Insaisissable, iconoclaste et polymorphe, Clément Cogitore arrive à peu près toujours où on ne l’attend pas. Plasticien, metteur en scène d’opéra, vidéaste et réalisateur, à un jeune âge (39 ans) où il donne le sentiment d’avoir vécu cent mille vies. Dans sa mise en scène des Indes Galantes à l’Opéra de Paris en 2019, le lyrisme de l’opéra-ballet de Rameau se confronte à l’énergie folle des danseurs urbains. Son troisième film de cinéma est aussi sa seconde œuvre de fiction, après le documentaire Braguino (2017) consacré à la vie en autarcie d’une communauté dans la taïga sibérienne. Croyances, minorités, mémoire collective et cartographie poétique sont à nouveau au cœur de Goutte d’Or, magnétique film porté par le formidable comédien Karim Leklou, dans le rôle de Ramsès, un marabout escroc dont le destin va se disloquer au contact d’une bande de jeunes délinquants immigrés. Nous avions évidemment envie d’interroger le réalisateur sur ses marottes musicales.
01. Malcolm Le Grice, Berlin Horse (1970)
Un tout petit film avec un peu de musique de Brian Eno, j’aime beaucoup cette simplicité, entêtante et fragile.
02. Cantenac Dagar live au Festival Sonic Protest, le 23 mars 2022 au Cirque Électrique, Paris.
C’est un très beau duo à qui j’ai demandé deux titres pour mon nouveau film Goutte d’or : Aymeric Hainaux et Stéphane Barascud. Ce sont des longues pièces (parfois plus de 20 minutes), répétitives – comme beaucoup de musiques qui m’inspirent – hypnotiques, rageuses. Ils n’utilisent quasiment aucun instrument électronique, tout est analogique ou instrumental. Ils n’enregistrent jamais en studio, uniquement en live, avec en général un simple enregistreur posé à leurs pieds, ça donne un son tout aussi rugueux et minimal.
03. Sonia Wieder Atherton, Prière juive – Chantal Akerman
Sonia est une merveilleuse musicienne, qui s’aventure toujours à la croisée des arts, du théâtre et du cinéma. Je l’accompagne en images dans son nouveau projet pour la Philharmonie de Paris en 2024. Dans cette vidéo, elle est filmée par, Chantal Akerman qui était une de mes professeurs, quand j’étais étudiant au Fresnoy. Il y a dans leur travail à toutes les deux une profonde mélancolie qui me touche beaucoup.
04. La Colonie de Vacances live à La Station à Paris, 2018
La Colonie de vacances est une réunion de quatre groupes qui jouent en quadriphonie, le public est au milieu. L’un des fondateurs est Eric Bentz, de l’excellent Electric Electric, et qui a fondé maintenant le duo Institutrice, très percussif, expérimental, fascinant. J’ai collaboré avec Eric sur quasiment tous mes projets de films, vidéos et documentaires. Nous univers sont très perméables. J’aime beaucoup chez lui ce mélange entre un son énervé, expérimental, cathartique, et une musique qui sait aussi être lyrique et élégiaque.
05. L’Arpeggiata, Christina Pluhar, Jakub Józef Orliński–Rossi, Dal cielo cader vid’io due stelle
Je trouve ce contre-ténor, Jakub Josef Orlinski, incroyable. Sur scène il a une présence très forte et c’est en plus un excellent danseur. J’aimerais avoir un jour l’occasion de travailler avec lui dans une mise en scène d’opéra. Là, il est dirigé par Christina Pluhar qui fait depuis des années un magnifique travail sur des pièces souvent méconnues, très anciennes, ou issues du folklore populaire de la Renaissance.
06. Rodolphe Burger, Gute Nacht Schubert
Rodolphe a sa maison et son studio d’enregistrement dans une vallée alsacienne tout près de là où j’ai grandi. Les quelques fois où j’ai pu passer à des sessions d’enregistrement, j’ai aimé me mettre dans un coin, un casque sur les oreilles et l’écouter travailler. Parfois, certains musiciens viennent de très loin pour venir enregistrer chez lui. Il y a un son très singulier là-bas. C’est quelqu’un de généreux, hyper pointu, très cultivé, sa musique est un dialogue permanent entre les cultures et les générations (et sa mère fait la meilleure choucroute que je connaisse). Là, il chante un lieder du Voyage d’hiver de Schubert, mêlé à des sons probablement enregistrés dans la ferme d’à côté.
07. Tony Conrad & Faust, Outside The Dream Syndicate (1972)
J’écoute régulièrement ce disque de Tony Conrad quand j’écris, depuis que je l’ai découvert quand j’avais 19 ans, dans un labo de cinéma expérimental à Grenoble (Metamkine). Il y a dessus trois pistes de 25 minutes, ultra répétitives, on ne peut pas vraiment dire qu’il y ait dedans quelque chose qui ressemble à une mélodie et deux des trois pistes sont quasiment identiques, donc ça en en fait un objet très austère mais c’est la musique qui m’aide le mieux à écrire, elle met mon cerveau dans un état à la fois réceptif et créatif, et suspend le temps.
08. Raphaël Pichon – Romeo Castelluci, Mozart Requiem
Cette production est ce que j’ai pu voir de plus beau sur une scène d’opéra ces dernières années. Romeo Castellucci est pour moi un des plus grands metteurs en scène de notre époque et Raphaël Pichon un des meilleurs chefs d’orchestre de sa génération. Ils ont réussi là quelque chose de magnifique sur le Requiem de Mozart. Avec Raphaël, on avait réalisé à distance une petite vidéo de confinement pour Arte pendant le premier confinement, avec les musiciens de son ensemble, sur un madrigal de Monteverdi. J’aimerais beaucoup un jour retravailler avec lui.
09. Sabine Devieilhe, Les Indes Galantes – Viens, Hymen
C’est un extrait de ma mise en scène des Indes Galantes, à l’Opéra Bastille en 2019. Sabine est une soprano prodigieuse et aussi une grande actrice. Je suis très attaché à ce duo chant/danse sur cet air de Rameau, qu’elle partage avec le danseur Cal Hunt, un danseur génial, débarqué de Brooklyn pour le spectacle. Il y a eu là une belle rencontre, chorégraphiée par la formidable Bintou Dembele, sous la baguette du merveilleux Leonardo Garcia Alarcón, lui aussi un des meilleurs chefs d’orchestre de sa génération. C’est un souvenir musical et scénique qui m’est très cher.
10. Scorpion Violente, Uberschleiss
J’avais utilisé ce titre que j’aime beaucoup dans une vidéo pour mon exposition personnelle au Palais de Tokyo en 2016. Bertrand Mandico a travaillé aussi avec ce duo sur son film Les Garçons Sauvages. Le groupe n’existe plus et c’est bien dommage… Ils faisaient partie de la mythique Grande Triple Alliance internationale de l’Est, une sorte de label qui n’en n’est pas un et qui trouve son origine dans des caves des banlieues de Metz et de Strasbourg (que je connais bien).