Ian Svenonius n’est pas du genre à se reposer sur ses lauriers. Depuis plus de 35 ans, avec pas moins de 20 albums sortis sous différentes bannières – Nation of Ulysses, Cupid Car Club, Weird War, The Make-Up, Chain and the Gang etc. – et des milliers de concerts à travers le monde, le dandy rocker de Washington D.C. n’a eu de cesse de donner de sa personne. Le voici de retour avec le savoureux nouveau single Black Gold, extrait de l’album Charge Of The Love Brigade, à paraître dans les semaines qui viennent sous l’avatar d’Escape-ism. Je parle de retour mais depuis 2017, Escape-ism a été omniprésent, sortant tout de même 4 albums coup sur coup – notamment le remarquable The Lost Record – ainsi que l’admirable single Rebel Outlaw en février dernier, qu’on a écouté et réécouté compulsivement depuis. Svenonius avait même eu l’humour culotté de faire presser en vinyle The Silent Record – désormais épuisé –, disque entièrement silencieux, sorte de version musicale du Carré blanc sur fond blanc de Kasimir Malevitch. John Cage aurait certainement apprécié ! En 2017, Svenonius s’était également offert le plaisir de publier un livre désopilant ; Stratégies occultes pour monter un groupe de rock, ouvrage dans lequel on avait retrouvé tout l’esprit facétieux de ses délectables interviews.
S’il a abandonné le hardcore punk de ses débuts, Svenonius, véritable Midas de l’underground, a transformé en or tout ce qu’il a touché depuis, se réappropriant les codes de la soul, du garage ou du rock fifties en y incorporant des textes intelligents, caustiques et drôles. Svenonius, bien qu’inassimilable par l’industrie musicale dont il a toujours été le plus virulent contempteur, s’assume pourtant comme authentique entertainer, dans la lignée d’Elvis ou de Little Richard, offrant de mémorables shows scéniques, au cours desquels il investit la scène comme un prêcheur excentrique dédié corps et âme au Rock And Roll.
Il y a autant chez lui du poète dadaïste que du chamane, de l’activiste, de l’esthète fin de siècle au costumes impeccables et du performer rock à l’ancienne, comme si Tristan Tzara, John Sinclair, Beau Brummell et James Brown s’étaient assemblés en une même entité. Comme tout les grands, Svenonius fait tout le temps et jamais la même chose, et demeure aussi captivant qu’inimitable. J’envie ceux qui découvriront sur le tard Grape Juice Plus de Cupid Car Club, I Was Born on the Floor, They Live By Night et I Am Pentagon de The Make Up, AK-47 de Weird War, Certain Kind of Trash ou encore Livin’Rough de Chain and the Gang. En attendant la sortie prochaine du dernier Escape-ism et la tournée européenne qui l’accompagnera, Ian Svenonius nous a fait l’honneur de sélectionner quelques chansons qu’il affectionne, accompagnées d’une tirade introductive svenonienne en diable.
« Lorsque il fait mauvais dehors, que le temps est pluvieux, sombre et froid, ceux d’entre nous qui souffrent de SAD (Sensory Affective Disorder) ont tendance à se rouler en boule, à s’allonger sur leur lit et à écouter de la « musique curative », c’est-à-dire des chansons douloureuses, avec beaucoup d’accords mineurs, sur « l’amour et le chagrin », Cohen, Dylan, Satie, etc. Certains jusqu’au-boutistes trouvent refuge dans de la musique carrément déprimante ; des ballades meurtrières et de la musique « gothique », composée par des gens habillés en noir. Les Goths nourrissent ainsi leur dépression et leur sombre vision de la vie.
L’idée de « Goth » est venue des tribus qui ont initialement migré au 4ème siècle hors du « Gotland », c’est à dire de ce qui correspond aujourd’hui à la Suède occidentale. Ils étaient si déprimés et mélodramatiques qu’ils ont saccagé Rome et plongé le monde dans un « âge sombre » qui a duré (les récits varient) entre 700 et 900 ans.
Ironiquement, si l’on se rend aujourd’hui en Scandinavie, on trouve peu de traces de vêtements ou de comportements « gothiques ».
En fait, les design danois et suédois sont marqués par des couleurs vives comme le jaune et le rouge, ainsi que des motifs festifs.
Il semble que les « Goths » vraiment déprimés ont tous voyagé vers le Sud il y a 1500 ans et que ceux qui sont restés ont eu une approche différente du mauvais temps : le déni et la sublimation.
La musique joyeuse est donc aussi une marque de fabrique scandinave. Abba, The Cardigans et Aqua. Puisque les Scandinaves prétendent avoir un niveau de vie élevé, les planificateurs mondiaux ont institutionnalisé la musique pop à la radio dans le monde entier dans une tentative désespérée et totémique de parvenir à la richesse et à la bonne fortune.
Comme les baumes, les potions ou les onguents, différentes mélodies peuvent être l’antidote à n’importe quelle situation. Les mélodies changent le temps, organisent votre garde-robe, remettent les idées en place dans les moments de confusion. »
Ian Svenonius
01. Gene Vincent, Slow Times Comin’
Le temps est un tyran absolu et l’exquis Gene Vincent croone ici sur le thème de son inconstance caractéristique. C’est à la fois rapide et lent malgré sa prétention d’être « pile à la bonne vitesse »,
02. The Hollies, The Very Last Day
Peter, Paul and Mary ont composé ce titre très convaincant sur l’apocalypse à une époque qui était marquée par une fascination pour la fin du monde.
Les beatniks comme les gens normaux vivaient dans la peur abjecte que la terre allait être anéantie par la destruction « mutuelle assurée » de l’apocalypse atomique. C’était symptomatique d’une époque d’abondance où la population craignait de perdre ce qu’elle possédait. Aujourd’hui qu’une vraie guerre fait rage entre la Russie et le soi-disant « Occident », et que la perspective d’une guerre nucléaire est tout à fait plausible, tout le monde s’en fout. On croirait même que, en raison de la psychose et de l’aliénation engendrées par le Reich numérique et de la disparité démente des richesses imposés par la maladie du capitalisme, on en serait presque à la souhaiter.
03. Rod Mckuen, RSVP
Kranko fait une fête chez lui.
04. Del Swade, Lonely Man
05. Spencer Stirling, Jilted
Une magnifique ballade qui rappelle beaucoup Pitney et qui parle de chagrin et de cœurs brisés sur le très estimable label Big Top.
06. Jay Wiggins, Tears of a Lover
Jay Wiggins était un chanteur soul de DC qui a refusé de participer à la guerre du Vietnam et qui a été emprisonné pour ses croyances. Tears of a Lover est une jolie mélodie avec un feeling bluebeat.
07. John Lee Hooker, The Great Fire of Natchez
John Lee Hooker a chanté sur quelques catastrophes comme celle-ci (l’incendie de Natchez). C’était dans la tradition folk de commémorer les événements importants comme les inondations, les incendies, les sécheresses, les incidents d’usine, les effondrements dans les mines, etc. Il s’agit du poignant récit d’un incendie qui a réellement eu lieu dans une salle de concert du Mississippi en 1936, l’âge d’or du blues.
08. Soviet Military Chorus, National Anthem of the Soviet Union
Un super hymne national pour tous ceux d’entre nous qui ont l’impression de ne pas avoir de nation à eux. Les paroles sont très belles. Initialement, ça s’appelait « Hymne du parti bolchévique ».
09. Dorothy, I Confess
Une chanson énumérative pour une énumération de chansons.
10. Would be Goods, Last of the Pin Striped Rebels
Une super chanson sur un trader.