Selectorama : Jowe Head (Swell Maps)

Le survivant du groupe livre ses émois de jeunesse avant son concert vendredi à Sonic Protest

Swell Maps en concert à Edimburgh en 2022, avec Jowe Head à droite.

La première fois où j’ai entendu parler des Swell Maps, ce fut dans une interview de Stephen Pastel aux Inrocks. Il y racontait en substance que c’était le genre de groupe qui pouvait changer, musicalement comme idéologiquement, le cours d’une existence. Et il avait cent fois raison. Sur le sujet, Nikki Sudden lui-même fit une assez bonne analyse : « Swell Maps auraient été bien meilleurs si le punk n’était pas arrivé ». Groupe le plus injustement mésestimé de l’époque, même si les récentes rééditions chez Secretly Canadian ont fait avancer cette cause fondamentale et de moins en moins perdue, faute de combattants.

Swell Maps
Swell Maps en 1980, sur la couverture du livre auto édité par Jowe Head.

Formés dès 1972 dans la région de Birmingham sous une forme embryonnaire par les frères Nicholas et Kevin Godfrey (Nikki Sudden et Epic Soundtracks, donc) en compagnie de Richard Earl et de Jowe Head, ils invoquent des influences plus larges que les Stooges et les New York Dolls de rigueur en ces temps reculés. C’est donc aussi et surtout à T. Rex, à Can, à Faust, à Neu! et à l’inventivité débridée des premiers Roxy Music, de Brian Eno et du Velvet Underground qu’ils doivent leurs constructions effarouchées, dépassant déjà l’époque tout en la saisissant sur A Trip To Marineville (paru tardivement en 1979 chez Rough Trade), un disque sans qui The Pastels, Jesus And Mary Chain et Sonic Youth n’auraient jamais existé, puis déjà de manière arty plus prononcée sur …In « Jane From Occupied Europe » (1980), chef d’œuvre absolu du déjà post-punk. Et puis, tous le monde a vaqué à ses occupations et les frères Godfrey sont morts. Mais le culte perdure avec la parution régulière d’archives, toutes passionnantes (Mayday Signals chez Easy Action en 2021) et d’un superbe livre rétrospectif, Swell Maps, 1972-1980 auto édité par Jowe Head. Parmi les derniers survivants de cette aventure chaotique, l’ex-Television Personalities s’est donc attelé à la préservation mémorielle d’un groupe unique et fondamental dont il réinterprète les chansons en compagnie de fans avérés dont Luke Haines (The Auteurs) ou encore Dave Callahan (Wolfhounds, Moonshake). L’homme, fantasque mais délicieux, nous livre ses émois de jeunesse en prélude à une prestation plus qu’attendue ce vendredi dans le cadre de Sonic Protest.

01. Soft Machine, We Did It Again / Why Are We Sleeping?


Ces morceaux sont issus de leur premier album. J’aimais bien la première partie car c’était primitif et facile à jouer, mais aussi quelque peu zen dans son aspect de trance hypnotique. La seconde partie est plus un appel à l’action. Swell Maps l’ont jouée lors d’une répétition !

02. Terry Riley, A Rainbow In Curved Air

J’écoutais pas mal les Who au début des années 70, et Who’s Next a été le premier album que j’ai acheté. J’adorais l’electonica primitive de Won’t Get Fooled Again et Baba O’Reilly, et ça a été une passerelle pour d’autres œuvres minimales comme celle-ci, tout comme Poppy Nogood and the Phantom Band, issue du même album. Pete Townhsend a surement été influencé par le travail de Terry Riley, mais aucun n’avaient accès a des machines modernes comme les samplers et les séquenceurs, donc ils jouaient tout en temps réel, avec l’écho des bandes pour rajouter d’autres motifs répétitifs. J’utilise parfois des synthés analogiques pour créer et émuler un effet similaire.

03. Van der Graaf Generator, A Plague of Lighthouse-Keepers (from Pawn Hearts)

Un chef d’œuvre dark de rock psyché progressif. Je crois que Peter Hammill a été une vraie influence sur ma façon de chanter. J’ai aussi beaucoup aimé les premiers enregistrements de Captain Beefheart avec The Magic Band, et j’aime toujours autant sa voix, je suppose que son travail a également eu un impact sur la façon dont j’utilise ma voix.

04. Jimi Hendrix, 1983 (A Merman I would Turn To Be)

J’ai adoré son album Electric Ladyland, qui contient des chansons géniales et aussi quelques morceaux plus expérimentaux comme celui-ci. Je l’ai trouvé dans un petit magasin de disques en Allemagne en vacances avec mon pote Adrian (aka Nikki Sudden), qui collectionnait les singles de T.Rex issus du même magasin. On a ensuite formé Swell Maps ensemble.

05. Buzzcocks, Time’s Up (from Spiral Scratch)

Nikki et mois étions très excités par cette sortie au début de l’année 1977, qui nous a donné envie d’enregistrer pour la première fois en studio, ce qui nous a conduit à monter notre propre label et sortir notre premier single à la fin de la même année. Ces premiers disques des Buzzcocks ont été une grande influence, très énergiques, imaginatifs, primitifs et mélodiques.

06. Faust, The Faust Tapes

Ce disque était très inspirant pour nous, jeunes auteurs compositeurs de musique, car c’était un mélange étrange de chansons et de morceaux de noise expérimentaux réunis en un seul album. Une œuvre très primitive, qui nous a donné l’idée d’utiliser également des bandes enregistrées à la maison. C’était également très bon marché, presque « jetable », et ça polarisait les gens ; certains l’adoraient et d’autres non, mais beaucoup en avaient car c’était tellement cheap ! J’aime Can aussi, autre groupe allemand très important.

07. Sun Ra, Enlightenment

J’explorais les frontières du jazz jusqu’à un certain point et je fantasmais sur les OVNIs et les extra-terrestres, donc la musique de Sun Ra m’attirait fortement. J’ai creusé sa façon de définir l’aliénation au monde moderne. Musicalement, il y a beaucoup de choses abstraites, mais il a également composé quelques mélodies parfaites avec des paroles particulières, et ce titre-là est celui que j’ai repris moi-même.

08. Joe Meek, I Hear A New World

C’est facile de négliger le travail de Joe Meek, lui qui est mort tragiquement en 1967, et qui avait l’air un peu ancienne école avec son toupet rockabilly, ses costards et tout le reste. Il n’y avait également pas grand chose à écouter de son œuvre à l’époque à part Telstar, qui passait parfois à la radio, mais ce n’était pas du tout à la mode jusqu’à ce qu’une nouvelle vague de jeunes gens commencèrent à être plus curieux de l’aspect rétro dans les années 80. Meek a enregistré un concept album entier de musique dédiée au cosmos avant sa mort, mais il n’était disponible qu’en obscurs bootlegs jusqu’à ce qu’il ressorte des années après sa mort.

09. Temptations, Smiling Faces (Sometimes)

J’écoutais pas mal de soul psychédélique au début des années 70, comme ce disque-là ou Family Affair de Sly and the Family Stone. J’ai aussi aimé certains disques de Miles Davis de cette période (Bitches Brew ou Jack Johnson, par exemple) avec les versions longues qui comprenaient des solos sauvages de trompette avec écho et des guitares électriques wah-wah. Norman Whitfield était un producteur pionnier de la Tamla Motown, et Miles s’est inspiré de ces disques-là et de ceux de Sly Stone pour réinventer sa propre musique à partir d’éléments de rock psychédélique.

10. Velvet Underground, Lady Godiva’s Operation

Dans l’œuvre des Velvet Underground, je suis tombé sur le second album (White Light, White Heat) quand j’étais adolescent. J’adorais le côté sauvage et brut, même si c’était parfois joué de façon négligée et libre, cela ajoutait beaucoup à son attrait. Ce morceau est l’un des titres particulièrement tordus de John Cale. Il compose toujours de la musique à la magnifique inventivité, avec un sens mélodique très riche. J’apprécie également beaucoup sa voix ample qui continue à charrier une forme d’étrange dignité. Je suis toujours enthousiaste à propos de son travail, et j’aime beaucoup son nouvel album Mercy, qui comporte des participations d’artistes émergents comme Weyes Blood et Actress.

11. Nico, The Falconer (from Desert Shore)

J’aime aussi le travail de Cale avec Nico. Il avait l’air de l’encourager à s’éloigner de la pop et du rock pour explorer d’autres endroits plus ésotériques. J’aime particulièrement la façon dont elle s’accompagne à l’harmonium, cet album a un véritable espace sans aucune forme d’accompagnement rock. Cale a ajouté des arrangements particuliers avec son alto et son piano, ce qui confère à l’enregistrement une atmosphère toute particulière. J’adorais également sa voix, aussi froide et profonde fut-elle. Certains qualifient son œuvre de déprimante, dans le sens de ce que Leonard Cohen pouvait enregistrer, mais je les trouve tous les deux inspirants.

12. Traffic, John Barleycorn (must die)

J’avais l’habitude de beaucoup apprécier les premiers tubes de Traffic quand je les écoutais enfant à la radio, ils étaient arrangés avec beaucoup d’inventivité, et la voix de Steve Winwood avait une qualité très attirante et nostalgique. Ce morceau est un enregistrement tardif, et j’ai réalisé plus tard que c’était une adaptation d’un morceau traditionnel étrange, avec une qualité presque surréelle. J’ai eu envie de découvrir d’anciennes folk songs, et j’ai exploré ce champ plus encore, fait des recherches de mon côté. J’ai depuis adapté quelques anciennes chansons traditionnelles anglaises, que j’ai chanté et enregistré assez récemment.


Swell Maps, avec Jowe Head joueront ce vendredi 31 mars au festival Sonic Protest 2023.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *