Paris Popfest – le jeudi, avec son groupe Essential Logic. Ce sera son premier concert à Paris, en 49 ans de carrière. Pour la faire courte, et quitte à passer pour un parent indigne, si vous ne pouvez vraiment venir qu’un seul des trois soirs, faites en sorte que ce soit celui-là. En plus il y aura Holiday Ghosts <3 et Dog Park <3<3.
04. Betty And The Werewolves, Purple Eyes (2010)
Encore le groupe d’un seul disque. Et un de mes préférés ever. En particulier ce titre, dont les paroles s’inspirent d’une histoire vraie : un soir, la chanteuse, Laura, a sympathisé avec un gars dans un bus de nuit ; il avait les yeux violets, lui a demandé si elle aimait les Libertines, lui a offert deux https://section-26.fr/tag/stereolab/CD et une cigarette cassée, et lui a fait promettre de passer le voir sur son lieu de travail. Elle n’y est jamais allée, et a écrit ce morceau à la place. Je pense souvent à cette anecdote, et je me dis que moi, je serais sûrement allé au rendez-vous. Mais je ne chante pas.
05. Stereolab, We’re Not Adult Orientated (1993)
Pas de playlist sans le ‘lab. Dans un de ses billets d’humeur pour Section26, Renaud Sachet mettait récemment « les historiens » du groupe au défi de citer leur premier titre chanté « in French » (Stereolab en français dans le texte, 17 mai 2025). Pas si simple, même si je pense avoir trouvé la solution – que je me garderai bien de donner ici. Pour m’en assurer, et puisque mon employeur m’engage à tester les capacités d’une intelligence artificielle appelée à me remplacer, j’ai posé la question à ChatGPT. Qui s’est mélangé les pinceaux dans les dates de (res)sortie des disques et cassé les dents sur les titres en anglais de morceaux chantés en français, et vice versa. Je lui ai dit – et il en a convenu – qu’il manquait de méthode et que son travail n’était pas sérieux.
Pour revenir à We’re Not Adult Orientated, deux choses qui me plaisent à propos de ses paroles – en français et parmi mes préférées du groupe :
a) je n’ai appris que récemment qu’elles ne sont pas de Laetitia Sadier, qui les a piquées chez Faust (Giggy Smile, sur Faust IV. Je n’ai droit qu’à cinq morceaux et ne peux pas ajouter la vidéo ici (si : là, ndlr), mais vous pouvez vérifier si vous ne le savez pas déjà) ;
b) celles qu’on trouve en ligne ne sont jamais les bonnes. Je n’ai plus peur de perdre mes dents / Je n’ai plus peur de perdre mon temps devient – avec des variantes selon les sites – Je n’écris pas pour perdre mon temps / On n’écrit pas perds je perds mon temps. Manque de sérieux ou absence de méthode ?
06. Danny Boy And The Serious Party Gods, Castro Boy (1983)
(J’ai menti : je triche et ajoute un sixième morceau – tant pis pour Faust).
C’est des paroles de cette chanson que Joanny et moi avions tiré notre nom – We Talk Nelly – quand on a passé des disques au New York Popfest, en 2016. Ca nous a fait rater le concert d’Allo Darlin’, programmés en même temps (et qui devaient se séparer quelques mois plus tard). Mais on s’est bien amusés, et c’est pendant ce dj set qu’on s’est dit que ça serait quand même une bonne idée d’avoir un festival équivalent à Paris. Puissent les Serious Party Gods veiller longtemps sur nous !
Joanny
01. Pushy Parents, Secret Secret (2011)
C’est peu de dire qu’ils ont eu une courte carrière : un seul EP chez Elefant records. Pushy Parents, c’était un rêve d’indie suédoise, une dream team qui comptait entre autres la grande Amanda Aldervall (Free Loan Investments, The Andersen Tapes) et le producteur Roger Gunnarsson (Sally Shapiro, Cloetta Paris, Nixon). On l’a passée un paquet de fois en DJ set en rêvant du jour où l’on verrait ça en concert ; un espoir sans lendemain vu la carrière éphémère de ce groupe conçu comme un pur projet de studio. Mais il y a une vraie beauté là dedans, comme le disait le manifeste final de Sarah Records : Nothing should be forever. Bands should do one single and then split up, fanzines finish after one flawless issue, lovers leave in the rain at 5AM and never be seen again.
02. Elliott Smith, Everybody Cares, Everybody Understands (1998)
Je n’en démordrai jamais, Elliott Smith était l’un des plus grands compositeurs pop ayant jamais vécu. J’aurais pu choisir des dizaines de titres, mais vu qu’il n’en faut qu’un… C’est une perle un peu cachée d’un album immortel, éclipsée par d’autres chansons telles que Son of Sam ou Waltz #2. Le texte évoque les tentatives d’interventions d’amis trop bien intentionnés quant au problème de drogue de son auteur, entre cynisme et colère non dissimulée : You say you mean well, you don’t know what you mean / Fucking oughta stay the hell away from things you know nothing about. La voix doublée est toujours aussi belle, tout sauf une surprise. Et paradoxalement, c’est lorsque le chant s’arrête à mi-parcours que la chanson décolle, avec la brusque intrusion de la batterie, du piano, et de la guitare électrique. Un coda magistral qui semble ne jamais cesser de monter – Elliott maitrisait l’illusion de Shepard, merci pour lui. Qu’est ce qu’il me manque.
03. The Zombies, Hung Up on a Dream (1968)
On a déjà écrit des pavés sur ce chef d’œuvre qu’est Odessey and Oracle, un album qui a mis deux ans à être remarqué et quinze à devenir plus ou moins à la mode. J’ai eu la chance incroyable d’être au Shepherd’s Bush Empire en 2008 quand les Zombies l’ont joué en intégralité et dans l’ordre, avec le brillant Darian Sahanaja en bonus. La voix de Colin Blunstone était juste dingue et avait gardé toute sa clarté, de quoi rester bouche bée dès les premières notes. Et je me souviens de l’enchaînement Brief Candles / Hung Up on a Dream, cette transition parfaite, le piano qui s’éteint et renaît. Trois minutes. Trois minutes d’une beauté sidérante, sublime, qui m’a laissé en larmes et frissonnant de chair de poule. Sometimes I think I’ll never find / Such purity and peace of mind here. Je place le chœur final tout en haut de mon panthéon personnel, ex aequo avec les plus beaux arias de Jean-Sébastien Bach – une influence d’ailleurs mentionnée par Rod Argent (qui a aussi fait du prog qui tâche, comme quoi personne n’est parfait).
04. Mitski, Heaven (2023)
Comme le disait Nick Hornby, on sait que la pop adore les histoires de cœurs brisés ; Heaven en est l’antithèse. C’est une sublime valse en apesanteur, quelques minutes suspendues, tellement apaisées qu’elles devraient être prescrites en perfusions massives. Il y a une douceur irréelle ici, et je l’écoute souvent par séries de dix pour tenter de m’en imprégner.
05. Eggs, Still Life (2022)
Quel tube ! Mais quel tube ! Elle devrait figurer dans toutes les compilations, tous les best of, toutes les playlists. Je dois saoûler ce pauvre Charles à force de lui répéter à quel point je trouve sa chanson incroyable mais je continue quand même. C’est une pièce collective parfaite. Le synthé en intro, la cavalcade saxo-guitare, les chœurs de Margaux / Erica qui donnent LE petit plus tout au long. Et puis EggS c’est tous les concerts, avec entre autres une quasi tête d’affiche au Popfest. C’est les copains, les rigolades, les pintes de bière, le 11ème arrondissement, et j’en passe. C’est mon Paris à moi dans ce qu’il a de meilleur.