Jouer la musique de votre jeunesse, est-ce une option viable ? Tout dépend de la musique. Un peu plus de 30 ans après leurs premiers disques, les Anglais de Pram sont revenus jouer en France. Certains se souviennent de leur premier concert à Paris, dans l’arrière salle d’un restaurant : à l’époque, tout était de fortune, et la chanteuse avait posé son petit clavier sur une planche à repasser. D’autres ont gardé en mémoire leur passage au Batofar au début des années 2000. Tous ont en tête la beauté fragile du groupe, son sens de l’équilibre et son instinct pour les morceaux joués comme en fausses boucles humaines.
Hier soir, à Petit Bain, Pram joue comme si le temps s’était arrêté sur un fantasme : celui de leur utopie musicale, faite de petits riens, de compositions qui tournoient et s’arrêtent, forment des cycles et s’interrompent, avant de reprendre, dans une course au ralenti des sens. En fond, un écran diffuse des films 60´s pas vus, dans cette configuration, depuis les années 1980 ou 1990. Quand sommes-nous ?, semble invoquer l’atmosphère qui préside à tout cela. En quelque sorte, tout au long du concert, Pram déroule une musique de comptine et de songes, portée par des instruments évoquant l’électronique, le rock et le jazz – mais sans jamais sombrer dans le bavardage ou le trop-plein. Ici, tout reste mesuré : trombone et thérémine demeurent cadrés par la basse et la batterie, qui donnent une forme martiale, un liant de métronome évoquant un Can rêveur, plus léger qu’à l’accoutumée. Se dégage de tout cela une forme de psychédélisme teinté d’une étrange mollesse des sensations, comme si Pram, avec l’âge, devenait un sédatif parfait, à la fois machine temporelle et tranquillisant hypnotique pour les nerfs. Sur scène, ils ont quelque chose de beau, à la fois dans leur âge et indifférents au temps : leurs années semblent dire aux années qui ont passé qu’elles n’ont pas tant compté que cela. En les regardant là, ce sont les époques qui défilent, remontent en arrière, reviennent à un point de départ. Leur musique, qui a souvent été utilisée pour illustrer des films ou des publicités, devient la bande-son d’une vie qui depuis leur apparition au début des années 90 s’évertue à placer au centre du réel une large part de rêves, de moments rêveurs, dont la beauté réside dans le déplacement très doux des perceptions. Ce n’est pas tant de la nostalgie que de la mélancolie, teintée d’une joie tranquille. Pram tente d’inverser la proposition de Lacan qui dit que le réel c’est quand on se cogne. Eux tentent plutôt de prouver que le réel, c’est quand on s’adoucit, malgré tout.