Il y a eu ce moment, que je perçois aujourd’hui comme un songe. Pearl Charles, se produisant sur la scène de l’Hotel Vegas, dans la moiteur d’une nuit texane, en août 2019. La californienne avait déjà attiré mon attention, non pour sa musique que je ne connaissais pas encore, mais pour son image : toujours joliment mise en scène sur les réseaux sociaux, cette cowgirl des temps modernes nourrissait mon rêve américain. Son visage, que j’avais toujours vu figé sur des photographies, s’animait pour la première fois devant mes yeux. Un sourire indécrochable accompagnait chacune de ses paroles, chacun de ses mouvements. Pour autant, dans la petite foule réunie ce soir-là, et malgré cette générosité contagieuse, je n’arrivais pas à adhérer à cette country revisitée. J’ai plus tard écouté les deux premiers albums de la chanteuse (Pearl Charles, 2015 et Sleepless Dreamer, 2018) avec un réel désir de me laisser enfin convaincre, en vain.
Les mois ont passé, le monde s’est retourné et alors que Katie Crutchfield (aka Waxahatchee) et Kevin Morby réchauffaient nos confinements de leurs lives hebdomadaires, un autre couple s’est dévoilé en faisant la même chose : Pearl Charles et Michael Rault – ce dernier étant responsable, avec son second album It’s A New Day Tonight, de l’une des plus brillantes sorties de l’année 2018. Ensemble ils ont joué les titres phares de Pearl sous cette forme plus dépouillée, plus spontanée du duo, avant de publier, en novembre, leur délicate reprise de Christmas Must Be Tonight (The Band, 1975). Si les talents d’harmoniste du canadien (désormais membre du groupe) l’ont sans doute aidée à développer certains aspects de sa musique, la jeune femme semble surtout avoir gagné en maturité. L’éclatant Magic Mirror, paru le 15 janvier dernier, nourri d’influences diverses, dissout les stéréotypes du passé.
Cela commence par une explosion de paillettes. Sur Only For Tonight, chemise western au vestiaire, la muse se mue en Dancing Queen. Les claviers martèlent le rythme, les chœurs sont omniprésents, et toute cette fantaisie 80’s frôlerait l’indécence si elle n’était pas si entièrement assumée : oublions l’état du monde, ne serait-ce que pour un soir.
Pour autant, Pearl Charles ne porte pas allégeance au disco ; dès le deuxième titre, le calme revient, la pedal steel, foncièrement country, entre en scène pour y rester. What I Need est une ballade sautillante, façon Dire Straits. Le piano-voix introductif de Magic Mirror évoque Elton John, quand Slipping Away semble tirée d’un documentaire sur le festival de Woodstock. En fait, Pearl Charles incarne le soft rock : les mélodies sont simples et efficaces, la production léchée, et chacun de ces titres aurait sa place sur des radios de grande écoute. Avec ce disque, elle se range aux côtés de celles qui comptent aujourd’hui, à l’instar de Weyes Blood, à laquelle on ne peut que penser à l’écoute d’Imposter ou de Don’t Feel Like Myself.
Take Your Time est sans doute le point de l’orgue de l’album. L’américaine commence par chanter seule, avant qu’une guitare acoustique ne la rejoigne, et tout cela aurait presque des airs de Wish You Were Here. « The moon is darker on one side » déclare le couplet ; le clin d’œil à Pink Floyd est peut-être bien là. C’est classique mais élégant, simplement. Même les solos de guitares, dont l’humanité entière s’est lassée, sont ici bienvenus, tout comme les mots du refrain : « Take your time / You’re alright / It’s gonna be just fine ». Alors oui, parfois, une phrase semble un peu naïve, un son de clavier un peu kitsch mais cette fois-ci, ces extravagances semblent être là pour une bonne raison et pour cause, elles font du bien. Il s’agit juste de lâcher du lest, de se laisser aller à la gaieté. Est-ce que ces chansons fonctionnent aujourd’hui parce qu’elles comblent un besoin ? Est-ce qu’une fois notre cauchemar terminé, la candeur sera remisée ? En attendant, acceptons ce qui nous fait du bien.