En 2013, nous découvrions Skategang, un excellent trio parisien de punk auteur d’un disque méconnu aussi vif que court. Les carrières des trois intéressés ne cessent depuis de nous passionner. Paul, le batteur, a sorti un excellent album en 2019 de son projet Pleasure Principle. Maxime, le bassiste, enregistre un paquet de bons groupes français (Rendez-Vous, À Trois Sur La Plage, Alex & FabCouz, Pierre & Bastien), en plus d’avoir plusieurs formations de punk francophones paradoxalement plus reconnus à l’étranger qu’en France (Rixe, Condor). Reste le troisième larron de la bande, Mathis, le guitariste. Sa carrière, bien qu’un peu plus discrète que ses collègues n’en est pas moins passionnante. En plus de sa participation aux concerts de Music On Hold (groupe formé par Emile), chacun de ses projets personnels ou avec d’autres musiciens nous rappellent l’aisance mélodique de l’intéressé. Il y a en effet quelque chose de très instinctif et évident dans les chansons de Mathis. Son projet Téléphérique, par exemple, proposait une pop lo-fi (façon garage-band / DIY) minimaliste, mais sacrément accrocheuse. Police Control, en duo avec Dorothée à la batterie, est l’un des trésors cachés de la scène underground française actuelle. Le premier EP, paru chez les excellents Gone With The Weed (dont nous venons de citer nombre de groupes de leur super catalogue) en collab’ avec Juvenile Deliquent (excellent label nantais), sonne comme du Téléphone qui aurait écouté les Raspberries et Badfinger plutôt que les Stones. Pas d’inquiétude si vous trouvez Jean-Louis Aubert relou, la powerpop de Police Control parle d’elle même : Raté, Adrénaline ou Question de Survie sont des tubes qui donnent envie de sauter dans tous les sens. Ray Jane, nouveau projet du musicien français, opère cependant un virage assez drastique, du moins en apparence. La guitare est remisée au placard au profit de nappes synthétiques et boîtes à rythmes. La production live énergique des autres groupes de Mathis laisse place à des déclinaisons électroniques flirtant avec l’ambient ou la dance music hypnotique. L’introduction instrumentale (Les Mondes Perdus) convoque le spectre de Tangerine Dream ou d’Iceland et East/West de Richard Pinhas. Au premier abord, Les Mondes Perdus de Ray Jane déroutera ainsi les plus électriques d’entre nous, pourtant, à bien y regarder, la musique garde ce charme unique qui irrigue toutes les compositions du musicien francilien. Envoyée en éclaireur sur une compilation de Megattera, Wakayama est le Cheval de Troie de cet ambitieux EP. La chanson constitue une magnifique carte de visite ; elle a l’élégance d’un Laurent Voulzy qui aurait troqué la Rickenbacker pour un synthé Roland et ses vinyles des Beatles contre ceux de Kraftwerk. Les mélodies semblent faire des acrobaties et se projeter dans le vide créant un sentiment de mélancolie ouateuse. Discoria succède à Wakayama et constitue en quelque sorte l’autre pôle des Mondes Perdus. Il s’agit peut être de la composition la plus surprenante ici. Sur un kick insistant, Ray Jane développe une chanson obsédante dans un long crescendo. Les arrangements arrivent progressivement jusqu’au pont. La seconde partie de la chanson agit alors comme une libération. Unique et singulière, Discoria évoque Paradis ayant troqué le Sprite au profit de la lean. Ecstapolice suit également la trajectoire de cette dernière. Construit en deux séquences complémentaires, après un long démarrage, la chanson se métamorphose en une cavalcade électronique binaire soutenue par des motifs obsédants de synthétiseurs vous vrillant le cerveau. Elle monte dès lors au cerveau comme un rush de poppers dans les narines, provoquant une bouffée d’euphorie s’évaporant brusquement. L’usage de cloches apportent une étrange solennité à l’ensemble. Ces dernières semblent ainsi annoncer un événement funeste, couperet inéluctable découplé par les paroles (Les cités d’or jamais ne pardonnent). Enfin Eloise et Atlantis renouent avec des percussions échappées de temps immémoriaux. Accompagnées de nappes cotonneuses, elles s’échappent de nos songes les plus enfouis. Les Mondes Perdus de Ray Jane interpelle, interroge et nous retourne le cerveau. Espérons sincèrement que 2020 sera l’année de Mathis, avec un prochain épisode en mars au moment de la sortie du second EP de Police Control.
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