Une semaine s’est à peine écoulée depuis la publication de Hey Panda et dans le Landernau – petit, convenons-en – des passionnés d’indie-pop, le débat commence déjà à faire rage. Sacrilège ! On entend de l’auto-tune sur le nouvel album des High Llamas, ces gardiens consacrés d’un temple dont les piliers semblaient sculptés, depuis plus de trente ans et donc pour l’éternité, dans le marbre inaltérable de Pet Sounds (1966). A chaque époque ses dogmes et ses trahisons, ses Dylan électriques et ses « Judas ! ». Toujours est-il qu’on ne peut pas feindre de s’épancher sur la Rétromanie galopante, déplorer que tout est déjà joué, rejoué et archi-joué et ne pas, au moins, consentir à jeter une oreille intriguée et admirative sur cette tentative pour rebattre aussi vigoureusement les cartes alors même que – coïncidence sans doute – un revival Microdisney bât son plein au Royaume-Uni après la diffusion toute récente d’un documentaire dont Sean O’Hagan pourrait se contenter d’assurer le service après-vente. Pour peu que l’on considère que l’un des rôles majeurs de l’artiste consiste à opérer des choix radicaux, d’ouvrir à des propositions nouvelles et nettes, il est tout aussi peu pertinent de reprocher les siens à Sean O’Hagan que de déplorer que Nick Cave refuse, en plein XXI° siècle, de rejouer Tender Prey (1988) comme si de rien n’était ou de s’attrister que les derniers albums de PJ Harvey ne ressemblent plus depuis bien longtemps à Dry (1992). Et, en matière de choix et de décisions, force est de constater que ceux qu’assume sans la moindre trace de remords ce jeune homme narquois de soixante-quatre ans, assez fier de son contre-pied et des réactions – offusquées pour certaines – qu’il suscite, ne manquent ni d’audace, ni d’intérêt. Pleinement imprégnés des sons de son époque, Hey Panda laisse surtout transparaître les dons inaltérables de mélodiste et d’arrangeur de maître O’Hagan ainsi qu’une écriture plus intime, habilement dissimulée sous le verni technologique. Il a osé, il l’a fait, il en parle.
Comment est né cet album qui apparaît très marqué par une volonté d’adapter à ton univers les sons caractéristiques de la pop contemporaine et du R’n’B ?
Sean O’Hagan : C’est très exactement ce que j’avais envie de faire, en effet. Ça fait longtemps que je m’intéresse au R’n’B contemporain et à toutes les formes de fusions hautes en couleurs et en vibrations entre ces nouvelles formes musicales et l’indie-pop. C’est une passion qui a commencé au début du siècle, quand j’ai découvert J Dilla, Questlove, Tyler, The Creator ou Steve Lacy, tous ces artistes dont j’ai trouvé, dès le départ, la musique extrêmement riche et inspirante. Quand on enregistre des albums depuis très longtemps – c’est mon cas – cela devient peu à peu ennuyeux de n’entendre évoquer comme seules références valables que les chefs d’œuvre du passé, qu’il s’agisse de Pet Sounds ou de Revolver ou des premiers Joni Mitchell. Ce sont toutes des œuvres admirables, ce n’est pas la question mais il y a, à mes yeux, quelque chose de la déférence religieuse dans la façon dont ils sont désormais considérés. Comme si rien ne pouvait jamais plus être à la hauteur de ces fondations historiques monumentales. C’est complètement faux, je pense. Ce dont nous disposons aujourd’hui est tout aussi incroyable. Si on essaie un instant de ne plus admettre comme un dogme intangible que le punk rock représente l’an zéro de toute la musique contemporaine et que l’on prend comme point de départ tout aussi fondateur les premiers disques de Questlove ou de J Dilla, je crois que l’on parvient à changer de point de vue sur la musique et cela me paraît intéressant. Tous ces jeunes artistes ont une pratique musicale très émancipée de tout préjugé politique sur le ce que devrait être le contenu de leur art. Ils envisagent d’intégrer toute sorte d’éléments hétéroclites à leur musique, ils s’efforcent de suspendre leur jugement et cela conduit, selon moi, à une nouvelle forme d’ouverture et de générosité dans la musique qui m’attire énormément.
Et tu as donc décidé de collaborer avec certains d’entre eux ?
Sean O’Hagan : Oui, j’ai eu la chance de travailler avec Benjamin Garrett de frYars sur deux albums – Gold Melodies (2021) de frYars et Rachel@Fairyland (2022) de Rae Morris – et j’ai énormément appris au cours de ces ceux collaborations. Les outils que tous ces gens utilisent me sont devenus plus familiers. Il y a quinze ans, j’écoutais déjà ce genre de musique mais je ne pensais pas que je possédais les compétences ou l’inspiration nécessaires pour m’y risquer moi-même. J’avais aussi très peur d’être jugé ou d’être immédiatement étiqueté comme un vieux Blanc d’origine irlandaise s’efforçant désespérément de se raccrocher aux wagons du cool. Désormais, je n’ai plus peur d’affirmer publiquement que j’adore cette musique et que je souhaite enregistrer un album en guise de remerciement à tous ceux qui la créent. C’est pour cette raison que Hey Panda est si différent de mes disques précédents. Cela ne veut pas dire que je renie mes influences passées ; je modifie simplement certaines sonorités. C’est tout.
En ayant ces nouvelles sonorités en tête, est-ce que tu as également modifié tes méthodes habituelles de composition ou d’écriture ?
Sean O’Hagan : Non, pas du tout. J’ai composé ces chansons exactement comme d’habitude, sur un piano ou une guitare. Le processus d’écriture est demeuré identique : j’enregistre un petit peu tous les jours. Des brouillons, des idées, des fragments de mélodies. Je dispose ainsi constamment d’un stock de plus d’une centaine d’ébauches et, si jamais une chanson sur laquelle je décide de travailler ne se développe pas suffisamment rapidement à mon goût, je retourne puiser dans ce catalogue pour essayer d’avancer. Souvent, en juxtaposant une idée nouvelle avec une autre, parfois très ancienne, j’arrive à débloquer ce qui faisait obstacle à l’écriture. C’est comme cela que j’ai toujours fait. La grande différence avec Hey Panda, c’est que, d’habitude, j’avais tendance à raisonner comme une sorte de conservateur du musée de la musique. Cette fois-ci, j’ai essayé de me positionner en tant qu’acteur des évolutions contemporaines. Je me suis donc fixé quelques règles simples, dès le départ : pas de cuivres, très peu de cordes, le plus de collaborateurs possibles, des sons synthétiques très présents, des rythmes nouveaux pour moi – parfois programmés sur de vieilles machines, certes – et beaucoup de travail de traitement sur les voix.
En ce qui concerne ce dernier aspect, l’auto-tune qui est utilisé sur certains titres est souvent considéré comme le symbole même de l’inauthenticité. N’y a-t-il pas sur ce point une certaine continuité dans ton œuvre – le fait de célébrer ce que beaucoup considèrent comme l’antithèse du cool – sachant que le tout premier morceau de ton tout premier album solo s’intitulait déjà Perry Como, en hommage à un des chanteurs les plus détestés de la variété mainstream américaine ?
Sean O’Hagan : Dans les deux cas, c’est toujours de l’humour. Simplement une forme d’humour. Si je me souviens bien, la chanson que tu cites racontait comment Perry Como s’était perdu sur la route et finissait par conduire jusqu’à la frontière canadienne. Je trouvais ça amusant de raconter cette histoire parce que, aux yeux de ceux qui adhèrent aux stéréotypes de l’authenticité rock, les seuls thèmes légitimes qu’il est autorisé d’aborder dans une chanson sont toujours les mêmes. Un songwriter ne doit évoquer que des relations amoureuses destructrices ou ce genre de choses. J’ai toujours trouvé plus intéressant de parler de situations plus gênantes. C’est toujours une source de créativité intéressante que de chercher à embarrasser ses amis. C’est un bon test en tous cas : on attend d’être assis à table avec quelques amis très cool et on balance quelque chose qui les met très mal à l’aise. C’est comme cela qu’on arrive à reconnaître ses vrais amis. Pour ce qui concerne l’usage de l’auto-tune, je conçois donc que cela puisse choquer les tenants de l’authenticité rock la plus stricte. Mais il faut aussi se souvenir que des technologies de ce type et qui permettent d’altérer la voix supposément naturelle d’un artiste existent depuis de très nombreuses années. Le problème, c’est le jugement normatif : « Si tu sais jouer ou que tu sais chanter, il n’y a pas besoin de retoucher la voix ou le son de l’instrument artificiellement. » Je veux bien, mais rappelons-nous, dans ce cas, de ce que ces mêmes gens disaient quand la reverb ou le delay sont apparus pour la première fois. Ou même les micros au début du XX° siècle. Il y avait déjà des conservateurs pour affirmer que, si un chanteur était incapable de projeter sa voix sans recourir à un système d’amplification, ce n’était pas un véritable chanteur. Il y a de la beauté aussi dans le tuning. Quand j’écoute Tierra Whack, une de mes jeunes artistes préférées, elle modifie parfois sa voix et parfois non : j’adore le son de sa voix dans les deux cas. Je suis sûr que les mêmes personnes qui condamnent aujourd’hui l’auto-tune sans appel seraient prêtes à reconnaître qu’ils aiment Laurie Anderson – ou au moins que c’est une véritable artiste. Mais est-ce qu’elles imaginent O Superman sans le vocoder ? Est-ce qu’elles aimeraient autant Computer World de Kraftwerk sans le vocoder ? Ces gens me répondraient sans doute que ce n’est pas la même chose : c’est exactement le même problème ! Quand j’écoute Drake ou Tierra Whack, je suis convaincu qu’ils utilisent l’auto-tune avec la même pertinence : ils se sont appropriés ces sons tout comme les grands artistes du passé s’étaient appropriés les innovations technologiques de leur époque. Il ne faut pas en avoir peur : cela peut être magnifique.
Contrairement aux idées reçues selon lesquelles ces sons seraient nécessairement froids et lisses, j’ai l’impression qu’ils ont permis d’apporter une certaine forme de fraîcheur, de naïveté presque enfantine à certaines de ces chansons.
Sean O’Hagan : Je suis absolument d’accord. Fall Off The Mountain en est un très bon exemple, je trouve. C’est une chanson que j’ai conçue comme une satire de ces élites nouvelles qui, parce qu’elles ont les moyens de s’abstraire de leur environnement urbain pour aller respirer le bon air de la montagne pendant le temps de loisir, méprisent parfois tous ceux qui restent cantonnés dans les pubs, pour regarder le foot à la télévision en buvant une pinte. Encore une histoire de jugement moral, donc. Je me suis placé du point de vue des moutons qui les voient défiler sur les pentes de leurs montagnes et qui se moquent gentiment de ces gens qui ne font que passer dans un lieu où ils ne sont pas à leur vraie place. « Vous vous croyez supérieurs à tous les autres, mais, en réalité, la montagne est à nous. » : c’est ce que semblent dire les moutons. Le petit rap robotique à la fin du morceau m’a permis d’accentuer l’ironie ludique, je crois. Comme si un enfant s’amusait avec un nouveau jouet pour la première fois. Il y a toujours pas mal d’humour dans le hip-hop, y compris au début des années 1990. Je me souviens que j’ai beaucoup ri quand j’ai écouté le premier album de De La Soul.
Les animaux sont très souvent présents dans ces morceaux.
Sean O’Hagan : C’est un point très important. Nous vivons dans une époque très perturbée, c’est une évidence. L’Europe est peut-être au bord de la guerre pour la première fois depuis plusieurs générations. L’Amérique s’apprête possiblement à élire un psychopathe qui a déjà menacé très explicitement de réduire ou de supprimer la démocratie. Dans ce contexte très sombre, je trouve que les animaux apportent un peu d’équilibre et de réconfort. Pendant la pandémie, j’ai passé une partie de mon temps à regarder sur TikTok des vidéos d’un panda, en Chine, qui mangeait des carottes – c’est de là qu’est né le titre de l’album. C’est une des seules choses qui parvenaient encore à éveiller un peu de joie. Il y a une chèvre en Cornouailles qui fait du yoga tous les jours et j’aime bien la regarder de temps en temps. Ce genre de choses m’apaisent un peu. Ce n’est pas de la condescendance ou de l’anthropomorphisme : je ne me considère pas comme appartenant à une espèce supérieure. C’est vraiment un sentiment de communauté qui m’habite dans ces moments-là. Sincèrement, un de mes plus grands rêves seraient de pouvoir communiquer avec les animaux. On parle beaucoup de tout ce qui pourrait améliorer l’état du monde : la communication avec les animaux serait, à mes yeux, en tête de liste. C’est donc un sujet qui m’importe et sur lequel j’aime écrire.
Au-delà de l’usage de la technologie contemporaine, c’est aussi un album qui confirme ton intérêt pour les musiques noires-américaines, la soul classique, même le gospel. Ce sont, même s’ils n’étaient pas toujours aussi perceptibles, des influences qui ont traversé toute ton œuvre, depuis le début des années 1980.
Sean O’Hagan : Absolument. Cela fait partie de la musique qui m’a le plus marqué à l’adolescence. Je suis un immense fan de The Impressions ou The Valentinos. Le songwriting, les arrangements : tout est remarquable sur ces albums. Bobby Womack aussi. Au milieu des années 1980, à l’époque de Microdisney, notre rêve était d’enregistrer un album qui sonne aussi bien que The Poet (1981). La maison de disques n’était évidemment pas d’accord. Ils nous répétaient : « Vous êtes Dylan, vous êtes The Band. Vous n’êtes pas Bobby Womack. » Et nous avions beau leur répéter que c’est ce que nous voulions devenir, rien n’y a fait. Et Sly Stone aussi. C’était un véritable génie. Le songwriting, les enchaînements d’accord sont incroyables. J’ai passé des journées entières à essayer de comprendre comment une chanson comme Runnin’ Away était composée. Un de mes moments de cinéma préféré. Quand Nina Simone n’avait plus le droit de se produire dans les salles de concerts aux États-Unis, à cause de ses prises de position politique, elle était obligée de jouer en concert dans des centres sociaux ou des universités – à majorité noire, la plupart du temps. Il existe quelques images filmées de cette tournée, très minimaliste – juste un piano, une guitare et une batterie – que je regarde sans jamais m’en lasser. Les performances sont tellement intenses, tellement habitées. Il y a une version de To Be Young, Gifted And Black absolument fabuleuse. The Fifth Dimension est aussi un groupe capital, même s’il est à l’intersection de la pop et de la soul. J’adore ce moment, dans le documentaire que Questlove a consacré au festival de rue à Harlem en 1969 – Summer Of Soul (2021) où ils arrivent sur scène entre Aretha, Stevie et tous les autres et qu’ils surprennent tout le public avec leurs pattes d’éléphant et leurs chansons ultra-mélodiques et pop. Bref, la soul a toujours été très importante. Cela s’entendait déjà un peu sur Can Cladders (2007).
Il m’a semblé également que, dans cet environnement musical inédit, tu t’autorisais à exprimer des sentiments plus personnels qu’à l’accoutumée. Notamment sur une chanson comme Toriafan.
Sean O’Hagan : Je ne me suis jamais considéré comme un très bon parolier. C’est juste un état de fait, pas de la fausse modestie. Et c’est vrai que, d’habitude, j’ai souvent tendance à éviter les sujets trop explicitement personnels. Je parle souvent d’animaux, de bâtiments, d’objets : c’est une manière d’envoyer la balle de l’intimité le plus loin possible. J’écris là où elle atterrit. Mais, à présent, j’ai soixante-quatre ans. J’ai été malade du cancer pendant plusieurs longs mois et je m’en suis sorti. Le moment était venu d’aborder un peu plus frontalement certains thèmes plus intimes. Toriafan est une chanson qui parle de la dyslexie dont j’ai beaucoup souffert quand j’étais enfant et adolescent. J’avais beaucoup de mal à apprendre, j’étais un très mauvais élève. J’imagine que dans l’École brutale et ultra-élitiste que vous avez en France, ça aurait été un massacre ! Je n’ai jamais pu m’adapter au système des évaluations et des examens. J’arrive à apprendre et à retenir certaines choses mais plutôt par la pratique que par l’abstraction. C’est ce à quoi font référence les premiers vers de la chanson : « Show me again and again/Because to see is to do » The Water Moves parle aussi de ces instants terribles passés dans les salles d’examen et de la façon dont j’y ai échoué et dont je me suis senti rejeté. Stone Cold Slow évoque tous les jugements que les gens portent quand on n’est pas adapté au système.
Et, compte-tenu de ces difficultés, à quel moment dans ta vie es-tu parvenu à regagner confiance dans tes capacités de musicien ou d’arrangeur ensuite ?
Sean O’Hagan : J’ai été adolescent dans la deuxième moitié des années 1970. Le punk ne m’a pas vraiment passionné, je l’avoue. Je n’y ai rien entendu de très intéressant sur le plan musical. En revanche le post-punk a tout changé pour ce qui me concerne, à partir du moment où la musique est devenue plus expérimentale avec les premiers Scritti Politti, The Fall, The Pop Group et bien d’autres. C’est à ce moment-là que j’ai pris conscience de ce message essentiel : tout le monde peut faire de la musique. Il n’y a pas besoin d’être un génie ou d’épater ses copains. C’est une question d’expressivité et de sincérité : chacun est en mesure de faire du mieux qu’il peut. J’avais toujours eu de la musique qui me trottait dans un coin de la tête mais, jusque-là, j’avais beaucoup trop, peur de m’exprimer. Dès que j’ai acquis suffisamment de confiance pour m’y mettre sérieusement et que j’ai rencontré des gens avec lesquels j’ai commencé à jouer, j’ai réalisé que j’avais un certain talent et que j’étais capable d’endosser certaines responsabilités, de prendre des décisions en studio. Et je n’ai jamais plus arrêté depuis. J’ai appris, petit à petit, à lire la musique et je me suis consacré ensuite au travail d’arrangeur parce que c’est ce que j’entendais dans mon esprit.
Cet aspect collaboratif de la musique demeure toujours aussi centrale, visiblement. Quelques mots peut-être sur quelques-uns des invités qui ont apporté leur contribution à cet album, en commençant par ta fille ?
Sean O’Hagan : La présence de Livvy a été extrêmement importante. C’est tellement merveilleux de voir son enfant grandir et acquérir ses propres goûts, son propre amour de l’art. J’ai tellement appris de mes enfants ! Et puis, évidemment, Livvy me connaît si bien qu’elle comprend tout à mes chansons sans que j’ai besoin de lui expliquer quoi que ce soit. J’ai également eu la chance de pouvoir compter sur le soutien actif de Gilles Peterson : le fait qu’un DJ de son envergure croit véritablement en ma démarche est bien sûr très bienvenu. Will Oldham a également accepté de participer à un morceau, Hungriest Man. Nous nous connaissons depuis très longtemps, depuis que j’ai travaillé avec lui sur Hope (1994) de Palace Brothers. Nous n’avons jamais vraiment perdu le contact depuis. J’ai tourné avec lui au début du siècle. Plus récemment, nous avons enregistré avec Bill Callahan cette reprise de Wish You Were Gay de Billie Eilish, qui figure sur leur album Blind Date Party (2021) et qui a constitué un jalon marquant pour mon cheminement vers Hey Panda. Nous avions longuement discuté de gospel ensemble et il m’a proposé deux textes différents pour cette chanson que j’ai composée, au départ, dans le plus pur esprit du gospel, au piano solo. Et puis nous avons rajouté des rythmes et des effets sur les voix. A la fin, il m’a dit qu’il avait envie depuis très longtemps de travailler sur ce genre de morceau mais qu’il n’en avait jamais eu vraiment l’occasion. Tu imagines bien à quel point j’étais ravi.
Et quand il s’agit de collaborer avec d’autres artistes sur leurs propres albums, comme tu l’as fait récemment avec Cabane ou The Coral…
Sean O’Hagan : C’est une position totalement différente. Quand je suis dans ce rôle d’arrangeur ou que je suis sollicité pour intervenir sur les albums des autres, je n’éprouve aucun sentiment de peur. Je suis beaucoup plus confiant, même assez provoquant parfois : je n’hésite pas à les pousser dans leurs retranchements quand j’estime que c’est pour le bien d’un morceau. Je les incite à essayer des choses différentes, à tenter des expériences qu’ils n’oseraient peut-être pas réaliser sans moi. Mais je suis toujours très conscient du fait qu’il ne s’agit pas de mes œuvres et je m’efforce de ne pas dépasser certaines limites dans mes interventions. En général, j’essaie de définir mon rôle de la façon la plus claire possible dès le départ et je leur dit : « Je vais vous demander d’essayer des choses difficiles. Quand vous n’êtes plus du tout d’accord ou que vous pensez que j’ai vraiment tort, vous me dites d’arrêter et j’arrêterai. Mais je ne m’arrêterai pas de moi-même.» Je pense que c’est ce à quoi je vais me consacrer le plus pour le reste de ma vie musicale. Je ne suis pas sûr que publierai encore beaucoup d’albums à mon propre compte. Mais j’ai bien l’intention de continuer à enregistrer le plus de musique possible en collaborant avec d’autres.
Est-ce que tu as eu l’occasion de voir le documentaire sur Microdisney que la BBC4 a diffusé à la fin du mois de mars ?
Sean O’Hagan : Oui, les réalisateurs m’avaient invité à la première et j’ai donc pu voir le résultat de leur travail. Le documentaire a été diffusé à la télévision en Angleterre vendredi dernier et, depuis, j’ai l’impression d’observer de loin un tourbillon un peu bizarre. Je sais très bien que ça ne durera que quelques jours, comme tous les phénomènes qui passent par les réseaux sociaux ou les médias, mais il y a une espèce de folie nostalgique autour du groupe qui me surprend d’autant plus que j’aurais bien aimé que nous puissions bénéficier d’un dixième de cet engouement à l’époque ! Tout le monde s’est mis à écrire des articles pour regretter de n’avoir pas découvert Microdisney plus tôt. Ou bien, au contraire, pour s’auto-congratuler d’avoir toujours su à quel point c’était un groupe formidable. J’ai été interviewé plusieurs fois dans le cadre de ce travail, mais ce n’est pas mon œuvre ni mon histoire. Pour moi, c’est une partie de ma vie et ce n’est pas inintéressant, loin de là, de voir comment cela peut devenir un récit cohérent pour d’autres. J’ai de la chance que des gens considèrent que cela fait partie de l’histoire culturelle. Et puis c’est une belle manière d’honorer la mémoire de mon ami Cathal Coughlan. J’aurais juste aimé que l’humour que nous partagions déjà à cette époque soit un tout petit peu plus présent.