Dans la série nous nous sommes tant aimés, il est vrai que le cas Mogwai nous tracasse au moins autant que les gens en pleine extase attentiste quant au nouvel album de The Cure. Car sur une durée moyenne mais aucunement reniée, Mogwai fut non seulement un de nos groupes préférés mais aussi le meilleur groupe du monde et surtout le plus bruyant quand ils s’en donnaient les moyens. Malchance infâme d’une date inoubliable au Café de la Danse (déjà…) qui venait simplement d’appliquer la loi. Pas plus de 108 dB, la législation gauloise était formelle mais pour un groupe alors en pleine ascension — et dont la capacité de jonglage niveau quiet/loud fascinait et annihilait alors plusieurs efforts historiques (mbv à l’Olympia, Killing Joke aux balances, Yo La Tengo deux jours de suite devant le Twin Reverb d’Ira) au meurtre de mes tympans — elle ne coulait pas de source. Ces petites batailles du bruit, orions et ramponneaux de visu, faisaient acte de résistance. J’ai d’ailleurs encore ce fameux ticheurte du Ché (t’as la double ref ?) orné du slogan Scottish Guitar Army. J’ai vraiment une histoire particulière avec ce groupe que j’ai peut-être aimé plus que de raison.
À l’époque du premier album Young Team (1997), lors d’une interview bon enfant (qui allait prendre, vous allez le voir, une dimension épique) je me suis pour la première fois de ma vie, senti vieux. Nous parlions des concerts qui avaient changé le cours de notre existence et Stuart Braithwaite, ce petit malin qui tentait de me faire croire que sa grande sœur l’avait emmené à un concert de Bauhaus à l’âge d’environ 4 ans et demi, eut l’insigne politesse de me retourner la question. Apprenant que mon premier concert fut The Cure (décidément…) In Orange, j’ai précisément vu sa mâchoire se décrocher. Au bord des larmes, le leader de Mogwai (c’est assez flagrant dans ce documentaire) alla chercher ses roadies et les autres musiciens (qui devaient compenser leurs 12 pintes réglementaires à l’aide de modestes tartines de Kiri) pour montrer, me montrer. Putain les mecs, CE type, là, lui, il a vu Cure à Orange pour de vrai !!! Avant de m’annoncer sans la moindre trace d’ironie, qu’ils passaient leurs journées dans le bus de tournée à mater religieusement et en continu la captation live de ce jour glorieux. Ce que je veux bien croire (et ce qui est peut-être encore le cas), sans la moindre trace d’ironie. Il y eut, un peu plus tard, ce concert à La Cigale où j’ai tenté (pour la deuxième* et dernière fois) de me suicider cervicalement en tentant de stage diver comme un maboul. 4 Jours d’ITT. Plus récemment la retranscription live du documentaire Atomic à La Philharmonie, où j’ai essuyé un œil bien mouillé à côté d’un fan de black métal qui pleurait toutes les larmes de son corps. Mais à partir de The Blank Tapes, déjà, les disques ont commencé à souvent m’ennuyer. Beaucoup. Je ne peux donc plus m’identifier aux fans éplorés que l’on croise dans ce documentaire même si je les envie un peu. Un peu comme les gens qui se tripotent à l’avance dans l’attente du nouvel album de The Cure. Mais je n’ai plus la tête à ça.
Après, ne boudons pas notre plaisir, l’évocation des débuts du groupe (avec un certain Alex Kapranos en témoin numéro un et un adoubement Slintien via le père Pajo en numéro deux) ravive un peu la passion et l’un des biais narratifs (vont-ils dans un royaume désuni post-Covid accéder oui ou merde et par accident à la première place des charts ?! eh ben putain, oui) ressemble fort à une victoire sur la médiocrité. Ce qui était le but initial de ces jeunes écossais. Ce documentaire fait la part belle à l’idée d’une communauté, d’une ville, Glasgow où nos farfadets ont mis en place un studio (Castle Of Doom), un label (Rock Action) et sponsorisé un club de football junior. À l’heure précise où le groupe annonce un nouvel album pour le 24 janvier prochain, et son titre The Bad Fire, nous fera peut-être rebasculer dans une forme d’admiration, ce documentaire remet la force du groupe en perspective avec clairvoyance.
Mogwai, If The Stars had a Sound de Anthony Crook (2024) sera projeté samedi 9 novembre à 20h00 au Théâtre Molière à Bordeaux dans le cadre du festival Musical Ecran 2024.
* La première c’était Lucie Vacarme à Colmar.