Vingt ans nous séparent désormais de l’unique album de Metro Area, une des sensations de l’époque. Morgan Geist et Darshan Jesrani avaient démarré le projet quatre ans plus tôt, en 1998, du coté de New York. Actifs tous les deux depuis le milieu des années 90, ils s’étaient rencontrés sur une mailing list de discussion, vers 1995 et entamèrent dès lors une collaboration, d’abord sous le nom de Phenom. Publiés au compte goutte, les premiers maxis de Metro Area, sur Environ (label de Morgan Geist) contribuèrent à faire naitre un fol espoir. Les astres s’alignèrent pour la sortie du tant attendu album. Peu de véritables inédits mais une compilation élaborée et éditée des maxis du duo : cela peut sembler désormais un peu chiche en nouveauté mais l’époque était différente.
Rappelons nous quelques instants de 2002. L’information sur internet était sporadique, la presse écrite encore très influente. Il n’y avait ni Deezer (2007), ni Spotify (2006) ni Youtube (2005); pour découvrir les morceaux, il fallait ainsi espérer les entendre à la radio, en club, en disquaire ou sur un CD de magazine spécialisé. Une bonne critique faisait encore vendre des disques. Si les happy-fews connaissaient déjà par cœur la plupart des morceaux, le commun des mortels découvrait donc les douze titres en octobre 2022, précédés par un bouche à oreille dithyrambique. Dès la couverture (de Dan Selzer), nous savions qu’il s’agissait d’un disque spécial. Des silhouettes floues sur un dancefloor éblouissant, le visuel n’a perdu ni de son aura mystérieuse ni de son élégance. L’écoute prolonge ces sentiments. Les compositions de Metro Area étaient (et restent) intemporelles et singulières. Le duo pratiquait une musique de club dont la fonctionnalité ne devenait pas la finalité. Il se plie aux exigences de la piste (durée des morceaux, longs passages rythmiques) mais arrivent à exprimer, dans ces formats imposés, une réelle personnalité. Morgan Geist et Darshan Jesrani offrent alors une relecture enflammée de la dance music depuis la fin des années 70. Produit du début des années 2000, leur musique est un hommage personnel et intime à la disco, au boogie, au post-disco ou à l’italo. Trop malins et intelligents pour se contenter des recettes éprouvées, les deux producteurs imaginent des versions stylisées et épurées des classiques de leur bac à disques. Le dub est un filigrane rouge de l’album. Metro Area réduit ses compositions à des squelettes où tout le superflu a été effacé. Ces compositions semblent ainsi tenir sur très peu, mais dessinent en contrepartie, d’immenses espaces imaginaires. La formule fonctionne la plupart du temps mais Metro Area a tout de même quelques longueurs. Le milieu de l’album (Soft Hop) constitue un ventre mou rendant l’écoute moins fluide. Il aurait, à l’évidence, gagné à ne faire qu’une quarantaine de minutes ; pensés pour le CD, les albums des années 90/2000 ont souvent ce défaut. Il est cependant bien vite oublié.
Organique et synthétique, instruments et samples, Metro Area ne choisit jamais, il assemble. Grâce à un excellent travail de production, la diversité des sources s’efface au profit de la musique. Il n’est plus alors question de gros studio ou petit espace calé dans le coin d’une chambre, mais de musique. Miura a la même beauté diaphane que lorsque nous l’avions découverte. Metro Area y développe un art de la tension d’une rare finesse. Chaque instrument est utilisé avec parcimonie, les cordes du Kelley Polar Quartet soulignent sans s’appesantir. Le piano de Piña obéit à cette même logique. Utilisé par touche en contretemps, il contribue à créer le groove si particulier du morceau. Atmosphrique est une autre réussite de l’album. Sur une mélodie synthétique simple, le duo construit un monde vaste et aéré. La basse d’Orange Alert rebondit sur la rythmique. Si Strut précède Caught Up, la composition a des allures de fin de soirée, quand la mélancolie pointe le bout de son nez. Metro Area est une oeuvre iconoclaste. Le duo contribue à lancer l’éphémère Nu-Disco (Chicken Lips, Booka Shade, Prins Thomas etc.), pourtant l’album est avant l’expression de deux producteurs inspirés et touchés par la grâce. Entre 2004 et 2007 Morgan Geist et Darshan Jesrani feront, ensemble, quelques maxis de plus (Proton Candy, Honey Circuit, etc.) mais ne donneront jamais suite à cet album. Metro Area s’est évaporé presque comme il était arrivé. Cela rend l’album encore plus grandiose et particulier. Metro Area est une comète des années 2000; étoile filante certes mais d’une intensité inoubliable. Ses deux auteurs ont continué en solo, si Darshan Jesrani se fait maintenant discret, Morgan Geist a publié un album avec Kelley Polar en 2022 sur City Slang (Au Suisse, Id.).