Michel Cloup Trio, Catharsis en pièces détachées (Ici d’ailleurs)

« T’entends la sirène,
est-ce que tu l’entends la sirène ? »

De la cave d’un kebab à Paris où il jouait sous alias super héros aux commémorations de la maison de disques Lithium il y a quelques années, on peut dire qu’on a construit sans le savoir une relation au long cours : de son côté, la carrière d’un musicien avec ce que ça comporte de péripéties, les groupes du départ, l’adolescence flamboyante, torse bombé, tête tourmentée de doutes plus ou moins cachées, amitiés compliquées obligées, changements violents du jour au lendemain et puis construction pas à pas, au jour le jour d’un métier, le truc du romantisme qui s’évapore pour laisser place aux constats intimes, politiques et collectifs qui vont nourrir le moteur d’une œuvre à nulle autre pareil (sinon quoi), l’entrainant jusqu’à aujourd’hui. De mon côté, la place du mort, enfin du spectateur, de l’auditeur, du groupie, de celui qui toise, qui jauge, qui accumule informations, suppositions, émotions, rejets parfois tel un biographe non officiel, en toute clandestinité. Avec pour point de départ ce transfert originel sans doute : est-ce que cette vie aurait pu être la mienne ? Spoiler, non.

Michel Cloup / Photo : DR
Michel Cloup / Photo : DR

Ce n’est pas la première fois que j’écris sur un disque de Michel Cloup, en groupe, en duo, en trio, en plus ou moins seul, bien sûr, j’ai dû m’exercer sur au moins 90% de ses sorties, ça devrait le faire, j’ai la matière et l’antimatière. On avait surtout renoué avec le très bon Backflip il y a 3 ans : conçu en solitaire, il dégageait quelque chose d’évident dans son courroux, d’intime dans ses prises de positions, avec de l’énergie et de l’évidence, comme on aime, l’essence. Dans le nouveau qui part dans tous les sens, les cloupophiles retrouveront les thématiques chères à leur cœur qui bout : fiction de l’intime qui fait écho à d’autres pages du journal familial glissées depuis le premier Michel Cloup Duo, documentaire sur la famille élargie – une apparition étonnante du pois sauteur en gilet jaune fluo, Fredo Roman alias Nonstop, de l’énervement post situ – on ne se refait pas, de l’interrogation existentielle, de l’espoir pour tout or en barre, de la parole minimale, du discours fleuve notamment sur l’exploration des tenants et aboutissants de la nature même de l’artiste. Un disque en forme d’outil de transmission autant qu’un inventaire avant liquidation.

Michel Cloup / Photo : instagram
Michel Cloup / Photo : instagram

Je ne sais plus où j’ai entendu ça, à un militant expérimenté, le journaliste demandait ce que ça faisait de perdre constamment, les élections, les combats politiques, malgré l’engagement, le temps passé sans compter. Il répondait que peu importaient les résultats des luttes finalement. Que seul le chemin comptait, celui qui vous transformait de l’intérieur. Celui qui faisait de vous un autre être humain, meilleur ? Des revers, il ne fallait garder que les rencontres, des déceptions que les bons moments passés avec les autres, ceux qui partageaient les mêmes envies de voir les choses changer en bien. J’ai pas mal pensé à ça en écoutant Catharsis : comment il gardait la foi en des lendemains qui chantent et déchantent à la fois, et du pouvoir de ses chansons pour les accompagner. Il me dira sans doute qu’il n’a pas le choix, qu c’est ce qu’il sait faire et qu’il n’attend pas ou plus depuis longtemps – l’a-t-il réellement jamais attendu – ne serait-ce que des améliorations dans la vie de chacun. Il le dit lui même,  ça n’était pas mieux avant de toute façon.

Que faire de ce constat en musique : Michel Cloup, si on prend à partir de Notre Silence, très beau disque de renaissance, a beaucoup joué sur la relation entre l’intime et le politique, ce que ça faisait aux corps, aux esprits et à la société et comment il se projetait dedans : que ce soit les albums qui ont suivi ou les collaborations (notamment la mise en musique spectaculaire mise en musique du roman de Joseph Pontus, A la ligne, feuillets d’usine, avec ses frères désarmés, Bouaziz et Rufié), les productions de jeunes gens jusqu’à Backflip, conçu seul donc et le retour de balancier un peu extrême. Volonté inexpugnable de durer, avec cette fois sa garde rapprochée (Manon Labry, guitariste et Julien Rufié, batterie)  pour balancer la sauce dans tous les sens, éclabousser les murs et retrouver une sorte de joie puéril à monter les volumes, jeter des slogans à vau-l’eau,  et repartir de plus belle, sans filtre, la boussole un peu cassée. Bien sûr il y a du déchet dégueu, de la scorie brûlante, du ressassement, mais c’était bien le plan annoncé : à nous de remonter le bin’s, comme on veut, avec les pièces détachées.

Finalement, on en est là de cet album, avec une pochette dans laquelle les vieux comme moi trouveront des échos aux détournements kaleidoscopiques de celle du Goût du jour, très belles peintures de Stéphane Arcas, la musique de Michel Cloup est toujours là pour nous accompagner, et proposer des alternatives, des commentaires du moment, comme un point de résistance (électrique), un point d’appui pour vivre mieux. Compagnie parfaitement synchrone pour une génération en train de passer la main, et pour toutes les autres * ?


* A propos de nouvelle génération, ne manquez pas la première partie de la release de Catharis du 13 décembre à Petit Bain : Violence Gratuite, auteur d’un des meilleurs albums de 2024 (Baleine à Boss) et qu’on avait interviewée ici ouvrira pour le Michel Cloup Trio, à coup sûr le ticket gagnant.

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