Elle a ce teint fauve des blés poussant à l’abri de la lumière. Cette peau brune comme empêchée de soleil. Elle est radieuse mais porte un mascara lourd de désillusion. Elle joue la joie comme la tristesse. Sa voix enroule des lettres merveilleuses. On ne l’écoute pas – on brûle de l’entendre. J’ai voulu tout revoir, dernièrement, de Lea Massari. Cette splendeur, cette fleur poudrée de sel nocturne, cette actrice incroyable. Je citerai donc, à la va vite, quelques films…L’Avventura, Les Choses de la Vie, Les Rendez-vous d’Anna. Mais un seul, m’a perturbé, en le revoyant. C’est Le Souffle au Cœur de Louis Malle. J’ai longtemps adoré ce film de passions. Passion musicale – le Jazz et le vol de disques en boutique pour s’empresser d’aller les découvrir, en secret. Passion du charnel et les souvenirs des prémices de l’adolescence. Mais au centre de tout cela, la transgression. Je ne peux plus regarder cette relation dévorante entre un fils et sa mère, comme je pouvais le faire il y a encore quelques années. Louis Malle aborde le sujet de l’inceste, avec une provocation de circonstance. Ce film, c’est comme si Paul Morand écrivait un scénario tiré de l’œuvre de Marcel Proust. Problème de tempo. Pourtant l’interprétation de Lea Massari sauvera toujours le film. Elle donne dans chaque plan : le tragique, le sensuel et l’impardonnable franchissement.
Dans son œuvre graphique, Fabio Viscogliosi, a une drôle de palette. C’est que le monsieur est daltonien. La pochette de Camera en est un bel exemple. Ces couleurs, en décalé, on les retrouve dans les notes. En secret. La suite de Rococo est fragile, mélodies parfois couleur plomb et peuplées de pluie. Il y a aussi les souvenirs incertains de chaleur, de Méditerranée. Horizon frangé de calcaire et de bleu. C’est délicat et cela pousse au rêve, aux multiples paresses. Dolce vita. Le posthume, lui, n’offre parfois aucune douceur. Il y a quelques mois, j’ai été choqué que l’on exhume des lettres longtemps cachées entre Adorno et Kracauer, révélant leur passion jusque là, ignorée. Ce déterrement éclaire ou obscurcie certaine prise de position d’Adorno. Cela trouble, complique et perturbe à la fois. Une autre Correspondance évoque ce même trouble, c’est celle de Michel Leiris et Marcel Jouhandeau. Ce duo de voix dépèce le chant de l’homme, comme deux rapaces. C’est cru, c’est violent. Michel Leiris essaie d’aller au plus loin dans l’auto-analyse et n’épargne rien. Une phrase résume tout : « Pureté de la haine. Joie d’avoir un ennemi. » Les morts ont donc, encore, leur mot à dire.
Rendez-vous manqués – Lea Massari, Fabio Viscogliosi, Michel Leiris
Collage sauvage et de mauvaise foi de l’actualité culturelle de la semaine