Depuis 2014, Ryley Walker construit une œuvre étonnamment clivée avec, d’un côté, des albums solos souvent très intéressants, façonnés par le désir de réinventer, ou de réactualiser un héritage musical parfois un brin envahissant (John Fahey, Van Morrison, John Martyn, Tim Buckley, etc), et de l’autre, des albums instrumentaux, enregistrés en collaboration (avec Bill McKay ou Charles Rumback, principalement) et ouvrant sur des terrains plus expérimentaux où se mêlent jazz, acid folk et rock progressif.
Après avoir fréquenté des labels comme Tompkins Square et Dead Oceans, le guitariste sort désormais ses disques chez Husky Pants, qui semble être son label. La démarche, qui s’étend de plus en plus chez les artistes indépendants américains (Damien Jurado est un autre exemple), en dit, accessoirement, long sur les mutations en cours dans un milieu où les ventes de disques ne concernent plus que de petites communautés de fans et où les tournées représentent l’essentiel des revenus des artistes. En tout cas, fidèle à cette double trajectoire qu’il s’applique à suivre depuis quelques années, Ryley Walker a récemment sorti deux nouveaux disques : Course in Fable, son cinquième album solo, et Deep Fried Grandeur, une collaboration avec le groupe psyché japonais Kikagaku Moyo.
Produit par John McEntire, le premier se situe dans un registre soft rock aux accents intellos, mêlant habilement les circonvolutions harmoniques des disques de Gastr Del Sol ou The Sea & Cake à la fluidité musicale de Steely Dan et d’un certain rock californien. Le résultat est épatant. Privilégiant les structures complexes et les brusques changements de ton, Walker et McEntire inventent ici une musique très sophistiquée, parfois un brin alambiquée, qui, tout en étant fluide et harmonieuse à l’oreille, s’avère passionnante à observer, notamment pour la richesse et la complexité de ses compositions harmoniques. Comme sur ses précédents disques, on a parfois l’impression d’entendre la discothèque de Walker passée au shaker, mais il faut reconnaître, aussi, que son œuvre et son écriture prennent, d’un album à l’autre, une tournure de plus en plus personnelle, réussissant l’improbable alchimie d’un folk-rock classique transformé par les lubies de l’avant-garde contemporaine. Ryley Walker aurait sans doute intérêt à prolonger un peu cette collaboration avec l’ancien boss de Tortoise, car Course in Fable est peut-être ce qu’il a fait de mieux, en solo, jusqu’à présent.
Encore plus aventureuse, donc, la collaboration entre le guitariste de Chicago et le groupe psychédélique japonais Kikagaku Moyo présente Poor Dampness Down in the Stream et Shrinks the Day, deux jams (plus de 18 minutes chacune) hallucinantes et souvent vertigineuses qui comptent parmi les plus grandes réussites du rock psychédélique récent. Ce qui est sûr, c’est que c’est vraiment sur cette voie instrumentale et expérimentale que Ryley Walker semble le plus s’épanouir en tant que musicien.
Avec ces deux disques, qu’il ne serait sans doute pas inutile de rééditer en vinyle (les premiers pressages étant partis très vite), Ryley Walker a déjà posé sa marque sur l’année 2021.