Selectorama : Nonstop

Nonstop dans son clip Crocodile Gandhi / capture YouTube
Clip du morceau Crocodile Gandhi / capture YouTube


« Un Français sur quatre s’insulte devant la glace
»

Frédo Roman, tchatcheur énervé du sud-ouest, remet des pièces dans sa machine à mots pour la quatrième fois en vingt ans. Après l’inaugural et séminal Road Movie en béquilles (2005), sa suite J’ai rien compris mais je suis d’accord (2009), le retour après une longue absence Zyklon Bio (2021), voici Alien au pays des aliénés, qui sort aujourd’hui.  Moulin à paroles, lance-flamme verbal, mitraillette à expressions, pistolet à phrases choc, Nonstop est de retour pour de bon. Derrière une nouvelle pochette monstrueuse et colorée dessinée par Blanquet (un fidèle du groupe), se cache le monde mental fourmillant de Frédo Roman, mis en musique par lui-même, son comparse Renan Guilcher et Richard Roman, le frère, ex Diabologum pour le coup, à la basse. En fan hardcore du slam eschatologique à accent prononcé du Toulouse 2000 (les racines Programme & Expérience), autant dire qu’on est aux anges.  Même si le monde s’est depuis peu à peu transformé en une version des pires visions de Frédo, Michniak ou Cloup, c’est avec un plaisir non dissimulé qu’on replonge, histoire de trouver un sens dans tout ce bordel, jouir de cette absurdité, pleurer de ce délire, et pourquoi pas en rire comme jamais en un grand éclat (d’obus).

Si Frédo Roman n’a pas mis de l’eau dans son vin, il apparait moins énervé qu’avant – la voix se pose plus volontiers, les flows se diversifient, les ambiances instrumentales sont aussi moins épileptiques et agressives, mais pas moins effrayantes dans leur apparence inoffensive : une sorte de tapis roulant sonore en mouvement permanent, malaisant,  qui ne cherche jamais l’illustration des propos mais devient son contrepoint étonnant. L’empilement de visions sur cet uneasy listening crée une sorte de rap monstrueux qui délivre vérités cachées (le disque s’ouvre sur : « tu m’as tapé dans l’oeil comme un LBD »), constats de résignation intime (« je pleure dans ma voiture et actionne les essuies glaces »), colères difficilement digérables (« premières préoccupations des Français : le pouvoir de chier »), images qui s’entrechoquent (« un coussin péteur sur une chaise électrique »), scories de la pop culture (« police, menottes, prison » piqué dans la bouche du Galabru pourchassant le roller dans le métro de Subway) on pourrait tout citer franchement, comme un censier des meilleures contributions à l’histoire contemporaine (l’homme qui participe sans le savoir à une battue organisée pour le retrouver, j’ai ça dans mes coupures de journaux !). Car c’était déjà le monde de Nonstop il y a vingt ans, et maintenant c’est le nôtre, comme une prophétie autoréalisatrice qui aurait mal tourné. Et comme c’est mieux d’adresser nos réclamations au principal responsable, plutôt qu’à ses saints, même si on a tendance à entendre des voix sœurs un peu partout aujourd’hui (de Bleu Russe/Biscornue Bitch à Ptite Soeur & Gemroz en passant par Magicien Windows, Astéréotypie ou Bruit Noir bien sûr), alors tournons-nous vers la source Nonstop, il peut peut-être encore quelque chose pour nous.

En attendant d’étudier en profondeur ce nouvel oracle de Nonstop, on a demandé à Frédo Roman et Renan Guilcher ce qu’ils écoutaient ces temps-ci.

01. Metal Preyers, The Caller

Nyege Nyege Tapes est certainement le label électro, mais pas que, le plus passionnant de ces dernières années. Ce disque de Metal Preyers en est la preuve. Collage sonore de grésillements électroniques, de percussions africaines et d’incantations vaudous.

02. Normal Nada the Krakmaxter, Batida 31

Sortie aussi sur le label ougandais Nyege Nyege Tapes, Normal Nada the Krakmaxter envoie dans ce morceau, tourné dans un foyer d’émigrés, un message à tous les fafs : il faudra compter sur l’Afrique pour la musique électronique. Refugees welcome ! 

03. TH,  DIABOLO & SATANAS

Le soleil se couche, les démons se réveillent. TH c’est le meilleur rappeur français. Futuriste. Sombre. Bourrés d’haïkus post-apocalyptiques et d’images sortis tout droit d’un bouquin de K Dick ou Asimov.  Après 2 EP, Signal et Signal II, il vient de sortir sa première mixtape E-Trap.

04. Baghdad Disco, Cheb Terro

Cheb Terro était le fer de lance d’une bouillonnante scène rap tunisienne. Il pouvait passer de la trap à ce morceau aux sonorités new wave ou au rap industriel sur son dernier disque posthume avec Dj Die Soon.

05. Spy, Sonic Unrest Vol. 4

Groupe de hardcore originaire de San Francisco. Une énergie folle, un chanteur de death au look à la Cliff Burton, des supers riffs et un beat de mammouth. Le groupe bourrin à écouter très fort pour faire chier tes voisins.  

06. Froid Dub, Kiosk Radio 20.01.2024

Petite dédicace aux potos de Froid Dub et à leur label Delodio. Depuis plus de 25 ans et plusieurs projets, ils creusent leurs sillons dans une veine électronique personnelle, mais à chaque fois différente. Les supers skeuds de Froid Dub font ainsi suite aux très bons disques de Blackmail. Hâte d’écouter leurs prochaines aventures.

07. Prodigy, Product Of The 80’s

Comme son nom l’indique ce disque de Prodigy (moitié de Mobb Deep) a des accents très 80’s. Une production signée du duo Sid Roams et des putains de synthés analogiques qui parsèment les morceaux de cet album de 2008 qui n’a pas pris une ride. 

08. Alpha Wann, Le piège

Une des meilleures intro de rap français pour cet album Une main lave l’autre qu’on écoute toujours aujourd’hui.

09. Alain Bashung, Live au Transbordeur (Lyon, France) – 08/11/1989

Novice est peut-être le disque que j’ai le plus écouté dans ma vie. Un no man’s land désolé sur un tapis de cendres. Un monument de noirceur, de sons irréels, à mi-chemin entre la new-wave, l’indus et la chanson française. Je suis tombé sur ce live capté au Transbordeur en 1989. Cette année-là, j’avais 14 ans et je l’ai vu dans une boîte bien glauque dans la banlieue toulousaine qui s’appelait l’Apocalypse. C’était mon premier concert. 

10. Bruit Noir, Le visiteur

Le meilleur groupe français. J’ai toujours été sidéré par la capacité qu’a Pascal Bouaziz à enchaîner à la fois des projets littéraires, poétiques comme avec Mendelson, et des disques qui me font hurler de rire avec Bruit Noir, où avec la politesse du désespoir, il raconte notre époque telle qu’elle est vraiment. Et on parle pas assez des compositions de Jean-Michel Pirès, minimalistes et répétitives qui traduisent si bien l’aliénation de ce monde… Bref ! C’est intelligent, original, donc rare et précieux et tellement sous-coté comme l’était Programme à l’époque… 

11. Wolf Eyes, Choking Flies ft. M.U.G. | GP4K

Les darons de la scène noise expérimentale américaine…Écouter leurs 358 références sur Discogs relève du défi. Grosse influence sur les productions industrielles de Renan. 

12. JPEGMAFIA, I LAY DOWN MY LIFE FOR YOU

Merci à Michel Cloup qui m’a fait découvrir JPEGMAFIA cet été. Un expérimentateur fou qui jongle avec des samples qui partent dans tous les sens. Talent et inventivité hors normes. Un nouvel album foisonnant de 41 minutes avec des guitares hard-rock, des samples venus de tous horizons et des beats très variés. A écouter à fond avec un casque de chantier !


Alien au Pays des Aliénés par Nonstop est disponible chez Petrol Chips.

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