Nous n’avions que les disques.
Et souvent nous ne parlons que des disques, à Section26 : ils sont des occasions mécaniques de voir ce qui apparaît, d’entendre ce qui se tait à volonté, dès lors que l’on dispose d’écouteurs ou de haut-parleurs à soi, et de l’air pour faire vibrer des tympans jusqu’à la moelle, jusqu’à la chair. Les disques : mobiles, palpables et pourtant sans limites, détachés du lieu comme de l’espace.
Et rarement nous parlons de concerts, sinon au détour d’une ligne ou d’une humeur : toujours déjà passés et donc absents, ou toujours à venir et donc hypothèses. Aucun rendez-vous ne dure comme un disque – les mémoires nous amusent, nous séduisent autant qu’elles nous piègent. Revenir au souvenir d’un concert, c’est la certitude d’une absence, quand revenir à un disque chéri recouvre cette même absence d’une illusion rassurante, l’illusion de toucher son être et mon être.
Pourtant, je crois que je les aime, les mémoires, surtout enfuies et qui reviennent, qui nous reprennent.
Aussi, je crois que j’aime de plus en plus apercevoir ce qui détache la création de l’œuvre pour devenir simple présence, simple intimité, comme le folk tel que le décrit et le vit Myriam Gendron, que je n’avais jamais eu encore la chance d’écouter interpréter les chansons qui la traversent en direct, comme on dit, en concert, même si à ce stade le canon du concert s’enraye de joie malgré l’absence de munitions – rien n’est à transpercer, tout est transparent. Ne restent que des occasions d’être là.
Sur la péniche du Sonic, à Lyon, comme aux autres soirs de sa tournée européenne, d’après tous les témoignages recueillis sur les messageries palpitées, chacun·e est – là. On parle de transport, de formidable et de fantastique.
Ainsi avons-nous entendu : une première chanson, une guitare passée au prisme des lampes de l’ampli Twin Reverb, et la voix qui s’ouvre et qui s’explique, expose – les sillons donnaient à peine une ombre. Je me rappelle ce bonhomme lointain qui il y a des décennies disait J’ai entendu Charlie Parker jouer à trois mètres de moi, comment voulez-vous que je me passionne pour ses disques ? et vraiment nous continuerons de nous passionner pour ce que nous disent les disques de Myriam Gendron, une triplette parfaite, mais nous nous passionnerons en connaissance de cause, en connaissance de cette voix qui s’ouvre et qui s’explique, expose – ce n’est pas une question simple de technique, de timbre ou de prosodie, ni une question complexe à facteurs multiples, c’est une réponse sans parole qui nous permet d’entendre les mots des chansons – ainsi avons-nous entendu – et donc le grand silence qu’ils expriment – le grand espace – que ne retiennent ni les murs d’une salle de concert, ni les sillons d’un disque, ni les chemins de nos mémoires.
Tout paraît simple, les sons d’Au cœur de ma délire lancés à travers le câble du téléphone, les présentations des chansons, les chansons même, les Terres brûlées dans la même langue que la mémoire et que la mer, pour dire autrement l’aventure, le silence du public qui forme l’espace, qui forme le temps, qui verse des larmes et des rires, la brève explosion de cornemuse, et la guitare posée sur les genoux quand une boucle a été tirée d’arpèges et que le temps tourne.
À la fin, nous n’en voulons pas plus, nous n’en voulons pas moins. Nous ne voulons rien, à dire vrai. Tout a été dit. Les ombres retournent peupler la nuit, réchauffées pour un moment. Tout était bien.