Richard Thompson : « J’ai composé environ 450 chansons dans ma vie »

Richard Thompson / Photo : David Kaptein
Richard Thompson / Photo : David Kaptein

Je n’ai pas osé tout lui dire. Ce n’est, de toute façon, pas possible. Comment lui avouer, en effet, ce qui relève indéniablement des travers un peu ridicules qu’engendre la passion musicale. Ce disque dur, que je conserve encore dans un état de marche pour le moins incertain et qui contient une soixantaine de bootlegs non officiels que je n’ai jamais écoutés, pour la plupart, mais dont la seule présence demeure curieusement réconfortante. La conviction totalement infondée que, sur l’enregistrement pirate de son concert au Café de la Danse du 6 février 2011, c’est moi que l’on entend crier un peu plus fort que les autres sur le refrain de Tear Stained Letter. Le fait que, quelques heures avant ce concert, nous nous étions déjà croisés pour la seule fausse interview réalisée au cours de mes vingt-cinq années de non-carrière journalistique – quelques minutes de conversation dans le hall de son hôtel, et dont je savais qu’elles ne seraient jamais publiées, uniquement pour le plaisir ineffable de la coprésence. La demi-finale de la coupe du monde de Rugby perdue à domicile contre l’Angleterre le 13 octobre 2007 et dont la douleur cuisante s’est miraculeusement estompée parce qu’il jouait en concert au Trabendo le soir-même – Danny Thompson affichait, narquois, l’évolution du score sur des panneaux en carton derrière sa contrebasse – et que ma femme lui avait, plus courageusement que moi, extorqué un autographe. Richard Thompson est donc le seul artiste dont je demeure indécrottablement et pathétiquement fan, depuis la découverte de la triple compilation Watching The Dark (1993) et ces chansons d’une tristesse infinie traversées de solos à la fois sobres, intenses et virtuoses. C’est encore ce même désespoir adulte et pudique, teinté d’un humour radieux, qui semble imprégner Ship To Shore, ce nouvel album attendu depuis six ans. La silhouette est un peu plus voûtée – soixante-quinze ans, tout de même – mais, cette fois-ci la rencontre est vraie. Et les propos dûment retranscrits.

Ship To Shore, ton premier album depuis six ans, a été composé pendant la période de confinement. Comment t’es-tu adapté à ce contexte très particulier ?

Richard Thompson : J’ai toujours eu l’habitude de consacrer une partie importante de ma vie de musicien aux tournées. Et, tout à coup, j’ai été privé de concerts pendant presque deux ans et demie. Je me suis demandé comment j’allais pouvoir occuper tout ce temps libre et je me suis dit que la moins mauvaise manière de faire face à la situation, c’était d’essayer d’écrire davantage que d’habitude. J’ai donc composé cet album et le suivant également, qui est presque terminé. J’ai également finalisé une partition pour le théâtre ainsi que deux Ep’s supplémentaires. J’ai tellement d’avance sur mon planning de sorties que je ne sais plus très bien quoi faire de toutes ces chansons. Mais, au moins, j’ai trouvé de bons côtés dans cette période très curieuse. C’était très déconcertant : j’avais toujours passé plus de la moitié de mon temps sur les routes depuis que j’étais un gamin. Je sais que beaucoup de musiciens ont éprouvé le même sentiment d’étrangeté. Certains, d’ailleurs, n’ont plus du tout envie de repartir en tournée : ils ont découvert qu’ils pouvaient être plus heureux en restant à la maison avec leur femme et leurs enfants. Moi, j’ai envie de repartir. Les concerts m’ont tellement manqué.

C’est ce dont parle We Roll, la dernière chanson de l’album, qui évoque cette vie en tournée ?

Richard Thompson : Oui, exactement. C’est une chanson sur ce cycle bizarre : on passe d’un endroit à un autre, sans s’arrêter, pendant des mois et puis, ensuite, vient le temps de la respiration. Et puis la frénésie reprend. C’est ce rythme qui a ponctué ma vie depuis toujours, ou presque. Il y a des villes dans lesquelles j’ai dû jouer vingt fois, peut-être trente et que je connais toujours aussi mal. Mais j’adore ça. Les bons côtés – le public, les amis que l’on se fait parfois – tout autant que les mauvais – les incidents de voyage, les heures perdues dans les aéroports. J’ai une quantité considérable d’anecdotes sur les aéroports que je pourrais publier un jour.

Est-ce que, dans ce contexte particulier, c’est uniquement la quantité de chansons qui a changé ou est-ce que ta façon de les composer a également été modifiée ? Et leur contenu peut-être ?

Richard Thompson : Je n’y réfléchis pas tellement mais, puisque tu me poses la question, je vais essayer quand-même. Disons que mon dernier album en date, 13 Rivers (2018) était très directement lié à une période de séparation. C’était mon second album de divorce – après Shoot Out The Lights (1982). Mon nouvel album est, à la fois, un produit du confinement et une célébration des débuts d’une nouvelle relation amoureuse. Je suis encore en train d’apprendre à connaître et à découvrir ma nouvelle femme et je crois que j’ai essayé d’écrire des chansons en me plaçant de son point de vue. C’est intéressant, je trouve. D’autant plus que ce n’est pas intentionnel ou conscient. Mais je m’en rends compte de temps en temps. Il m’est aussi arrivé récemment d’écrire du point de vue de mon ex-femme. C’est une impression assez bizarre.

Dans les chansons, il t’arrive souvent d’alterner entre des rôles et des points de vue différents ou d’incarner des personnages.

Richard Thompson : Oui, cette question du point de vue est très importante dans l’écriture. Les gens ont tendance à croire que, parce que je suis à la fois l’auteur des textes et l’interprète, la perspective est toujours la même et que c’est forcément la mienne. « Oh, il parle de quelqu’un dont l’existence est pitoyable : sa vie doit vraiment être pathétique. » La plupart du temps, ce n’est pas le cas. Heureusement. The Fear Never Leaves You, par exemple, est une chanson que j’ai composée après avoir vu un documentaire sur les vétérans de la guerre des Malouines en m’efforçant d’adopter le point de vue d’un ancien soldat traumatisé par son expérience. On a souvent tendance à minimiser la violence de ce conflit parce que c’était une guerre assez brève, très loin, sur un tout petit territoire. Mais bon nombre de ceux qui y ont combattu sont rentrés en souffrant de stress post-traumatique. Ils ne peuvent pas dormir, ils sont rongés par les regrets, la culpabilité. Cela renvoie à toutes ces questions qui me travaillent depuis longtemps : qu’est-ce qu’ont vécu nos parents pendant la Deuxième Guerre mondiale ou nos grands-parents, dans les tranchées, pendant la Première ?

Ce n’est pas la première fois que ces interrogations apparaissent dans tes chansons. Je pense à Shoot Out The Lights (1982), inspirée par le conflit en Afghanistan ou à Dad’s Gonna Kill Me (2007) sur l’Irak. J’ai aussi été frappé, en lisant ton autobiographie, Beeswing (2021) par le chapitre consacré à tes souvenirs d’enfance et où tu décris les cicatrices omniprésentes de la guerre dans le Londres du début des années 1950. Est-ce qu’il y a un lien ?

Richard Thompson : Peut-être. Sans doute. J’ai aussi écrit cette chanson qui s’intitule Al Bowlly’s In Heaven (1986) et qui évoque très directement ce qu’a pu vivre la génération de mon père entre 1939 et 1945. J’ai essayé de me placer du point de vue d’un ancien soldat démobilisé pour comprendre un peu mieux ce que mes parents avaient surmonté. Les expériences fondatrices et traumatisantes qui les avaient façonnés. C’est une manière de mieux me comprendre moi-même. J’ai grandi dans les années 1950 et, assez tôt, j’ai eu conscience d’appartenir à cette famille et, tout de suite, j’ai éprouvé l’envie ou le besoin de comprendre comment ses membres étaient devenus ce qu’ils étaient. Pourquoi ils avaient envie de vivre une vie si tranquille, une existence dont toute trace de drame ou de conflit devait être refoulée. Par contraste, c’est ce qui a fait de nous, à la génération suivante, des rebelles fascinés par le rock’n’roll. J’ai même consacré une chanson à la Première Guerre mondiale – Woods Of Darney (1996) – pour essayer de remonter jusqu’à la génération du dessus, celle de mon grand-père maternel. Il a été blessé en 1917 et il est revenu de la guerre avec des séquelles très invalidantes aux poumons – il avait été gazé dans les tranchées. Il n’a jamais pu retrouver de travail mais c’était un vieil homme adorable quand je l’ai connu. J’ai voulu comprendre un peu mieux ce qui avait fait de lui ce qu’il était et, indirectement, ce qui avait façonné l’existence de ma mère. C’est une forme d’archéologie intime qui mène à une meilleure compréhension de ma propre place. Ce sont des chansons qui m’ont aidé.

Richard Thompson / Photo : David Kaptein
Richard Thompson / Photo : David Kaptein

J’aimerais en revenir à cette alternance, dans ton œuvre, entre des chansons où tu adoptes le point de vue d’un narrateur extérieur, qui observe et décrit les mouvements des personnages et celles où tu décides d’adopter le point de vue subjectif d’un personnage. A quel moment décides-tu de ce placement ? Est-ce que c’est un choix qui pourrait être comparé à celui du placement de la caméra pour un réalisateur ?

Richard Thompson : C’est exactement identique au choix de l’angle de vue pour un réalisateur. Il y a plein de choses qui se passent au même moment dans la même pièce : un couple qui discute dans un bar, un ivrogne qui titube un peu plus loin, des clients qui rentrent en hurlant mais tu choisis de t’intéresser à un autre personnage et tu ne le lâches plus. A partir du moment où la décision est prise, il faut accepter de faire abstraction de tout le reste, ou bien de suggérer de manière très allusive ce qui continue de se passer tout autour. Les contraintes de temps sont importantes dans une chanson : il faut raconter quelque chose d’intéressant et de cohérent en trois minutes et trois couplets. Cela impose des choix assez drastiques, des coupes franches dans la réalité. La meilleure manière de procéder, c’est de choisir un point de vue et de s’y tenir. Tout ce qui est hors-champ, tout ce qui échappe à ce point de vue – ce qui s’est passé avant, ce qui se passera après, le contexte de l’histoire, le décor – doit être imaginé de façon indirecte et subtile. C’est ce qui est le plus difficile. Mais c’est presque une exigence incontournable du songwriting moderne. Avant l’apparition des techniques d’enregistrement au XX° siècle, dans un cadre traditionnel ou folklorique, c’était différent : les chansons étaient l’une des seules formes de divertissement accessible – pas de télévision, pas de cinéma, pas de téléphones – et on pouvait raconter une histoire – celle de Robin des Bois ou celle d’un criminel du coin – en la développant dans ses moindres détails sur une vingtaine de couplets. On pouvait se permettre d’en consacrer deux ou trois à planter le décor avant même d’entamer le récit. C’est devenu beaucoup plus compliqué à partir du moment où les supports physiques sont devenus le médium principal d’accès à la chanson.

Et, comme dans toute forme d’art, j’imagine qu’il y a une certaine liberté créative à trouver dans ces contraintes.

Richard Thompson : Bien sûr. Il faut renoncer à tout dire, à tout expliquer. Si tu prends 1952 Vincent Black Lightning (1991) par exemple, tu remarqueras qu’il y a très peu de dialogues entre les personnages. Et pourtant, on arrive à se faire une idée assez précise de leur personnalité et de ce qu’ils sont.

Depuis une quinzaine d’années, tu animes également des ateliers d’écriture destinés à des songwriters amateurs ou débutants. Quel intérêt y trouves-tu ?

Richard Thompson : Disons que ça m’a permis de consacrer du temps à des formes très diverses d’écriture. J’ai toujours été très intéressé par la manière dont les gens organisent leur travail. Les artistes en particulier, bien sûr. J’apprécie particulièrement les interviews ou les articles de fond consacrés au travail des écrivains que publie The Paris Review, notamment ce qui concerne les aspects matériels du processus d’écriture, les routines, les habitudes. Hemingway, par exemple, écrivait toujours debout, en posant sa machine à écrire sur une table haute. Il se levait systématiquement à six heures du matin, même s’il était encore complètement soûl, pour écrire quelques lignes. Pas beaucoup : environ quatre-cents mots chaque jour. Et il se recouchait ensuite. Frederick Forsyth écrivait tous les jours de sept heures à midi avant de se défouler en jouant au tennis. Une autre autrice anglaise, dont le nom m’échappe, avait éprouvé la nécessité d’aménager un espace de travail entièrement dédié à l’écriture. Elle avait placé son bureau et sa machine à écrire dans un placard, sous l’escalier. Et elle n’y mettait jamais les pieds ! Elle n’écrivait que sur la table de sa cuisine. Toutes ces méthodes de travail me fascinent. Après, est-ce qu’on peut apprendre aux gens à écrire des chansons ? On peut leur transmettre quelques indications périphériques. J’essaie surtout d’apporter des critiques constructives, quelles que soient les propositions. Je ne leur dis jamais que ce qu’ils font est nul. Je leur suggère d’essayer une autre clef, ou d’ajouter un pont, ou de voir ce que ça donnerait en écrivant à la première personne plutôt qu’à la troisième.

Ship To Shore, Singapore Sadie : on retrouve, comme souvent, ces allitérations dans tes chansons. En dehors de l’aspect narratif et du fond, est-ce que le jeu sur les sons et les mots est important dans l’écriture ?

Richard Thompson : C’est amusant de jouer avec les mots et les sons. C’est très important de s’amuser en écrivant. Il faut éprouver du plaisir quand on compose une chanson, surtout si c’est une chanson triste. Pour ce qui concerne la langue et la musique anglaises, ce jeu avec les mots et leurs sonorités remonte probablement à The Beggar’s Opera (1728) de John Gay. Il avait repris des airs populaires de l’époque – pas mal de chansons écossaises qui étaient à la mode au début du XVIII° siècle – que tout le monde pouvait connaître et fredonner. Et il avait réécrit des paroles très malignes, avec beaucoup de jeux de mots, souvent pour se moquer des principaux personnages politiques de l’époque. Et puis, bien plus tard, à la fin de l’ère victorienne, on trouve Gilbert et Sullivan et les opéras comiques de la fin du XIX° siècle. William Gilbert écrivait des textes très drôles et très fins. Et puis, encore plus tard, il y a Cole Porter et Noel Coward. Encore des auteurs très malins. J’adore ces gens. Je suis le disciple de tous ces gens. Je suis sûr qu’on pourrait trouver l’équivalent dans l’histoire de la musique en France.

Trénet peut-être, pour ce qui est du XX° siècle ?

Richard Thompson : Oui, c’est amusant : quand mon père est revenu de son service, après la Seconde Guerre mondiale, il est rentré à la maison avec une grosse pile de disques français. J’ai donc entendu des chansons de Charles Trénet quand j’avais deux ou trois ans et pendant toute mon enfance. Jean Sablon et Piaf aussi. Ce sont donc des artistes qui on fait partie de ma toute première éducation musicale.

Au cours des années 2010, tu as également publié plusieurs volumes de réinterprétations acoustiques de chansons plus anciennes. Est-ce que, à cette occasion, tu as été amené à réévaluer ou à jeter un autre regard sur certaines parties de ton œuvre ?

Richard Thompson : J’ai composé environ 450 chansons dans ma vie. Il y en a dont je ne me souviens plus. Il y en a d’autres que je réintègre de temps en temps, de façon cyclique, dans mon répertoire pour les concerts. Je redécouvre ainsi des chansons que je n’ai plus jouées depuis vingt ans et que j’avais complètement oubliées. C’est ce qui demeure excitant : le nombre de morceaux que j’ai envie de revisiter est toujours très supérieur au nombre de ceux que j’ai le temps d’interpréter pendant un concert. Dans ces choix, je me dois de prendre en compte le point de vue du public et ses attentes. Je ne peux pas uniquement faire ce dont j’ai envie. Certains me suivent depuis cinquante ans : ils méritent bien que je leur donne des vieilleries !

Je me demandais si tu avais lu Utopia Avenue (2020) de David Mitchell ?

Richard Thompson : Non, pas encore.

Certains ont affirmé que Fairport Convention avait servi de modèle pour le récit. Il dépeint, en tous cas, la scène musicale londonienne des années 1967-1968 en soulignant à la fois la jeunesse, la naïveté, l’enthousiasme des personnages mais aussi ses aspects très chaotiques et très concurrentiels. Est-ce que cette description correspond de près ou de loin à tes propres souvenirs ?

Richard Thompson : Chaotique ? On picolait pas mal, oui, ça c’est certain. C’est ce qui confère un côté presque onirique à ces souvenirs : je ne suis jamais très sûr de distinguer clairement ce qui relève de la mémoire réelle ou des fantasmes des gueules de bois prolongées. C’est pour cette raison que j’ai intégré les deux – les rêves et les souvenirs – dans ce livre autobiographique, Beeswing. Sinon Fairport n’a jamais été un groupe dans lequel les drogues étaient très présentes, même s’il était impossible de ne pas y être exposé à l’époque. Sandy fumait souvent. Et son mari, Trevor Lucas, aussi. Simon, Ashley et moi, pas tellement. Je n’ai jamais voulu prendre de LSD mais on m’en a refilé deux ou trois fois, dans un verre au contenu indéterminé : ce ne sont pas les meilleurs souvenirs de ma vie. Je n’ai jamais eu vraiment envie de faire partie de ce monde. Peace And Love ? Je n’ai jamais adhéré à ça : j’ai toujours pensé que c’était des conneries. Concurrentiel ? Franchement, je n’ai jamais eu l’impression d’être en compétition avec qui que ce soit. J’ai ressenti de l’admiration pour quelques musiciens, notamment ceux avec lesquels je partageais le même producteur, Joe Boyd. J’ai admiré Nick Drake ou John Martyn mais je ne les ai jamais considérés comme des concurrents.

Richard Thompson / Photo : David Kaptein
Richard Thompson / Photo : David Kaptein

Qu’est-ce qui a conduit des jeunes fans de rock’n’roll à s’intéresser à l’univers du folk et à ces formes musicales très anciennes ?

Richard Thompson : Nous avions tous été exposés aux musiques traditionnelles pendant l’enfance. Ma grand-mère chantait très souvent des chansons en gaélique à la maison. Mon père passait tout le temps des disques de musique traditionnelle écossaise. Et puis, on a commencé à fréquenter les clubs de folk à Londres. Dans ce genre d’endroit, le plus souvent, on tombait sur des clones modérément doués de Joni Mitchell. Ou bien sur des musiciens compétents mais qui se contentaient de réinterprétations très scolaires de vieux airs qu’ils venaient de défricher dans des recueils poussiéreux. Mais, de temps en temps, on avait la chance d’entendre une belle interprétation, vraiment habitée et inspirée, d’une chanson traditionnelle et c’était extraordinairement émouvant. Avec Fairport, c’était Sandy qui interprétait la plupart de ces morceaux traditionnels et c’était déjà un grand bonheur que d’y participer. Mais, quand j’ai commencé à les chanter moi-même, je me suis senti transporté par une force dont je n’avais jamais éprouvé la présence : c’est comme si tous les interprètes qui avaient chanté ce morceau auparavant le reprenaient avec moi. C’est comme si leur présence résonnait sur cent ans, deux cents ans, quatre cents ans. C’est une sensation vraiment exaltante et, une fois que j’ai commencé à l’éprouver, je suis devenu accro. C’est là que réside l’attrait du folk. Et puis, comme je n’avais pas envie de ne chanter que des chansons traditionnelles, je me suis dit que j’allais essayer d’en écrire d’autres, qui reflèteraient la présence et la puissance de ces traditions.

Tu as consacré une chanson – Guitar Heroes (2015) – à tes modèles musicaux. Si tu devais en écrire une sur tes maîtres en écriture, qui citerais-tu ?

Richard Thompson : Songwriting Heroes ? Ce n’est pas une mauvaise idée ! Ewan McColl. Richard Fariña. Dylan, Cohen pour les plus évidents. Chris Difford et Glenn Tilbrook de Squeeze. Tim et Neil Finn de Crowded House. Ça ferait une longue chanson !

Peux-tu me confirmer que tu as bien été sollicité, au début des années 1970, pour intégrer The Band ?

Richard Thompson : Oui, ils m’ont demandé deux fois en réalité. Je crois que c’est un job que j’aurais été capable d’assumer. La première fois, je venais tout juste de quitter Fairport et je n’avais pas envie de réintégrer tout de suite un collectif avec toutes les contraintes que cela engendre. Je voulais développer un style différent, plus anglais, notamment pour ce qui est de l’écriture, et j’étais convaincu qu’il fallait que ce soit en solo. J’adore The Band mais je n’étais pas convaincu de la pertinence d’un mélange entre les traditions américaines qu’ils exploraient brillamment et celles, plus typiquement britanniques, qui m’intéressaient à l’époque. Jouer de la guitare sur scène – puisqu’ils me demandaient de remplacer Robbie Robertson, en gros – pourquoi pas. Mais caser mes compositions sur un album ? Je ne le sentais pas du tout. Et puis ils m’ont sollicité une seconde fois, dans les années 1980. J’ai nettement moins réfléchi : c’était déjà à un moment où, pour la plupart d’entre eux, ils s’étaient malheureusement détruit le cerveau dans des proportions irréversibles. Le déclin était largement amorcé. C’était moins tentant.

J’ai récemment lu que tu conversais intérieurement avec Sandy Denny en te promenant dans la rue.

Richard Thompson : Oui, c’est vrai. Ce n’est pas un signe de folie, je te rassure. Simplement une forme de nostalgie qui s’est développée avec l’âge. Elle fait partie des quelques personnes qui me manquent, à la fois sur le plan personnel et sur le plan artistique. J’imagine ce que nous aurions pu faire ensemble. Je lui dis que je regrette certains de choix que nous avons faits quand elle m’a demandé de produire son premier album pour Island, The North Star Grassman And The Ravens (1971). Que nous aurions pu faire un peu mieux, que j’aurais dû l’encourager à être un peu plus exigeante sur le choix de certaines chansons. C’est la vie !


Ship To Shore par Richard Thompson sort le 31 Mai sur New West Records

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