Panda Bear, Sinister Grift (Domino)

Animal Collective a très brièvement été considéré comme un sommet musical inégalable (entre 2006 et 2009) avant de devenir complètement has been, emporté par le naufrage de l’indie rock, des voix haut perchées et des pseudonymes se référant à la faune. Bien à tort. Ce qu’a fait Panda Bear / Noah Lennox est d’intérêt et, parfois, sublime. Bien avant 2006, sa discographie avec Avey Tare / David Porter est un recueil de psychédélisme foisonnant et lyrique. Lyrique : ce mot est important. Ils n’ont pas (ou rarement) fait de la musique pour de la musique, pour s’émerveiller de leur propre inventivité (ils auraient pu). Ils ont cherché l’émotion.

Noah Lennox (Panda Bear) / Photo : Chris Shonting
Noah Lennox (Panda Bear) / Photo : Chris Shonting

Ceci dit, j’ai lâché le morceau pendant un temps (comme tout le monde, non ?), alors qu’eux ne se sont jamais arrêtés. De loin, par intermittence, j’ai jeté une oreille qui a trouvé cela un brin machinal. L’album de 2022 que Panda Bear a enregistré avec Sonic Boom m’a définitivement raccroché. C’était beau, liturgique et ouvragé – peint avec des couleurs distinctes et assumées, comme sa pochette. L’EP sorti quelques années plus tard avec des reprises en version mariachi a fini de me convaincre. Cet homme se moque des frontières étanches, de l’ordre. C’est un artiste. Voilà ce que j’ai pensé. Avec empressement, je me suis jeté sur son dernier album. Ce qu’il y a de bien, c’est que la première chanson convainc tout de suite. Nous ne sommes pas très attentifs, tout le monde le dit. Même sans TikTok, avec les réseaux sociaux, l’actualité du fascisme global, la précarité, les transports publics des grandes métropoles ; qu’importe le flacon, nous sommes tou⋅tes ivres mort⋅es. Et dès la première chanson, on est mis au courant : les mélodies seront réussies, la production soignée, l’évidence, comme plus tard sur Ferry Lady, Ends Meet, tubes pour une planète radieuse. Première étape.

Le cœur de l’ouvrage se situe dans le grand plan psychédélique, dans le monde leibnizien de possibilités infinies et cohérentes. Un collage de sons vifs et de mélodies colorées. Un goût de la juxtaposition, dans les instruments (cuivres, tas de synthés, guitares et percussions), dans les voix (filtrés, multipliées), dans les langues (portugais et anglais sur Anywhere But Here, où Noah chante avec sa fille), dans les bruits (pourquoi ne pas conclure une chanson par un sifflement ?). On ne se pose pas de questions chez Panda Bear. On suit une intuition. Tout cela est fait mais de manière ordonnée (rythmée, notamment). On doit quand même réfléchir un peu. On ne se laisse pas aller complètement. On peut bien sûr écouter cet album pour retrouver l’âme de Brian Wilson. Les chansons tracent des chemins dans une forêt vierge, et c’est la même forêt que Pet Sounds. On croise les mêmes arbres, avec un autre point de vue. Au fur et à mesure, on retrouve de la sensibilité : sensibles les nerfs qui traversent notre cerveau, sensible le goût amer sur la langue, sensibles les couleurs du monde, sensible l’étrange silhouette du frigo. Car telle est l’esthétique du grand plan psychédélique : décaler, bouger les formes, pour redonner vie.

On peut en profiter pour apprécier l’été, la lenteur, thé glacé, ginger beer, maisons ombragées, mansardes suffocantes. Apprécie-t-on vraiment ? L’album tourne comme tourne un ventilateur plafonnier — pas serein, obsessionnel, maladif. On s’engourdit. Une bonne dépression rode dans cette musique. 50mg, ça fait un peu médoc, non ? Malgré la chaleur, les preuves abondent. L’été est fait pour ça aussi. Pour que tout retombe, pour qu’on se souvienne de notre malheur. Tout ça n’aurait d’ailleurs pas marché sans la fin, sans Left In Cold, et Elegy For Noah Lou : complainte mélancolique, puis météore orbitale sublime, dérivant lentement hors de l’atmosphère, triste corps céleste. Il faut venir aussi pour ça, pour cette profondeur. Et enfin Defense, écrit avec Cindy Lee, structurée, avenante, sortant doucement des ténèbres. On a bien retrouvé Noah Lennox. Pourvu qu’il reste encore longtemps.


Sinister Grift par Panda Bear est sorti en février 2025 chez Domino

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