Le trip, c’est le voyage, en mouvement ou à l’intérieur de soi. Une expérience que Lilly Creightmore s’apprête à vivre intégralement lorsqu’elle débarque à Austin, Texas, en Octobre 2008. La photographe et vidéaste londonienne est invitée par les Black Angels à couvrir leur tournée avec Roky Erickson, fondateur des mythiques 13th Floor Elevators. Ce premier périple l’amène à la rencontre des Brian Jonestown Massacre, des Warlocks ou de Black Rebel Motorcycle Club. Au travers de ces entrelacements commence à s’écrire une histoire, celle du réveil d’une scène « rock psychédélique », terme que les 13th Floor Elevators avaient – les choses sont parfois bien faites – été les premiers à employer dans les années 1960. Pour la jeune femme, indifférente au rock mainstream servi par les groupes anglais de l’époque, écœurée par la corporatisation de l’industrie musicale, cette expérience est une révélation : il y a dans le son de ces guitares ce qu’elle a tant écouté et aimé (Ride, Spacemen 3…) et auprès de ces musiciens une communauté à laquelle, enfin, s’identifier.
De manière très spontanée, sans porter d’attention particulière à la qualité ou à la beauté de l’image, Lilly Creightmore capture des moments de live, de route et de convivialité. Elle continuera à le faire pendant une dizaine d’années au gré des festivals, des concerts, ou en studio avec ces artistes devenus ses proches. Les séquences les plus pertinentes sont sans doute celles filmées auprès d’Anton Newcombe, ambassadeur de cette scène « néo-psychédélique » avec son groupe, les Brian Jonestown Massacre. On pense évidemment à Dig!, dans lequel une autre réalisatrice, Ondi Timoner, confrontait sur sept ans le destin des « BJM », enragés et autodestructeurs, à celui, plus prometteur, des consciencieux Dandy Warhols. A son tour, Lilly Creightmore évoque ce mythe, montre Newcombe dans l’un de ses accès de folie mais aussi, des années plus tard, assagi auprès de Tess Parks. Tess Parks, la première musicienne à apparaître dans le film, devenue icône malgré elle d’un milieu dont la mixité fait défaut. A l’apogée de sa complicité artistique avec Newcombe, elle confie à la caméra de son amie : « Ce sont les jours les plus glorieux de ma vie. Je suis juste cette gamine de Toronto qui rêvait de tout ça et curieusement, on m’y a donné droit. »
Au milieu des instants pris à la volée sont insérés quelques entretiens plus formels. Creightmore interroge son compagnon Hákon Aðalsteinsson, leader de The Third Sound et actuel guitariste des Brian Jonestown Massacre, qui explique comment Berlin est devenue l’épicentre de la scène rock psyché de ce côté de l’Atlantique. Newcombe s’y est définitivement installé, ses musiciens aussi, comme un autre personnage du documentaire, Will Carruthers (Spacemen 3, Spiritualized). Olya et Craig Dyer de The Underground Youth, également établis dans la capitale allemande, racontent quant à eux ce que l’expansion du mouvement doit à certaines structures : le label londonien Fuzz Club ou l’Austin Psych Fest, ce festival créé à l’initiative des Black Angels en 2013, renommé Levitation deux ans plus tard en hommage aux 13th Floor Elevators et à l’origine des nombreuses déclinaisons observées à Angers et ailleurs en Europe.
Les Dyer concluent avec une pointe de nostalgie : « En 2012, quand nous avons rejoint la scène, c’était vraiment authentique, ce n’était pas un phénomène de mode. C’était en train de se produire, c’était naturel. On faisait partie de quelque chose de très spécial. » Dix ans plus tard, la fièvre est retombée ; de nouvelles sonorités se sont peut-être emparées des guitares de la nouvelle génération. L’heure pour Lilly Creightmore d’assembler ses souvenirs. Sur ce collage, elle appose sa voix, témoigne et soulève l’un des plus grands bonheurs de l’existence : celui de se sentir à sa place ; au bon endroit, au bon moment.