Myriam Gendron, Mayday (Feeding Tube Records / Thrill Jockey)

Ce qui fut : I – Le Magicien

« Je ne sais pas moi, j’improvise », me souffle-t-on dans l’oreille et à propos de tout autre chose.

Pas de plan mais une carte, les éléments et les suites au grand jour mais sans explication. Seulement de la magie, deux albums inattendus et pas tant inouïs que : actifs. Not So Deep as a Well, avec les mots rendus de Dorothy Parker, Ma délire – Songs of Love, Lost and Found, avec les siens de mots, Myriam Gendron, et d’autres. Deux disques qui retournent les cœurs les plus usés, leur inoculent une joie et une espérance, transmutent par une musique qui semble toujours avoir été là, cachée sous les yeux. Un chemin débroussaillé, catalogue des possibles, que nous habitons. Leçons et savoirs ancestraux, ça fouille, remue ; si folk veut dire quelque chose, ça veut dire cela, enregistré en chambre ou en compagnie, acoustique ou électrique, une idée du monde et de sa transmission. La Grande Prêtresse toque doucement à la porte, lever de lune, l’obscurité transperce après-midi comme matin.

Ce qui vient : Cavalier de coupes

« C’est ça ton meilleur jeu ? » demande-t-on à côté de moi et à propos de tout autre chose.

Amour déchaîné, qui coule, déroule les paysages à l’excès. On aime depuis des années maintenant ce que les disques de Myriam Gendron nous font : croire, savoir, vouloir, espérer, et donc, surtout – aimer. Un troisième album vient, et sans surprise on se trouve éperdu d’amour malgré tout pour un monde qui permet à de tels disques de brûler les terres en alexandrins, de rêver des berceuses déchirées, de convoquer des équipes incroyables : Marisa Anderson, Jim White, Cédric Dind-Lavoie, Bill Nace, Zoh Amba. On attend le disque, on le reçoit, et on le reçoit de fait, chic et beau, merveille non ostensible – comme la meilleure littérature. Ça s’écoute le cœur en mouvement, ce cœur réveillé par les deux albums précédents, sans (se) compter. Les pochettes continuent leur discrète parade bichrome, un autre fil qui nous plaît.

Ce qui tremble : As de coupes

« C’est le hasard intégral », argumente-t-on à côté de moi et à propos de tout autre chose.

L’impression persiste. Avec Mayday comme avec ses prédécesseurs, une main s’offre de tenir la nôtre, de nous délivrer un cadeau plus qu’un disque, ce dont même le plus blasé des amis était convenu après Ma délire : « Je n’y peux rien, c’est tellement bien. » Ce qui, dans sa cosmologie alambiquée et volontiers archétypale, voulait dire – aucune arme n’entame ce qui s’écoule du sillon d’où s’élèvent les chansons de Gendron. Elle désarme sans révolution esthétique, singer of songs, accompagnée pour l’enregistrement à l’Hotel2Tango de Montréal par des générations d’avant-garde qui se tiennent, à peine un coude sur la table, un rototo enfantin, des broutilles parfaites et les proverbiaux paysages qui occupent l’anecdote et le décor, appellent le tableau, préparent presque sans y toucher au passage de l’os.

Certains airs se tiennent aussi à carreau, attendent leur heure et on reconnaît ce sourire en coin de refrain, « je ne t’ai pas eu tout de suite mais je ne te manquerai pas plus tard », au fond du bus ou du verre, d’autres administrent d’emblée un hug étourdissant à l’auditeur·ice, faute de baffes, l’âge étant passé. Un disque à la fois immédiat et à longue durée, à surprises répétées. C’est, toujours, le Magicien qui a dessiné la première carte, le chemin devenu plusieurs pas à pas, et sur ces chemins on continue d’avancer. L’errance fait de la météorologie, bon dos.

Tout commence avec chaque écoute. Les plateaux de la balance jamais en équilibre, jamais en déséquilibre, joies et peines comme les cœurs entrecroisés de Leonard Cohen dans son hypothèse de symbole. Il s’agit d’envisager ce qui vient, le déversement, pour apercevoir derrière ce qui tremble : un sentiment toujours nouveau, un horizon toujours incroyable quand le sillon éjecte le diamant arrivé en fin de course, en fin de disque.

Un tout premier silence du monde.

Un As de coupes.


Mayday par Myriam Gendron est sorti sur les labels Feeding Tube Records / Thrill Jockey.

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