Pernice Brothers, Overcome By Happiness (Sub Pop / New West Records, 1998)

Pernice Brothers, Overcome By HappinessC’est d’abord l’histoire de deux frères qui grandissent à Holbrook, dans le Massachusetts. Le plus grand, Bob et son cadet de six ans, Joe, qui tente d’abord de se glisser dans les traces de ses enthousiasmes musicaux partagés, puis, à l’adolescence, d’épater son aîné, celui qui a touché sa première guitare à l’âge de cinq ans et qui a déjà posé un pied dans le monde des adultes, en élaborant ses premières chansons – quelques pastiches d’abord, inspirés des tubes du moment entendus à la radio. D’autres suivent, au début des années 1990. Le cadet est doué, incontestablement, et cela commence à s’entendre avec ses groupes. The Scuds qui deviennent ensuite Scud Mountain Boys. Comme quelques autres à la même époque, ils redécouvrent les vertus simples d’une écriture country traditionnelle qu’ils tentent, parfois de façon un peu pataude, de transformer en tremplin vers la modernité.

Pernice Brothers
Pernice Brothers

L’énergie rock de leurs débuts cède peu à peu la place à un dépouillement acoustique plus apaisé. Les trames de leurs chansons sont souvent rustiques austères même, mais s’accordent avec un certain air du temps. On commence à parler d’alternative-country ou d’Americana. C’est plus commode que vraiment pertinent mais cela facilite sans doute les étiquetages journalistiques et le travail des labels. Sub Pop, en l’occurrence, qui, sur la fois d’un seul titre – la face B d’un split-single partagé avec Steve Westfield – donne sa première chance au jeune Pernice et à ses camarades. Trois albums suivront, loin d’être dépourvus de mérite, alors que les prémisses de l’étape suivante sont déjà bien engagées. Joe Pernice aime à raconter que l’avance initiale de son contrat chez Sub Pop, signé en 1995, ont été utilisés pour acquérir son premier lecteur de CD ainsi que deux albums : Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band et une compilation de Nick Drake. Rétrospectivement, il est tentant d’y voir les symptômes avant-coureurs de ses envies grandissantes de chansons pop plus complexes et d’arrangements plus ambitieux. L’idée se mue en fantasme puis en projet : renouer avec ses premières amours musicales d’enfance – cette variété américaine des années 1970 – et donc avec des références qui sont encore très loin d’être considérées comme cool. Bacharach, Nilsson mais aussi les premiers albums des Bee Gees ou même Barry Manilow – auquel il consacrera tout un album de reprises un quart de siècle plus tard (Could It Be Magic, 2020). Fin 1996, la décision est prise et les Scud Mountain Boys enterrés. Pourtant, à l’écoute des démos qui accompagnent la version la plus luxueuse de l’édition commémorative du vingt-cinquième anniversaire d’Overcome By Happiness, il n’est pas toujours aisé de discerner la rupture radicale qui s’annonce. Seul à la guitare, Pernice Junior interprète de cette même voix qui suggère la mélancolie dans les souffles des chansons qui n’auraient pas nécessairement détonné sur Massachusetts, 1996. Le travail collectif va cependant parachever la métamorphose.

Pour l’accomplir, il convient de recruter un nouveau groupe. En détournant d’abord le frère aîné de la carrière d’ingénieur dans laquelle il s’apprêtait à s’engager. Pour l’occasion, Joe  « Super Mario »  Pernice compose pour son Luigi Monkey Suit, cette invitation tendre et ironique à abandonner les contraintes de la vie trop rangée.  » See myself off in my monkey suit each day / Then I walk the slow fish ladder, made of concrete and the bones of people/ Don’ let me disappear inside this monkey suit I’m wearin’.  » Thom Monahan, le colocataire de Joe et collaborateur des Scud Mountain Boys, est recruté à la basse ainsi que pour ses talents de producteur. Il suggère d’engager un guitariste local, Peyton Pinkerton, ex-New Radiant Storm King, ainsi que Mike Deming, arrangeur et pianiste, et Aaron Sperske (futur Beachwood Sparks) à la batterie, tous les deux remarqués pour leur participation à Better Can’t Make Your Life Better, 1996 des Lilys. C’est dans le studio que possède Deming, à Hartford dans le Connecticut, que le groupe se cloître pendant un mois de sessions laborieuses. Le résultat ? Vingt-cinq ans après – une demi-vie avec cet album, donc – et on y revient encore avec un émerveillement que les écoutes répétées ne sont jamais vraiment parvenues à altérer. C’est que, dès les premières mesures de Crestfallen, on entend, saisie à vif, une mélancolie radieuse, une tension merveilleusement irrésolue. La noirceur – la cruauté, même – des sentiments et des situations évoqués par la voix flottante de Pernice semble en permanence adoucie, transpercée par les chœurs vaporeux et les enluminures classiques des arrangements de cordes ou de vents – un mélange de Brahms et de Gamble & Huff selon Monahan. Qu’il s’agisse d’exorciser la rupture amoureuse – Clearspot, Sick Of You – ou même de dépeindre un suicide avec un réalisme dramatique accentué par le sens implacable du détail – Chicken Wire – il n’y a jamais place pour l’accablement complaisant dans ces chansons qui élèvent et réconfortent tout autant qu’elles suggèrent la tristesse. C’est que, en dépit de la présence constante d’arrangements très élaborés, l’équilibre des sons est toujours préservé, et qui permet de conserver un sentiment d’intimité partagée avec le songwriter et l’interprète. La gorge comme serrée, Pernice parvient à susurrer, sans forcer l’empathie même dans les moments les plus intenses – Wherein Obscurely. En dépit du succès critique rencontré par ce premier chef d’œuvre dès sa sortie, la collaboration avec Sub Pop s’achève peu de temps après la publication de l’album : trop difficiles à reproduire sur scène et donc à promouvoir, la pop en chambre et ses fioritures orchestrales ne sont pas vraiment dans le sens d’une histoire qui passe, à l’époque, par d’inévitables compromissions avec un nouveau partenaire – Warner en l’occurrence. Les albums suivants de Joe Pernice seront publiés sur son propre label, Ashmont Records. Bon nombre d’entre eux – quasiment tous – possèdent également des vertus qui les ont rendus plus que fréquentables, indispensables pour certains. Il n’en demeure pas moins que ce jalon associé à une première rencontre miraculeuse est encore celui vers lequel on se tourne le plus volontiers.


Overcome By Happiness des Pernice Brothers est sorti en 1998 chez Sub Pop / New West Records et vient d’être réédité pour son 25ème anniversaire.

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