Selectorama : Olivier Rocabois

Olivier Rocabois / Photo : Alain Bibal
Olivier Rocabois / Photo : Alain Bibal


Après des années injustement passées dans l’ombre malgré un talent d’écriture indéniable, Olivier Rocabois avait deux options : capitaliser sur le succès de son récent album
Goes Too Far, ou bien l’absence totale de calcul. N’étant pas du genre à se reposer sur ses lauriers, il sort aujourd’hui The Pleasure Is Goldmine, son nouvel EP. Si la structure des chansons est toujours aussi aventureuse et ambitieuse, l’ensemble est plus direct et épuré. Ce relatif dépouillement lui va aussi bien que ses costumes italiens et a le mérite de mettre en avant l’aspect le plus expérimental de sa musique. Sous une apparente fluidité, on devine à quel point chaque titre a été travaillé, des pistes écartées pour trouver celle qui mènera à l’extase. On sent que Rocabois vit “musique” du matin au soir, et que le mot approximatif a été rayé de son vocabulaire. La principale force du disque est de laisser le temps aux compositions de s’épanouir et de respirer sur la longueur, parfois sur plus de cinq minutes. On a déjà beaucoup parlé de la jeunesse bretonne de Rocabois marquée au fer rouge par les Beatles, les Beach Boys, Bowie ou la britpop naissante. Pour avoir écouté chez lui un bout de playlist qui doit durer plus d’une semaine, je peux vous assurer qu’il serait réducteur de résumer sa culture musicale à ces quelques piliers. Ce Selectorama en est la preuve, et il nous l’explique en détail. Ne le remerciez pas, tout le plaisir est pour lui.

01. Antonio Carlos Jobim, Cronica Da Casa Assassinada

Matita Perê est l’un de mes albums favoris de Jobim. J’y retrouve tout ce qui me fait vibrer : ses mélodies qui transpercent l’âme, une orchestration hyper riche et inspirée de nos génies français Ravel et Debussy, un sound design amazoniaque. Et les titres sont longs (celui-ci dure 10 minutes), on est très loin de l’exercice pourtant difficile du couplet-refrain-pont, Jobim nous embarque et on ne sait plus si on est dans la musique classique, le score et peu importe. C’est profond, animé, tu chiales et le dernier mouvement est poignant. J’y entends des passerelles avec Morricone ou Sorgini.

02. Smokey Robinson & The Miracles, Ooh Baby Baby

« The greatest living American poet » selon Robert Zimmerman. Les mélodies de Smokey sont brillantes et fendent le cœur. Sa dualité me fascine : avoir été à la fois une des huiles de la Motown et écrire des trucs du niveau de Quiet Storm. Sa voix sucrée et les chœurs des Miracles me transportent, le titre est super bien construit, il s’ouvre à nous comme une pivoine au mois de mai. Pure Smokey !

03. Epic Soundtracks, She Sleeps Alone
 

La voix de ce mec me bouleverse. Kevin Paul Godfrey (1959-1997), frère de Nikki Sudden et co-fondateur des Swell Maps. Album entendu vaguement à sa sortie via l’un de mes précepteurs (sans doute David Tanguy, illustre graphiste vannetais résident anglais depuis Different Class) et redécouvert récemment grâce à Martial Solis (le mythique disquaire bordelais de Total Heaven), j’ai littéralement plongé. Les compos intuitives et ce désespoir jovial : je m’y reconnais. Le changement d’accord à 1’55 me donne des frissons « Go away, you foolish boy ». Tu ressens toute la spontanéité et la sincérité du propos. Nous autres, les timides extravertis, on a besoin d’enrober nos discours avec des trompettes et des chœurs, de peur d’être trop directs… Le qu’en dira-t-on et l’auto-censure abîment beaucoup les musiciens, il faut faire confiance à son instinct ! La concision, c’est pas mon fort. Je crois naïvement avoir plein de choses à dire (toujours les mêmes), alors je me réjouis de rencontrer IRL ou découvrir des pairs qui développent aussi leurs angoisses sur 6 minutes. D’aucuns citent Nietzsche ou Confucius. Moi je cite Malkmus, pour vous dire à quel point je suis pop : we are underused !

04. Michael Head, Broken Beauty

Ce nouveau titre de Michael Head m’obsède, je l’écoute en boucle. J’y retrouve le souffle des Pale Fountains et l’inspiration de The Magical World Of The Strands. La voix est miraculeusement intacte, la production de Bill Ryder-Jones est majestueuse. Le Merseyside sera toujours ce vivier de grands mélodistes !

05. The Melodians, Rivers Of Babylon

Cette ritournelle me hante depuis l’enfance. Je l’ai connue comme la majorité d’entre nous grâce à Boney M (idem pour leur reprise de Sunny). La dimension mystico m’échappe un peu mais le titre est magique. Grâce aux labels Soul Jazz et Trojan, j’ai pu explorer un peu le reggae et le dub et c’est une joie sans cesse renouvelée : je décolle aussi vite que lorsque j’écoutais le Rainbow Country de Marley en montée d’ecsta dans le Tire-Bouchon qui mène à Quiberon.

06. Arnaud Fleurent-Didier, Un Homme & Deux Femmes

Fan d’Arnaud Fleurent-Didier depuis Portrait du Jeune Homme en Artiste. France Culture, Un Monde Meilleur, c’est très fort. J’aime sa façon de composer, ses lyrics, son emphase, ça foisonne, c’est ample. Ces chansons touffues sont-elles caractéristiques de la promo 1974? Et toutes ces références italophiles dans le titre choisi ici. Je le trouve très beau et il est toujours entouré de filles sublimes. Un peu dérouté par son rôle dans Bonheur Académie, cette comédie étrange sur Raël. Le mystérieux AFD ne cessera de m’intriguer !

07. Lou Reed, Berlin

+ version Bataclan (feat. Cale & Nico)

Lou Reed, le Velvet et sa galaxie sont incontournables. Ces deux versions de Berlin sont à tomber, sans parler de celle démente de l’album éponyme (ce terme maudit !) mais elles me touchent plus. J’aime le Lou entre son départ du VU et Transformer, tu sens bien que le mec cherche. Et il nous pond Berlin, sa « chanson Barbra Streisand« , comme il dit. Je reprends volontiers Dying On The Vine de Cale ou The Fairest Of The Seasons de Nico en concert : ils font partie de nos vies, comment ne pas les aimer? Je croisais souvent Ari Boulogne quand on vivait à Jaurès, c’était hyper troublant.

08. Piotr Illitch Tchaikovsky, Hymne des Chérubins (extrait)

Toujours cette recherche de transe dans la communion. La musique vocale est importantissime à mes yeux. J’écoute très souvent des chants sacrés, notamment orthodoxes, ou encore les pistes séparées des Beach Boys et des Beatles, c’est mon travail d’apprentissage, l’autodidaxie dans la pureté du ravissement. J’adore superposer les harmonies quand je maquette à la maison. Une fois la voix lead posée et parfois doublée à l’unisson (jurisprudence Lennon/Elliott Smith), j’aime fixer l’arrangement vocal avec sérieux et fantaisie : on balance d’abord les tierces, les quintes ou les sixtes puis on improvise et je garde seulement ce qui me transfixe. Chanter avec un(e) autre, c’est si charnel. Je m’apprête à rejoindre une chorale avec une joie mêlée d’appréhension : la réalité sera-t-elle à la hauteur de mes projections/attentes ?

09. The Moles, Raymond, Did You See The Red Queen?

Richard Davies est une influence majeure pour moi. Solo, ici avec les Moles, ou bien sûr avec Cardinal. Ce titre me fascine, on y retrouve sa voix magnétique et cette liberté folle. Un peu Smile, un peu White Album : des disques enfantés dans la douleur avec plein d’effets sonores barrés. Je crois que je n’aime que ça, les disques-monde, les labyrinthes où tu retrouves ton chemin grâce à des balises/boussoles : un rire, une sirène, un tambourin qui tombe par terre avec une mega reverb, etc… Alors que les albums où les titres s’enchaînent paresseusement, sans transition/sas de décompression, m’ennuient vite paradoxalement. Même si je suis admiratif des artistes qui ont ce savoir-faire. Je préfère quand c’est un peu dirty et inattendu. « L’art est à la vie ce que le sperme est au sang » disait Léon-Paul Fargue. C’est mon credo, mon confiteor depuis 25 ans. Vivent la rêverie et les salles de réveil en pop ! Un disque doit être un choc, une secousse !

10. Grizzly Bear, Sun In Your Eyes

Piano ballad réinventée, enflammée. Sound design boisé, très soigné : parquet/porte/rocking chair. Et ces arrangements : l’écho sur la batterie, les choeurs, cette science des silences. Je l’écoutais souvent en descente, après des nuits d’ivresse : un bon air bag pour se reconnecter au réel. Grand fan de Rossen, son parcours solo est admirable. Je l’ai vu en concert à Paris récemment, c’était proprement hypnotique. Il m’a serré la pince rue de Lappe (ce n’est pas une contrepèterie) : « I loved the gig from A to Z », j’ai rien trouvé de mieux à dire… Danny est un vrai prodige de la 12-cordes qui est un instrument difficile à jouer. La virtuosité au service de chansons magistralement conçues et interprétées, avec les grizzlies ou seul.


The Pleasure Is Goldmine par Olivier Rocabois sort le 3 juin en CD et numérique chez Acoustic Kitty / Kuroneko.

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