L’autobiographie musicale est un genre particulier, puisque de part sa nature même, il ne constitue pas le premier choix artistique de son auteur, d’où une qualité souvent très inégale. En bas de l’échelle se trouvent les mémoires publiées pour des raisons financières (aucun artiste au sommet de sa gloire ne prendrait le temps de publier un livre), ou pour faire partager au monde la découverte de la sobriété / Dieu ou « la spiritualité »/ la famille. Heureusement, la motivation peut aussi être artistique, comme pour Patti Smith (Just Kids) ou Bob Dylan (The Chronicles), et dans une moindre mesure Ray Davies des Kinks (X-Ray, The Unauthorized Biography), qui en profitèrent pour (se) prouver qu’ils étaient plus que des songwriters de talent. Les œuvres les plus savoureuses sont souvent celles écrites dans un esprit vengeur, comme Peter Hook qui ponctue Substance de « Bernard, that cunt » toutes les 3 pages, ou Keith Richards lorsqu’il raconte dans Life que Marianne Faithfull « had no fun with his tiny todger » pour parler du pénis de Mick Jagger, au risque de mettre en péril la machine à faire des millions. Il a fallu tout le talent et la dignité de Kim Gordon pour évoquer avec honnêteté la fin du groupe et de son couple dans Girl in a Band, sans tomber dans un pathos qui aurait fait oublier qu’il s’agit avant tout d’une excellente rétrospective de la culture alternative de ces cinquante dernières années. Pour les amateurs de misanthropie éclairée, Renagade de Mark E. Smith est un classique, dans lequel il s’attaque aussi bien à Noël Gallagher que Deep Purple, sans compter l’interminable succession de membres de The Fall. Mais paradoxalement, le vrai chef d’oeuvre du genre demeure The Dirt : Confessions of the World’s Most Notorious Rock Band, l’autobiographie « chorale » de Mötley Crüe. Et pourtant, à titre personnel, je confesse ici que musicalement, je me fous complètement du groupe, comme la plupart des gens nés avant 1970 ou après 1975. Je l’ai lu uniquement pour les détails tour à tour sordides et hilarants, pour passer de l’autre côté du « quatrième mur ». Quiconque prétend ne lire ces livres uniquement par amour de la musique est un hypocrite.
Après des années passées à écumer les festivals et les salles de concert pour le compte de Rolling Stone, Vulture, Spin et Billboard, Drew Fortune eut l’idée de demander à des artistes qu’il admirait de raconter leur meilleur et leur pire souvenir de tournée. Rapidement il se rend compte que les « bons » souvenirs sont toujours les mêmes (« ma famille était là, c’était vraiment spécial », « je me suis fiancé, j’étais très heureux ce soir là », etc.), alors que les « mauvais » sont toujours savoureux. C’est ainsi qu’en 2014, il demande à Mickey Melchiondo (Dean Ween) de partager son pire souvenir de concert (spoiler : en première partie de Busta Rhymes face à un public peu enclin à apprécier The Mollusk). Soixante-et-un artistes évoquent ainsi avec plus ou moins de talent et d’humour les situations souvent tragicomiques qui naissent de la vie en tournée : de Alice Cooper à Lou Barlow, en passant par Darryl McDaniels (Run-D.M.C), Mark Mothersbaugh (DEVO), Jennifer Herrema (Royal Trux) ou Buzz Osborne (Melvins), le casting est impressionnant de prime abord, et le livre vous entraîne aussi bien au Studio 54 en compagnie d’Andy Warhol et Michael Jackson, qu’à Reading 94 ou Primavera 2008. Impossible de se montrer plus précise, au risque de gâcher les meilleurs moments de NO ENCORE !, qui trouve son intérêt dans l’honnêteté et l’autodérision de ses narrateurs, avec une mention spéciale pour Dan Aykroyd qui raconte le pire concert auquel il ait assisté, n’ayant pas compris ce qu’on lui demandait. Il vous confortera également dans vos idées préconçues sur certains artistes mainstream (au hasard Paul Oakenfold, Wyclef Jean ou un type d’Incubus), qui s’avèrent être exactement les connards pompeux qu’on imaginait. C’est donc très amusant et facile à lire, et comme le Reader’s Digest dans les années 60, cela vous permettra de briller en société grâce à vos savoureuses anecdotes. Mais de la même manière, les brefs souvenirs de Wayne Kramer (MC5) et James Williamson (The Stooges) ne sauraient se substituer à la lecture indispensable de Please Kill Me de Legs Mc Neil pour une réelle compréhension du punk. Ces vignettes de trois ou quatre pages sont donc à savourer comme des Ferrero rochers, en plaisir coupable occasionnel et tout à fait satisfaisant en cette période de fêtes.