Quand on constate qu’un groupe qui a touché notre cœur a su en toucher d’autres, on se réjouit. Parfois, un groupe touche beaucoup de cœurs, et on craint alors, parfois, qu’il en touche trop, parce qu’on serait alors, peut-être, un peu moins soi, un peu plus anonyme. Peut-être, pourtant, que ce groupe a su toucher quelques universaux plus partagés que d’autres universaux, ou plus d’universaux qui font somme, et que ce n’est pas grave finalement.
D’aimer, ou de ne pas aimer.
Parfois, un groupe touche peu de cœurs autour de soi. Ou n’en touche plus, plus beaucoup.
Parfois, on cesse de parler de certains groupes parce qu’ils ont cessé d’exister, mais ce n’est pas toujours la raison. La raison, plus souvent, est qu’ils parlaient à moins de gens parce qu’ils parlaient de moins de choses, ou qu’ils parlaient de choses que les gens entendent moins. Ou dans une autre langue. Ou dans d’autres langues. Ou qu’ils ne parlaient pas l’une des langues de ceux qui parlent beaucoup et que, donc, on entend beaucoup.
Migala est de ces groupes qui comptent et qu’on partage avec peu de gens, proches ou non, et dont on ne parle plus, ou presque plus.
Pourtant, Migala parlait beaucoup de langues.
On l’évoque de loin en loin sur les réseaux, avec Christophe, en automne ou au printemps – les deux autres saisons conviennent moins bien – alors que Diciembre 3 a.m. s’est glissé de lui-même dans la platine, à la faveur de la pénombre et d’un whisky – ou d’un bourbon – ou d’un rye – on peut imaginer le patxaran de l’autre côté des kilomètres – une pénombre jamais sèche – a-t-on déjà rencontré une pénombre qui fût sèche ?
On écrit ici Diciembre 3 a.m. mais tous leurs albums conviennent, dans des façons différentes, toutes époustouflantes de spontanéité. Si un groupe parle la langue de la reprise et qu’il reprend Fade Into You, ce n’est pas par passion du souterrain, de la connivence ou de l’habileté, c’est parce qu’il considère qu’il s’agit d’une grande chanson. Ce n’est pas la seule bonne raison de reprendre une chanson, mais c’est l’une des bonnes.
Migala eut en son temps sa presse, ses trop rares défenseurs, ses admirateurs, et enregistrait des disques dégoulinant de domestique – c’est une passion ces jours-ci, l’œuvre domestique, et c’est un compliment, y compris de dégouliner –, donnait des concerts fabuleux dont celui de Benicassim resté tant dans la mémoire de ses membres que dans celle des spectateurs – j’en étais – nous fermions tous les yeux pour être bien sûrs – ici Bill Callahan ou Leonard Cohen ou Lloyd Cole, là Godspeed You! Black Emperor ou Jesus & Mary Chain ou Tindersticks (de poche), pour faire vite et à grands traits, mais sans le forcer, le trait. Pas le genre de ce groupe, de forcer – il ne force pas l’écoute – il attend patiemment qu’on pense à lui – on devrait peut-être penser à lui un peu plus souvent – c’est le tort de certains élégants, cette discrétion.
On imagine le soin accordé au hasard comme à la narration lors de la conception de ces albums qui appellent toujours, après eux, le silence ou la fête, ou la beauté – pas le peinard, ce vieux truc confortable – pas la pantoufle – pas le doudou – le domestique, le vrai, est une aventure dans laquelle on ne se réfugie pas, mais on plonge.
Migala est vu d’ici un souvenir, une image, cette bande d’individus autour de leur chanteur, de trois accords et de la même idée d’épure foisonnante, tous au service de la meilleure cause : les chansons, ceux qui les écrivent, ceux qui les chantent, ceux qui les écoutent. Et l’écoute de ce souvenir ne déçoit jamais.
Migala vient de ressortir son album Así Duele Un Verano (1998) en vinyle chez Acuarela.
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Tres bien formulé. J’y étais aussi à ce concert en espagne … merci de m’avoir rappelé a ces moments magiques et a ce groupe si particulier ! Une réécoute de leur disco s’impose 🙂