“L’ambiance? Quelle ambiance? Y’avait plus d’ambiance au bout d’une heure… Le mystère? La magie? On s ‘engueule presqu’à chaque fois, et en général, il pleut. Pas toujours? Ah bon. C’était quand? J’ai aucun souvenir.”
Évidemment, nos routes ne cessent de se croiser depuis presque vingt ans maintenant à Strasbourg. On a travaillé pour le même label, joué dans des groupes ensemble et on exerce la même profession, à la même médiathèque, dans le même département, Musique & Cinéma. On se connaît pas mal, je crois. Comment en serait-il autrement ? Après ça, est-il possible d’avoir une distance nécessaire pour porter ne serait-ce qu’un avis éclairé sur ce qu’il enregistre ? Pas vraiment. Mais on s’en fiche. Pour replacer les choses dans un contexte un peu plus public : Renz est le chanteur guitariste du groupe Guisberg, qui a enregistré trois albums de ROCK ces dernières années, dont deux pour le label Herzfeld, dont il est le co-fondateur et qu’il préside d’une main de fer (dans un gant de velours). Strasbourgeois d’origine mosellane, il a une histoire déjà longue comme ses grands bras. Membre du collectif Vergo, une des plus belles et courtes aventures discographiques du coin, il a contribué à nous livrer trois beaux disques au début des années 2000 : le sien, celui de Spide et celui de T. Si ces derniers ont multiplié par la suite les identités et les projets sur divers labels (jusqu’à Thomas Joseph et Hicks & Figuri pour l’un et l’autre), Renz se produit essentiellement avec son power trio. Entre des concerts espacés mais réguliers, intenses ou bordéliques selon l’humeur, il enregistre régulièrement en solo, comme un artisanat, comme un entraînement, comme une nécessité, des petits projets (CDR, cassette, Super 8) qu’il élabore littéralement dans son garage. Il avait pris l’habitude de fêter Noël en distribuant des mini-albums voire en se produisant notamment en duo avec Thomas Joseph. Renz est de retour cette année sur le terrain des fêtes de fin d’année, on en a bien besoin, et avec une belle surprise en sus.
Derrière la façade anglophone en béton armé de Guisberg, pouvait se deviner l’âme d’un conteur, tant Renz mettait du cœur dans l’expression de ces tranches de vies forestières, ces feux au fond des bois, ces virées dans la vallée quand la route s’arrête et laisse place aux multiples chemins des mythologies contemporaines, des légendes campagnardes ou des contes d’aïeuls au coin de la cheminée. Les disques de Renz et de Guisberg en sont pleins, de ces histoires qu’il a vécues ou qu’on lui a racontées, de ces endroits qu’il n’oublie jamais d’aller visiter régulièrement, en réalité comme en rêve, on s’en doute. Cette sous-culture qu’il incarne avec son personnage scénique portant des cornes de chèvre, il la délivre cette fois et c’est une première, en français. Et c’est un ravissement : sa façon d’écrire, de poser ses mots, son accent, longtemps dissimulés, éclatent enfin au grand jour et révèlent enfin cet univers singulier, connu de ceux qui ont la chance de le connaître. Mais pas de littératures insensées, d’envolées lyriques ni de poses bravaches, Renz reste fidèle à son économie, au peu de mots qui contiennent tellement : de l’humour et de la dérision, du désarroi et du mystère, surtout. Arrête avec ça, Boris Ovidum ou Ils ont vu quelque chose sont les sommets des collines visitées (en vingt petites minutes chrono) et ouvrent, je l’espère de tout cœur, ce robinet à rock’n’roll de poche et blues primitif des Vosges du Nord, à la diction si particulière et aux instruments handicapés : une guitare de peu de cordes, parfois hurlante, quelques tambourins, une flûte possédée… Comme une boîte de Pandore à folklore véritablement incarné – et contemporain, éloigné du carnaval en stuc habituel dans nos contrées. Et même si Renz peut aimer les déguisements, sa tenue régulière – jeans, chemise à carreau, casquette, 4-pistes, langue natale et CDR – a une sacrée gueule. Un disque de Noël parfait, dont les modalités d’acquisition sont à demander (gentiment) au principal intéressé.
