Selectorama : Charlene Darling

Charlene Darling
Charlene Darling

Charlene Darling est née alors que Charlotte avait déjà 16 ou 17 ans, au moment où elle écrivait pour la revue Minimum Rock’n’Roll. Un peu plus tard, elle tentait ses premières expérimentations musicales dans Pussy Patrol. Elle y jouait sans technique, à l’instinct : « J’aimais bien que ça joue mal, parce que j’avais en tête les Shaggs, ce genre de groupe. » Le principe restera le dénominateur commun de tous les projets dans lesquels elle a joué, prouvant que l’amateurisme ou les erreurs peuvent devenir magnifiques. Octobre 2019, Charlotte Kouklia de son état civil, que l’on a pu entendre dans Rose Mercie mais également dans La Ligne Claire, sort Saint-Guidon, un album sous le nom de Charlene Darling.

Un clip exclusif pour commencer…


Avec Saint-Guidon, fini le chant en anglais noyé sous les effets, Charlotte se défie elle-même de composer et enregistrer quelque chose de « plus propre » avec des paroles en français. Travail monstre quand on a pour idole Brigitte Fontaine… Elle se nourrit, lit à foison et écoute ses proches qui l’aident dans cette phase : « Au départ je voulais d’ailleurs demander à des amis de m’écrire des paroles pour ce disque. Les Sports Imaginaires, c’est mon frère qui l’a écrit, En Jean, c’est un copain de mon frère, Victor Givois. » Musicalement collectif puisque ce sont l’assemblage d’improvisations qui posent les fondements du disque, Charlotte à pris son temps, depuis son enregistrement en 2015 jusqu’à sa sortie en 2019 : « Les morceaux ont tous été bousculés voir même accélérés, on a dû rappeler les musiciens pour les réenregistrer… Comme on avait enregistré avec trois batteurs différents, ça a été toute une organisation, mais cet énorme chantier de quatre ans nous a permis de geeker comme des malades sur chaque partie des morceaux ! » Plusieurs mixages ont été nécessaires pour que la satisfaction soit au rendez-vous comme le dit Mim, qui a produit l’album et l’a sorti sur son label bruxellois a1000p, dont la mission est de faire sonner des artistes n’ayant jamais enregistré. « Si toutes les idées de production et d’arrangement étaient présentes, la sonorité ne me plaisait pas. Je voulais ramener un truc de tension, de nervosité, je voulais pas que ça soit un disque avachi, dégoulinant, il a fallu trouver un équilibre très précis entre le côté vif, droit et ramener un peu de rondeur pour que ça ne soit pas non plus complètement austère... » Au final, la voix singulière de Charlotte se pose comme du velours sans dénaturer sa vision brute de la musique, son premier long effort que l’on espère ne pas être le dernier. Pour fêter sa réédition, elle nous a concocté une sélection de dix morceaux qui lui sont chers.
01. Kate Bush, Suspended in Gaffa



“Il y a des jours où mes pieds sont faits de boue, tout est en slomo,

Je ne sais pas pourquoi je pleure, est-ce que je suis prise dans du gaffer ?”
(toutes les traductions sont personnelles)

Une des raisons pour lesquelles on a passé autant d’années à rebosser sur le disque avant qu’il sorte, c’est parce qu’en parallèle je terminais ma thèse en Phonétique (sur l’agressivité dans la parole politique pendant les débats du conseil municipal de Montreuil en 2013). Quand on a fini l’enregistrement en juillet 2015 je me suis dit : “ça y est, c’est bon, maintenant je termine ma thèse et hop on sort Saint-Guidon ! En fait, j’ai mis quatre ans, mais on en a profité pour faire quasiment autant d’années de post-prod à deux avec Mim. Cette chanson me renvoie toujours à cette période d’ascèse interminable et pourtant pleine d’émotions, où je me sentais, sortant de la bibliothèque de l’école de Médecine pour discrètement partir en Flixbus pour aller réenregistrer des voix à Bruxelles.

02. Harry Nilsson & Shelley Duvall, He Needs Me (Rehearsal takes)

En voilà une autre qui me rappelle les nuits éternelles du studio en tête-à-tête avec Mim. On a passé des années comme ça, à refaire, à affiner. Alors voilà, spéciale dédicace à toi Mimou, avec ce document sonore incroyable. Pour une fan obsessionnelle de Harry Nilsson comme moi, c’est l’équivalent d’une des plus grandes merveilles du monde. Ce sont les bandes d’enregistrement des premières prises : Shelley boit une gorgée d’eau, Harry donne le top, elle s’emmêle dans le décompte des chiffres et puis elle chante divinement, comme personne. Lui la guide, prenant des grosses inspirations bien audibles pour l’inciter à faire de même parce que sur certains passages de chants il faut tenir jusqu’à épuisement de tout air dans les poumons. J’ai toujours adoré ce morceau, dans Popeye comme dans Punch-Drunk Love (Paul Thomas Anderson a l’air pas mal obsédé par lui aussi), mais cette version pleine de pauses et de reprises faisant claquer la bande d’enregistrement me tue. Et puis, qui n’a pas envie d’entendre une version de neuf minutes d’une telle chanson d’amour ?

03. Harry Nilsson, Good Old Desk

Bon promis, après j’arrête la Trivia et j’arrête Nilsson pour un temps. Sur la fin de mon périple de rédaction de thèse, j’ai fini par pouvoir m’installer un bureau chez des amis proches à Montreuil (gros bisous Hélène et Nicolas !). C’était la première fois que j’avais une pièce et une table juste pour écrire et travailler. Pendant des mois, je ne suis presque plus sortie, et j’ai accroché à mon mur des photos de mes idoles pour qu’elles veillent sur moi. Il y avait tout le monde que j’aime, surtout celles et ceux qui ont traversé des périodes bien longues avant de s’épanouir dans leur travail. Il y avait bien sûr Kate Bush et Bashung et ce cher Harry, qui a passé des années à être employé de banque avant de ne pouvoir faire que de la musique. La légende raconte qu’il utilisait son bureau de travail hors horaires pour écrire des chansons sans qu’il n’y ait personne autour de lui. J’adore cette chanson qui fait de son bureau son super pote, son pilier, son ami, jusqu’à cacher dans son tiroir, en mode Inception, une photo de lui à son bureau.

04. Helen Brown, I Walked All Night

Celle-là, c’est Thomas (Schlaefflin), guitariste principal sur Saint-Guidon (et guitariste suprême du Villejuif Undeground donc) qui me l’a fait découvrir un soir. Ce truc m’a complètement obsédée, cette chaleur dans la prod alors qu’on sent bien que ça date de maintenant, l’histoire de cette fille qui se perd dans la nuit, à la recherche de l’amour, alors qu’un martien trop sympa lui tient compagnie et lui avoue qu’il serait prêt à l’aimer mais pour elle ça ne compte pas parce qu’il a trop de mains et trop d’yeux… Il y a aussi un truc dans la mise en scène des voix qui me fascine encore aujourd’hui, ce truc cartoonesque, peu crédible, qui donne presque l’impression qu’en fait elle parle toute seule. ça me touche beaucoup et j’espère un jour réussir à faire des chansons parfaites comme ça.

05. Joanna Newsom, Soft As Chalk

Dans le genre chanson parfaite, bien épique et pleine de frissons, celle-là est pas mal non plus. Et c’est drôle parce qu’avant cet album-là, je n’accrochais jamais trop avec Joanna Newsom, quelque chose me laissait incrédule. Là, il y a un truc qui a pris. Au début j’ai un peu bitché en disant qu’elle faisait sa Kate Bush, et puis très vite je me suis fait prendre à mon propre piège. Bien joué Joanna ! Chanson épique d’amour hanté, qui s’ouvre et s’ouvre, ressasse inlassablement un moment à la fois inoubliable et invivable… sauf le temps d’une chanson.

Enfin bon, passons un peu au français :

06. Brigitte Fontaine et Areski, L’Amour Parfait

En fait, j’ai longtemps eu peur de chanter en français parce que j’idolatrais tellement Brigitte Fontaine que je savais que j’écrirai forcément de la merde par rapport à elle. Ici, j’aurais pu choisir un morceau plus récent d’elle, mais celui-ci est si beau, si doux, il m’a sérieusement hantée pendant les semaines qui ont précédé l’enregistrement de Saint-Guidon. Je le chantais dans la rue, et je l’écoutais dès que je pouvais. Cette lenteur caressante, qui rend tout mou, qui fait taire toutes les angoisses… Comme un dénouement ultra apaisant à une quête interminable.

07. Areski Belkacem, Un Beau Matin

Si l’écriture incomparable de Brigitte m’a toujours fort impressionnée ; mon rapport aux arrangements et percussions, lui, a été très marqué par Areski. Sa voix est très addictive aussi. Je l’aime tant, j’ai toujours eu envie d’entendre plus encore de chansons chantées par lui. J’ai eu la chance de pouvoir aller l’écouter au Café de la Danse il y a quelques années, c’était fou d’enfin pouvoir le découvrir au centre de ses compositions. Il a sorti deux albums je crois, cette chanson est issue du premier et c’est une de mes chansons préférées au monde. (Je précise pour les personnes curieuses qu’il y a cette très belle interview de lui par Aurélien Merle, du non moins charmant label Le Saule).

08. Bashung, Bombez !

“Vers quel crayon s’est-elle taillée désormais ?
Que vais-je faire de cet abandon ? À qui en faire don ?
Bombez le torse bombez ! Prenez des forces, bombez !
ça c’est my way !”

Avec Bashung, comme pour beaucoup, je crois que c’était Novice, l’album du déclic absolu, et en plus un sacré album de rupture/déconvenue amoureuse. Dans les archives d’interviews, on lit toujours que l’écriture de ce disque s’est faite entre Bashung et ses paroliers, tous venant de se faire larguer. Alors voilà, c’est tout ce que j’aime : le regret, la mauvaise foi, la sensation vibrante et inimitable de traverser une rupture, le mysticisme alcoolisé… Je crois vraiment que les meilleures chansons partent souvent des pires sentiments, les moins raisonnables, les moins avouables.

09. Angel Olsen, Heart Shaped Face

Bon, c’est bien beau, l’auto-apitoiement masculin post-rupture, mais il y a aussi un droit de réponse, ici à travers une des chansons les plus méchantes de ma chanteuse vivante préférée, une chanson comme une lettre d’adieu implacable :

“Je t’ai vu changer… Est-ce ce que c’était vraiment à moi que tu pensais tout ce temps où tu pensais à moi ? Ou était-ce à ta mère ? Était-ce à un refuge ? Était-ce à une autre que moi avec un visage en forme de cœur ? Était-ce un sentiment que tu croyais que j’allais déterrer ou effacer en toi ?

Je t’ai vu changer et je t’ai vu vieillir et j’ai appris à tourner la tête et j’ai appris à partir. Et la vérité n’est nulle part dans l’histoire qu’on se raconte.

Tu n’as jamais eu besoin de personne pour te confronter à toi-même, jamais besoin de personne d’autre que toi pour te faire sortir de tes gonds.
Je n’ai jamais voulu être quelqu’un qui laisserait tout derrière soi mais malgré tout il n’y a pas d’échappatoire, parce que ce que je vis là je l’ai déjà vu. Alors prends tout l’amour que tu veux, moi je peux juste plus être là. Il n’y rien de nouveau sous le soleil : la peine s’arrête, recommence, s’arrête, et commence à nouveau…”
Ciao Bye
Angel

10. Hotpants Romance, Relax

Allez, une autre chanson méchante ! Spéciale dédicace à toutes les personnes assez folles de l’amour pour s’enticher d’hypochondriaques sévères (“ton bras s’est engourdi sous mon dos, tu as réussi à te convaincre que tu faisais une crise cardiaque, avec une conscience comme la tienne c’est sûr que c’est difficile de se détendre.”). Celle-ci elle est écrite par ma consoeur de Manchester Kate Armitage, super batteuse-chanteuse qui est venue m’accompagner sur Every Night, seul morceau en anglais de Saint-Guidon… Enfin, le seul si on ne compte pas la piste secrète jusqu’ici audible seulement sur le vinyle ! On y entend aussi la géniale Rachel Barreda Horwood (Trash Kit, Bas Jan), j’espère que ça vous plaira.


La réédition de Saint-Guidon par Charlène Darling est disponible chez a1000p.

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