Il m’a dit, tu devrais écrire sur The Other Side et j’ai dit oui, sans vraiment hésiter, et puis j’ai écrit. J’ai commencé d’écrire sans même avoir écouté les chansons. Je les avais entendues, comme on le fait toutes et tous, mais je ne les avais pas écoutées. Ces quelques lignes que j’avais écrites, elles disaient que Chromatics, c’était une certaine idée des 80’s mais en mieux et puis qu’il y avait cette voix qui nous faisait penser que Ruth Radelet, la chanteuse, n’existait pas réellement, que c’était un ange tombé du ciel. Je trouvais que c’était cliché mais parfois il n’y a que les clichés qui peuvent décrire parfaitement ce que l’on ressent. J’avais écrit d’autres choses, une théorie fumeuse cette fois, que les disques de Chromatics s’étaient succédés et que cette voix avait pris de plus en plus de place – moins de plages instrumentales, moins de vocoder – ce qui a fait dire à certains que l’avant-dernier album de Chromatics, Closer To Grey, était en fait le premier album solo de Ruth Radelet. J’ai alors arrêté d’écrire sur Chromatics pour écrire sur l’après-Chromatics et du comment on vit après une rupture musicale. J’avais appelé cet instant le détachement. Je pensais à des feuilles qui se détacheraient des branches et qui s’envoleraient. J’avais écrit que l’on peut se détacher et se reconstruire, seul, en musique, comme l’a fait Adam Miller avec Gateway, ce disque qui est un magnifique monochrome sonore ainsi qu’un bel hommage, ou une suite, à Felt et à Evergreen Dazed. J’avais alors décidé d’arrêter de tourner autour du pot et j’ai pris le temps cette fois, d’écouter The Other Side de Ruth Radelet et j’ai commencé par écrire que The Other Side et ses cinq chansons, ça pourrait être cinq chansons comme les cinq doigts de la main. Mais ces chansons, on ne peut pas les toucher car elles n’existent pas physiquement et je me suis dit que ça serait bien qu’elles soient gravées un jour, sur un disque, quelque chose que l’on puisse toucher, regarder, écouter, ranger, oublier, retrouver et aimer. Je me suis souvenu soudain de cette phrase qui disait que tout bonheur que la main n’atteint pas est un leurre. J’ai trouvé que la mélancolie de cette phrase collait bien à la musique que j’étais en train d’écouter et que cette phrase irait bien sur l’étiquette du vinyle de The Other Side. Qui sait, peut-être un jour. Se reconstruire, seule, en musique pour être enfin soi et non plus l’autre, la chanteuse de. Ça prend du temps tout ça, d’être enfin soi, de se détacher de son passé. Quant à y arriver… Le disque, on va l’appeler comme ça, porte, dès les premières phrases, les marques du temps d’avant, quand Ruth Radelet était la voix de Chromatics – « Velvet night, it’s dark and lonely / City lights are the only thing inside ». Ruth Radelet peut bien commencer par ces mots, The Other Side est dès les premières notes, un disque de jour – et son disque à elle – quand ceux des Chromatics étaient eux, des disques de nuit. Quand je dis un disque de jour, je parle de ce moment très court où le jour se lève et où l’on est seul, face à soi-même, face au monde. Le son de The Other Side est comme le soleil, aveuglant de douceur. Il imprègne la voix qui est ici, plus apaisée et la mélancolie y est plus douce que sur les disques de Chromatics. Peut-être parce que chez Chromatics, Ruth Radelet jouait la chanteuse de – les disques étaient d’ailleurs des bandes originales de films qui n’existaient pas – alors qu’ici, elle est elle, Ruth Radelet et pas la chanteuse de. * Youth arrive, c’est la cinquième chanson et c’est la dernière. Elles sont très belles les quatre autres mais là je me sens obligé de poser mon crayon et de me laisser emporter. Youth et son piano et son violon et la douceur des mots et la douceur de la voix et puis quelque chose se brise au moment du refrain. La tristesse s’invite alors dans la voix, dans les notes, dans les mots, ces mots qui disent « Dans cette pièce, il n’y a pas de temps, seulement des mots entre les mensonges ». J’ai l’impression d’être seul et de regarder par la fenêtre l’obscénité du monde. Youth se termine, je suis sonné. Beauté, tristesse, je suis perdu. Je décide alors de rejouer ces cinq chansons, ces cinq chansons qui sont comme les cinq doigts d’une main. Croyez-moi si vous voulez mais cette main je peux la sentir quand je ferme les yeux et que j’écoute The Other Side.
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Merci pour ce très bel article qui arrive à poser des mots sur des émotions. Tombé par hasard dessus, en faisant une recherche sur Ruth Radelet dont le nom apparait en featuring sur le dernier « Softkill », » The line », parfaite réussite bien que très inspiré de « Lullaby » de Robert Smith, cela m’a donné envie d’aller découvrir au plus vite « The other side ». Chanteuse de Chromatics, donc… une nouvelle découverte de ce groupe va donc s’imposer car dans ma mémoire, je ne le rattache qu’à la mémoire du film « Drive », un joli souvenir cinématographique et musical…