Magdalena Bay, Mercurial World (Luminelle Recordings)

Avant même de se lancer tête baissée dans un plébiscite sans filtre du premier album du duo américain Magdalena Bay, envie de tout simplement leur dire merci pour avoir eu le bon goût d’être à la hauteur des attentes. Une série de quatre singles égrainés au fil des mois, tous plus réussis, entêtants et dingues les uns que les autres, culminant sur un album du même acabit, délesté de toute faute de goût. Ne pas décevoir quand on a tout à prouver, quel bonheur en ces temps de blase. Et d’autant plus grand quand il vient d’un groupe qui jusqu’ici avait eu un léger goût de divertissement, façon verre de grenadine un peu trop dilué. Certes il y avait eu de charmants EP et d’amusants petits tubes (How To Get Physical, bas du front mais diaboliquement attachant), mais il était difficile de parier un organe sur le fait que la paire serait capable de sortir de son chapeau le meilleur album de synthpop de 2021. Et pourtant, nous y voilà, il s’appelle Mercurial World, et il est im-pe-ccable.

Le clip Extrêmement Online de Secrets (Your Fire)

C’est d’abord une affaire de sons. Malgré le fait que l’intégralité de la réalisation de l’album soit la chasse gardée du groupe (deux noms au générique – Mica Tenenbaum et Matthew Lewin – et basta), sa production impressionne par ses lignes racées, son mixage qui frappe toujours juste, ses beats pleins qui donnent des fourmis dans les jambes, matelas synthétique ni trop mou ni trop dur : le confort fait pop. Dans une coquetterie qui aura peut-être à voir avec le fait que le duo a débuté sa carrière dans un groupe de prog-rock (la preuve qu’on peut guérir de tous les maux), chaque morceau de l’album s’enchaine avec le titre suivant, dans une série de transitions qui décuplent le plaisir à chaque saut dans la tracklist, faisant de l’ensemble un flux continu façon show must go on : il faut entendre la manière dont les croches ascendantes de basse qui parcourent Dawning of the Season amènent d’un coup le groove de Secrets (Your Fire) sur un plateau d’argent. Une sucrerie à chaque écoute.

Et puis il y a la dextérité assez fascinante avec laquelle le groupe sait jongler d’un style à l’autre, jamais dans le déguisement stylistique, mais plutôt dans une lecture érudite de recettes qui marchent. Votre son de synthétiseur préféré est sans doute planqué quelque part dans Mercurial World, pris en vrac dans une bibliothèque de plug-in (pas les moyens de s’acheter du vrai matos, soyons sérieux) pour éclater de mille feux, ne serait-ce qu’un instant, au détour d’un tube. Vous le retrouverez peut-être dans les énormes vagues atmosphériques qui explosent sur le climax de Chaeri (qui nous rappelle l’époque où Grimes essayait encore d’écrire ses morceaux en plus de deux minutes), dans les vibes 80’s qui transpirent des basses épaisses de Follow The Leader, ou alors dans les pianos électriques désaccordés du splendide Hysterical Us, relecture moderne et romantique du (parfait) What A Fool Believes des Doobie Brothers.

Le clip pas vraiment gothique d’Hysterical Us, quatrième single de l’album

Cette fausseté rétro plongera sans doute certains auditeurs dans une attitude de défiance face à un album qui fait autant son premier de la classe, allant chercher le 20/20 dans sa récitation impeccable de cinquante ans d’histoire de la pop. Et, oui, Mercurial World est parfois une voiture d’occasion dans laquelle planerait en secret l’odeur plastique des bagnoles neuves. Il n’est certes pas question de réinventer quoique ce soit ici. Mais pourquoi croire à l’arnaque ou, pire, à l’absence de sincérité ? Le léger passéisme dont fait preuve Magdalena Bay n’est qu’un marche-pied. Tout comme vous ne vous demandez pas qui a pu construire l’escalier aux plinthes brusquées de votre immeuble décrépit, il est résolument inutile d’interroger dans le grand mille-feuille pop de Magdalena Bay d’où viennent ses influences, ses humeurs, ses ondes. Découpez les arbres généalogiques à la tronçonneuse pour en faire des feux de joie. Tout ce qui compte, c’est que ces marches burinées vous amènent enfin au dernier étage, où la vue est délicieusement dégagée et l’air toujours plus net. Les enfants du futur ne seront pas censés connaître par cœur le ronron de notre présent.

Il s’agit de profiter simplement d’un morceau comme Secrets (Your fire) et de se dire que, maintenant, tout de suite, on n’aurait rien envie d’écouter d’autre. Juste rester là, entre ces faux cuivres Yamaha noyés dans la réverb, ces accords alambiqués qui dodelinent avec délice (le piano qui rebondit au début de chaque couplet – « On-line… any-TIME » – livraison express de dopamine), coincés entre quinze ambiances et périodes à la fois, avec bruits de modem année 2000 sur la coda pour parfaire l’absence totale de chronologie claire. Au premier « la la la la la » évanescent sorti comme un arc-en-ciel de la gorge de Mica Tenenbaum, maniéré mais juste ce qu’il faut, le sourcil se lève, interrogateur : « Un peu facile tout ça peut-être ? ». Au huitième « la la la la la », les yeux se ferment avec plaisir et peu importe, en fait, tu vois. Trois minutes plus tard sur l’album, c’est le brulant You Lose! qui déboule, cloche-pied vers une noise pop où les guitares grunge sont parasitées par des bornes d’arcade sous distorsion, sur un refrain d’une intensité redoutable. Les musiciens du dimanche qui tenteront de grattouiller du Magdalena Bay sur leurs guitares anonymes seront parfois surpris en déchiffrant des compositions finalement assez simplistes. Mais la magie est ailleurs : dans la manière dont un refrain sait d’un coup propulser une mélodie dans une autre dimension par un seul accord inattendu, par la réponse pétillante d’un clavier dans le coin de l’oreille, par un détail de production qu’on découvrira à la huitième écoute, comme par magie. Et loin des calculs, Mercurial World d’expliciter finalement toutes ses intensions dans The Beginning, lumineuse conclusion de l’album qui sonne comme une pluie de confettis éternelle : « Easy living, it sets you free/You’ll rediscover simplicity/’Cause cynicism gives way to be/Raindrops in every color ». Juste de la très belle pop, dont la douce ingénuité a la chance d’être soutenue par une foule de morceaux flamboyants. Bingo.


Mercurial World de Magdalena Bay est sorti chez Luminelle Recordings.

 

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