Ivan Smagghe a consacré les derniers mois dans sa maison de l’Est londonien, à lire toujours plus de livres, à regarder toujours plus de films… avant de retrouver le sens de sa démarche et de reprendre le chemin des clubs, où le Dj et producteur demeure une des personnalités les plus attachantes de ces trois dernières décennies. Sur le fil toujours, des bancs de Science Po aux ondes de Radio Nova, des lignes de la RPM au comptoir du disquaire Rough Trade jadis rue de Charonne, Ivan incarne à son corps défendant une certaine idée de la musique, sans concession, ni chapelle, ni dogme. Dans Passeur, le récit autobiographique de Jean-Daniel Beauvallet à paraître, l’ancien rédacteur en chef des Inrocks se souvient qu’Ivan le Terrible lui conseille alors ainsi le premier album de Palace Brothers : « Ça devrait te plaire, c’est hyper chiant ». Il joue alors aux soirées Respect à côté de la scène émergente, Daft Punk ou Dimitri From Paris en tête, mais c’est un petit club des Grands Boulevards qui l’intronise sommité dark aux Dj sets remarquables. Pour les indie kids comme moi, nous avons connu (très peu) le Palace, (mal) les Bains et (beaucoup) le Rex Club, mais le Pulp reste le grand frisson club du début du siècle, où le lâcher prise s’accompagnait d’inédites revendications et d’un esthétisme novateur dans l’univers de la nuit parisienne embourgeoisée. Ou comment mêler clubbing et politique, affirmation et émancipation de soi sur le dancefloor dans quelques m2 de moiteur bordélique le mercredi et le jeudi soir. Une scène électronique aux épanchements rock y naît, sous l’égide des soirées puis du label Kill The Dj, et Ivan en est le plus charismatique représentant, en solitaire, mais aussi avec Volga Select ou Black Strobe, que signe Trevor Jackson sur son label Output, comme LCD Soundsystem ou The Rapture. Tiga ne s’y trompe pas, et publie un Dub For Ivan parmi les remixes de TV Treated de Neon Judgement, avant de dédicacer le maxi Pleasure From The Bass à W. Axl Rose et… Ivan Smagghe donc. La vie crame Ivan par les deux bouts et sa collection de disques disparait dans un incendie. Il est temps de larguer les amarres pour Londres. Adoubé par Andrew Weatherall, il apprend au contact du Guv’nor en studio et multiplie les collaborations. Il produit Battant puis C.A.R, et se réincarne en It’s A Fine Line avec Tim Paris. L’album du duo propose un titre chanté par Alex Kapranos de Franz Ferdinand, le voisin londonien d’Ivan, pour sa dernière collaboration sur KTDJ. Son label personnel, Les Disques De La Mort – tout un programme – résonne des travaux de nouveaux venus, Manfredas, Red Axes ou même Flavien Berger, pour n’en citer que quelques-uns, et d’autres francs-tireurs plus que jamais fringants, Cosmo Vitelli, Dj Oil et Golden Bug. Référence de la nouvelle scène, Ivan s’acoquine avec le compositeur et pianiste Rupert Cross pour publier les trois oeuvres minimalistes de Smagghe & Cross. Il revient à ses amours radiophoniques avec l’émission Channeling, avant de collaborer en fin d’année 2020 avec le gourou Vladimir Ivkovic pour revisiter leurs nineties indie dance sur IDMEMO: A Future Of Nostalgia. La double compilation embrase le shoegaze de Slowdive, Chapterhouse, Spiritualized et l’IDM de Warp, mais pas seulement. Après un premier tour de chauffe parisien il y a quelques semaines derrière les platines du Petit Palace, Ivan Smagghe partagera l’affiche vendredi 8 octobre dans l’enceinte du Rex Club avec John Talabot, le créatif producteur catalan aux commandes d’Hivern Discs, et l’agitateur Daniel Weil. En attendant, il partage une sélection éclairée et familiale pour Section 26. Quand Ivan parle, on l’écoute : « J’ai un peu de mal avec ce genre d’exercice, mais bon… C’est hyper dur pour moi de me concentrer sur ce genre de trucs, je n’ai pas de morceaux fétiches, où alors ils changent tout le temps« .
01. Roderick, Zašto Žene U Našoj Unutrašnjosti Još Uvijek Nose Crne Marame
Un disque qui me vient de mon ami Vladimir Ivkovic, un rabbit hole en lui-même. Je ne digge plus autant qu’avant, je ne suis plus vraiment dans le game, surement aussi parce que c’est devenu ça : un game. “Diggers Dig, Lovers Love” comme Vlad et moi l’avons dit sur un t-shirt. Il y en a qui ont les crocs, je leur laisse cette quête, mais cette constante exhibition de la rareté me fatigue un peu parfois. Sur le disque lui-même, je ne sais pas grand-chose si ce n’est qu’il fait partie de la section Yugovinyl, un des derniers récents amours intenses, de ma discothèque.
02. Raymond Barry, TV Nights (Electrodub Version)
J’ai le goût un peu pervers pour ces “crass records”. Un des tubes de KTDJ au Pulp (Kill The Dj), un disque oublié parce que pas vraiment sorti en 2003 (et compilé par Ivan sur Ivan Smagghe – Death Disco en 2004). Si je l’avais quitté ce truc, il serait surement temps d’y revenir. En tout cas il est temps d’assumer ce moment du « comment l’on devient ce que l’on est » et de trouver des endroits où ça vit encore. On en reparle avec Dresden, un projet de soirée avec un autre ami, Manfredas.
03. John T. Gast, Kid Cee Ghosts (Bankruptcy Dub)
Je lis les indications de ce 10” sans pochette sur discogs : “Limited to 25 copies with hand etched and numbered B side. Also available as a free download at https://archive.org/details/BANKRUPTCYDUB« . Un cadeau donc. Je ne suis pas sûr où j’ai entendu ce morceau, dans une émission de Zaltan d’Antinote peut-être. Je n’ai pas de raison de l’aimer autant, ce qui bien sûr en est une.
04. New Fast Automatic Daffodils, Big (Baka) – Jon Dasilva Remix
Un choix demi-évident. Je suis venu à la dance music via Cabaret Voltaire ou ce genre de trucs, les soirées H20 à la Loco où nous allions si c’était trop house et pas assez indie… La claque rave est venue un petit moment plus tard. Si plein de trucs de cette école ont mal vieilli, je joue toujours celui-là.
05. JD Twitch feat. Chloe Sevigny The Ecstasy Of Saint Therese
Alors voilà, enfin ce truc s’apprête à sortir (sur une compilation Spun Out) après 5 ans au fond de ma caisse de disques virtuelle. Il faudrait que je demande mais il me semble que c’était un projet un peu fashion orchestré de près ou de loin par Michel Gaubert. Keith (alias JD Twitch) et Jonnie (Wilkes) d’Optimo, c’est vraiment comme la famille.
06. Mystery Plane, Fractured (Red Axes Unreleased Edit)
(ndlr : la video est la version originale)
“Filiations multiples”. Tel Aviv, une ville qui compte beaucoup pour moi. Niv & Dori, les deux membres de Red Axes, on a tellement de choses encore à se dire. On a des projets ensemble d’ailleurs avec Niv, un petit retour en arrière : Amor Forti, un projet de webzine. Je crois que cet edit de Mystery Plane sortira (donc on poste l’original) sur Duca Bianco, avec eux, c’est souvent difficile de suivre.
07. Novalis, Im Netz
Un des classiques de Channeling, l’émission que j’ai sur NTS avec mon vieil ami Nathan Gregory Wilkins. On déniche encore des trucs de temps en temps, surtout dans des recoins psychédéliques un peu poussiéreux. Je devrais chercher des infos, en même temps ce morceau est tellement évident que je n’en éprouve aucun besoin.
08. Jared Wilson, Seeing Is Forgetting
Il ne faut pas tout le temps frimer et refaire sa vie avec ce genre de playlists. Voilà juste le disque que j’aime le plus que j’ai acheté cette semaine. Ça suffit. L’autre face, Submerge The Ship, est chouette aussi.
09. Depeche Mode, Useless (Kruder & Dorfmeister Session™)
So unhip the revival will start soon. 1997, Rough Trade blah blah blah.
10. Big Hard Excellent Fish, Imperfect List (Andrew Weatherall Rimming Elvis Remix)
C’est encore dur de parler d’Andrew et de l’importance qu’il a eu pour moi. Je ne saurais pas par où commencer mais la réalité – je ne l’ai vraiment rencontré que dans les années 2000 – n’a jamais déçu le fantasme. Il me manque (il nous manque à tous) bien plus que je ne laisse croire.