Pour l’interdiction des reformations de groupes

Photo : instagram Oasis
Photo : instagram Oasis

« Oasis  : les frères Gallagher alimentent la  rumeur d’une reformation du groupe. » Même Le Monde s’est fendu d’un article en ligne. La presse anglaise, de son côté, en a fait ses gros titres. Le retour quasi-messianique du groupe de Manchester s’apparente déjà à une campagne de promo bien huilée. Les réseaux sociaux ont amplifié, y compris dans l’indignation, le tsunami provoqué par l’annonce d’une date énigmatique, pour l’instant apocryphe. Emmanuel Macron aurait du leur demander conseil pour l’annonce de son prochain ministre.

La réconciliation des deux frangins tiendra tant que le CBD fera effet ou les impératifs de pension alimentaire prendront le pas sur leur penchant naturel à la guerre fratricide («J’ai aimé ma mère jusqu’à ce qu’elle donne naissance à Liam» s’épanchait Noel en 2019), qui a largement par ailleurs contribué à rédiger leur épitaphe, sur ce point largement mérité. Au pire l’an prochain, leur passage à Paris se terminera de nouveau en baston dans les backstages et Madness jouera deux fois pour le plus grand bonheur des cinquantenaires en Harrington.

Il ne s’agit pas de discuter des mérites des fils naturels autoproclamés de Beatles et des Sex Pistols. Nous n’irons pas nous disputer avec les madferit ou même tenter de nous justifier d’une quelconque légitimité en la matière (un grand salut amical au camarade Nicolas Prat au passage). Nous avons toujours en mémoire le choc ressenti quand Supersonic est sorti en 1994 et on se rappelle encore avoir acheté leur 45 T à Rough Trade, tout en se foutant éperdument à l’époque de la rivalité avec Blur ou encore de savoir ce que pèserait devant l’histoire un concept aussi mal branlé que la Brit Pop.

Oasis, back in the days / Photo : DR
Oasis, back in the days / Photo : DR

Nous n’avons pas davantage l’envie ni le temps de nous pencher sur les raisons obscures qui peuvent conduire à se lancer dans le mélodrame de la reformation. Les motivations peuvent être nourries d’un légitime spleen ou d’un devoir de mémoire comme pour les Bérus, ou simplement l’impression comptable de répondre à la demande « du public ». Pas la peine davantage de s’amuser à juger de la validité de la démarche au regard du pourcentage de membres originaux. Mais qui n’a pas tremblé en écoutant invoquer un quasi décret de réquisition nationale signé par Jupiter pour enrôler les Daft Punk en maîtres de cérémonie d’ouverture des JO. Finalement, il fut tellement plus émouvant d’entendre un morceau de DJ Mehdi dans la playlist.

Noel et Liam Gallagher ne reviennent certainement pas par peur de disparaître. Ils occupent déjà largement l’espace de leur propre héritage, de concerts en albums solo. Ils ne reviennent pas davantage pour faire plaisir à leur maman (ce qui serait pour le coup presque défendable). Peut-être simplement comme pour toutes les reformations, afin de prélever leur écot sur l’insatisfaction de ceux et celles qui n’ont pu les admirer durant leur âge d’or. A l’heure des story insta de Massive Attack sur l’écran géant de Rock en Seine, le marché est grand et la frustration rapporte plus que la nostalgie.

Je le confesse, les convictions virent facilement au sectarisme avec de faux airs de dictature morale. Il faudrait pourtant interdire les reformations de groupe. Pour leur bien. Pour l’intérêt général ou la salubrité publique. Tant pis si nous n’en avons pas été. Si nous n’avons pas assisté à Knebworth (pas la version de Liam, s’entend). Parfois, c’est effectivement rageant, à un ou deux ans près. Le monde ne s’effondrera pas néanmoins. On ne peut pas avoir tout connu, tout vécu, et pour le reste à chacun sa petite part de mythomanie pour raconter à la première personne les événements du passé glanés auprès des anciens ou en googlisant.

Peu m’importe de ne pas avoir vu les Clash ou les The Jam parce que je suis né en 1971. Le vécu ne bénéficie pas de séance de rattrapage. Les souvenirs ne se rachètent pas comme on échange des NFT. La légende, à l’instar de l’amour, ne connaît pas de seconde chance, et heureusement pour la première qui y puise sa beauté et son importance. Madness n’a rien sorti de supportable depuis son retour et on se taira sur le cas NTM. Et quand bien même les concerts ne seraient pas déplaisants et les disques audibles, le front du refus devrait demeurer solide.

Ne peut-on laisser l’histoire s’écrire sans bégayer. Et la fin compte. Tellement. Elle donne sens à une œuvre, une aventure. Dans The Lion In Winter d’Anthony Harvey (1968), le futur roi Richard « Cœur de Lion » se fait interpeller : « You fool! As if it matters how a man falls » (« Idiot, comme si la manière dont un homme tombe importait »), et il répondait stoïquement : « When the fall is all there is, it matters. » (« Quand il ne subsiste que la chute, cela compte »). Dans Les derniers jours de Roger Federer (aux précieuses Editions du Sous-sol), l’écrivain anglais Geoff Dyer s’interroge également longuement en vastes digressions sur cette notion de fin, d’un artiste, d’une vie ou d’une carrière. The Smiths n’existeront plus, merci à Johnny Marr. XTC ne nous reviendra pas davantage. Une séparation valide le ticket pour l’éternité provisoire, la redite salit tout.

Cette reformation d’Oasis finalement en dit bien davantage sur nous ou les kids qui portent leur tee-shirt et continuent de leur vouer un culte de bob et de parka. Surtout sur l’appétit indécent de notre époque pour le produit de substitution. Il faut savoir respecter le passé qui nous échappera pour toujours, il est presque plus louable de le fantasmer ou de le mythifier. Les frères Gallagher ont certes bien le de droit d’en faire ce qu’il veulent, et ils s’en foutent de ce que j’en pense. J’en (ou je m’en) veux à tout ceux qui y attachent de l’importance…


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