Un film, sur grand écran. Les images sont en noir et blanc. La scène se passe dans un appartement, une lumière faible nimbe la pièce principale d’un halo hésitant. C’est une chambre, un lit double, des draps blancs, un couvre-lit sombre. C’est la nuit et une femme se tient dans la pénombre. Près de la fenêtre entrouverte. On entend monter les bruits de la ville, comme étouffés et pourtant présents, une sirène de police, un chien qui aboie, des voisins qui se disputent.
La femme est silencieuse, elle porte à ses lèvres le verre de vin qu’elle tient dans la main. Le rouge rencontre le pourpre. Sa robe épouse ses courbes, l’étoffe sombre dessine ses hanches, arrondit ses seins, et ses longues jambes semblent à peine être en mesure de soutenir son corps fragile. Elle est blonde, ses cheveux reposent sur ses épaules, ils éclairent son visage mutique, son ovale fantomatique. Elle attend, quelque chose ou quelqu’un. Elle est belle dans la nuit qui l’étreint. La musique d’abord discrète, se fait plus présente. Le piano précède le moindre frémissement d’air. Le temps ne semble pas avoir d’emprise sur ce qui est en train de se passer, cette attente devenue palpable, sourde mais qui hurle pourtant. Et puis une voix vient se poser sur ce visage, une voix masculine, élégante, une voix dont la mélancolie embrase instantanément l’espace de la chambre. C’est la voix d’un incendie, de ceux qui brûlent en douceur, de ceux qui commencent par enflammer le cœur. C’est à ce moment que l’homme apparaît à son tour à l’écran. Il se tient de dos, il porte un costume foncé et les cheveux courts. Sa silhouette est élancée, il est grand ou il semble l’être. Il la regarde le regarder. Un monde entier s’étend entre leurs corps immobiles. La voix reprend. Elle est plus puissante à présent. Elle réclame la beauté, la cherche dans l’espace, sur leurs visages. Il est question d’une douleur indicible, de jours qui s’écoulent inlassables, de réconfort qui comble les abysses. C’est doux et c’est là le drame de l’existence. Approcher la beauté donne toujours peur de la perdre. La femme pleure. Elle n’est pas triste, mais elle l’a tellement attendu. S’il savait seulement combien elle l’a attendu. Ses yeux brillent encore lorsqu’elle s’approche de lui, lentement. Il la regarde qui vient vers lui. Il est comme foudroyé. C’est sa beauté qui le tue. Elle pose les mains sur le veston, caresse le tissu, devine les côtes, les muscles, le sang qui palpite dans les veines. Il passe la main dans ses cheveux, sur sa joue, essuie les larmes. Il voudrait s’excuser de l’avoir fait attendre. Ses mains descendent le long de son dos, puis enserrent la taille. Ses mains disent enfin les mots qu’il ne sait pas prononcer, les mots des gens qui savent qu’ils ne pourront pas s’oublier. Ils ne s’embrassent pas, pas tout de suite. Ils dansent. Dans les bras l’un de l’autre, sur les violons qui s’envolent, ils dansent. Plus tard, ils feront l’amour, un amour de cinéma, un amour en noir et blanc, intense et délicat. Ils se coucheront sur le lit, ils étendront leurs corps, ils retireront leurs vêtements, ils se donneront ce qu’ils ont à se donner et leurs gestes auront la grâce des premiers instants. La beauté de ce moment, la nuit qui s’étire pour les amants, la voix de Stuart Staples qui se dépose sur leurs corps endormis, le film que la musique transpose sur grand écran, et tout le reste n’est qu’éblouissement.